La haine est un sentiment personnel de détestation, d'hostilité ou d'exécration très forte à l'égard de quelque chose ou de quelqu'un[1]. Elle peut conduire à des comportements ou des actes malveillants, voire à commettre des assassinats.
Définitions
En philosophie
Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset définit la nature de la haine :
« Haïr, c'est tuer virtuellement, détruire en intention, supprimer le droit de vivre. Haïr quelqu'un, c'est ressentir de l'irritation du seul fait de son existence, c'est vouloir sa disparition radicale. » Il précise ses modalités : « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel — non pas un assassinat qui se fait d'un coup ; haïr, c'est assassiner sans relâche, effacer l'être haï de l'existence[2]. »
En psychologie
En psychanalyse
La psychanalyste Marie-Claude Defores considère la haine comme une force délibérément déstructurante et déshumanisante, arme principale de la perversion : « Il est important de distinguer l'agressivité, qui est une pulsion de vie, de la haine, qui est une force de dépersonnalisation… La haine peut prendre les formes les plus socialisées ; elle refuse le nouveau, tourne vers le passé, produit la répétition et dépersonnalise[3]. »
Allant dans le même sens, Heitor de Macedo affirme :
« La haine n'attrape pas la vérité, elle l'enserre à l'intérieur d'une pensée immobile où plus rien n'est transformable, où tout est pour toujours immuable : le haineux navigue dans un univers de certitudes[4]. »
Pour le psychanalyste Pierre Delaunay, « celui qui hait dénie toute existence à l'objet de sa haine ; au point de la supprimer si elle se manifeste moindrement. […] Il pétrifie l'autre en sorte qu'il n'existe que très peu et, si ce n'est pas suffisant, il le tue. L'existence de l'autre, il n'en veut rien savoir[5]. »
Saverio Tomasella confirme l'ensemble de ces constats cliniques. Il relie la haine au fantasme, notamment aux fantasmes sociaux de « normalité ». La haine est un puissant moteur de « réussite sociale » et de prise de pouvoir, à l'œuvre autant dans les entreprises, que dans les institutions religieuses et les partis politiques. « L'un des principaux leviers de la haine concerne la condamnation sans appel, comme une assignation d’identité. L'accusation qui annule l’autre sous-entend : je sais qui tu es ; je dis que tu ne vaux rien, tu ne vaux rien. » Le discours haineux tue ; il n’est pas une parole mais un acte destructeur[6].
Pour les psychanalystes Marie-Claude Defores et Yvan Piedimonte, la haine s'impose de façon déguisée :
« Elle ne peut être perçue qu’à partir de l’impact de son intention sur l’âme résonnant dans l’intériorité sous forme de sensations et d’images comme le froid, le figé, l’immobilisation, la pétrification, ce qu’illustre le rêve. La haine, monde de la négation de l’âme, exclut ce qui en est son expression, le sentiment, et empêche la manifestation de ses qualités : mobilité, chaleur et liberté[7]. »
À ce titre, il est possible de définir la haine comme la négation radicale d'une personne. Elle correspond à l'intention de détruire l'autre, en l'attaquant dans son être et son humanité. En littérature, chez Balzac, la cousine Bette passe sa vie à chercher à détruire une famille. Bette meurt en gardant « le secret de sa haine ».
Un prétexte fréquent donné à la haine est d'accuser la partie adverse d'en être elle-même animée. En tant qu'accusation, elle est en ce sens un outil de manipulation des masses. George Orwell en donne un exemple avec le personnage de Goldstein dans 1984, que le régime utilise pour dériver vers un autre objet que lui le mécontentement de sa population.
Précisions
L'amour est fréquemment proposé, comme l'antagoniste de la haine, mais peuvent être apparentés :
« La littérature psychologique a souvent conduit à la création de dualités qui ferment la pensée et bloquent les potentialités de transformation. Ainsi, l'ambivalence très courante entre les mouvements tendres et les mouvements hostiles envers une personne a été réduite à l'opposition factice entre amour et haine. Pourtant, la force créatrice et lumineuse de l'amour humain, au-delà des pulsions sexuelles, est une réalité d'un tout autre registre que les attaques destructrices et sournoises de la haine. L'amour et la haine ne peuvent pas être opposées : elles n'appartiennent pas au même domaine existentiel[8]. »
Plus précisément, la compassion serait l'antagoniste de la haine, par l'universalité intrinsèque de sa nature : la compassion, en s'adressant à tout humain, serait l'opposé de la haine, négation de l'humain. Quant au contraire de l'amour, Carl Gustav Jung postule qu'il s'agit de la soif de pouvoir, donc plus largement de la perversion. Selon Stendhal, comme Jean Calvin, le contraire de l'amour n'est ni la haine ni la soif de pouvoir mais l'indifférence.
« L’arme de la perversion est le mensonge. » Le mensonge est « cet acte qui prend la forme de la négation : il est dénié, c’est le déni du déni ; il est le bras armé de la haine. […] Ce déni est un acte abstrait, efficace, né de la fiction. Il oppose à la réalité vivante et pleine d’énergie une non-réalité sans énergie comme de l’antimatière, qui agissant par obstacle, empêche le déploiement de la vie[9]. »
La haine est souvent confondue avec la rage, qui est une réaction vitale à une situation éprouvante, découlant des injonctions de l'entourage ou des obligations dictées par l'environnement.
Expressions
Avoir la haine
- « Avoir la haine » est une expression argotique récente, un idiomatisme[10] calquée sur « Avoir la rage », qui remplace « Avoir de la haine pour », et qui fait de la haine un état de conscience sans objet.
L'expression désigne un sentiment, un état de fureur (froide ou incontrôlable), généralement apparue chez une personne ou un groupe qui s'est senti(e) fortement blessée par un acte ou une situation dont il/elle attribue la cause à la personne (la société, un groupe, une catégorie de la population, le clan adverse…) cible de cette « haine ».
Haine de soi
La « haine de soi » est un état psychologique et une expression désignant un sentiment souvent éprouvé par les minorités souffrantes[11] et stigmatisées (physiquement, socialement, psychiquement…) par une maladie héréditaire ou contagieuse, par une couleur de la peau, les suites d'un accident, une situation de stress post-traumatique…)[12]. Ce type de marginalisations subies peut déclencher une souffrance, une culpabilité ou de la honte, et chez l'autre, de la pitié ou du mépris alimentant une haine de soi (qui, selon Alberto Eiguer (2013), est à la fois une conséquence et un facteur aggravant[13] qui peut conduire à étendre la haine de soi à la haine de son héritage familial, historique, culturel…)[12].
La haine de soi (pour une personne ou un groupe) peut être résolue par une réconciliation avec soi-même et les siens (pouvant conduire à une estime de soi[14] retrouvée) ou sinon, la personne peut tenter de gommer ce qui est ressenti comme stigmage, pour diminuer la différence ressentie, avec par exemple :
- faire appel à la chirurgie esthétique et/ou réparatrice[12] ;
- blanchir sa peau chez une personne d’origine asiatique, afro-antillaise, africaine ou arabe, et/ou lisser des cheveux naturellement crépus, et/ou autres modifications de l’apparence[12] ;
- abandonner des pratiques culturelles, une religion (ou se convertir à une autre religion, non stigmatisante dans le contexte)[12] ;
- s'approprier des arguments racistes à l’encontre de sa singularité[12] ;
- réduire sa différence à un seul trait, au détriment des autre[12] ;
- adoption d’une position en faux-self[12].
L'expression a été utilisé par Théodore Lessing (1930) dans l'entre-deux-guerres à propos d'une catégorie de personnes juives exprimant un rejet ou un aversion, voire simplement une position critique, à l'égard du judaïsme, de la culture juive, ou des aspirations politiques juives de l'époque[15]. C'est ainsi que Paul Giniewski a sous titré sa biographie critique de la philosophe Simone Weil « ou la haine de soi »[16].
Références
- ↑ Dictionnaire de la langue française Le Littré, 2010.
- ↑ J. Ortega y Gasset, Études sur l'amour (1926), Payot, 2004, p. 38-41.
- ↑ M.-C. Defores, Le Chemin de connaissance, CVR, Gretz, 2005, p. 39.
- ↑ H. O'Dwyer de Macedo, Lettres à une jeune psychanalyste, Stock, 2008, p. 340.
- ↑ P. Delaunay, Les Quatre Transferts, Fédération des ateliers de psychanalyse, 2011, p. 318.
- ↑ S. Tomasella, Le Sentiment d'abandon, Eyrolles, 2010, p. 92.
- ↑ M-C Defores, Y. Piedimonte, La Constitution de l'être, Bréal, 2009, p. 150.
- ↑ C. Hardy et S. Tomasella, Habiter son corps, Eyrolles, 2006, p. 141.
- ↑ M-C Defores et Y. Piedimonte, La Constitution de l'être, p. 157.
- ↑ (en) « Saillance scalaire et métalangue sémantique naturelle: le sentiment haine en contexte linguistique et cognitif », Études romanes de Brno, Digital Library of the Faculty of Arts Masaryk University, (lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Joëlle Allouche-Benayoun, Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias (éds.), La haine de soi. Difficiles identités, (ISSN 0335-5985, DOI 10.4000/assr.2512, lire en ligne), p. 53–158.
- 1 2 3 4 5 6 7 8 Alberto Eiguer, « Le stigmate et la haine de soi: », Le Divan familial, vol. 31, no 2, , p. 71–84 (ISSN 1292-668X, DOI 10.3917/difa.031.0071, lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Lionel Lacaze, Le stigmate : une « seconde maladie » ?, (ISSN 1152-3336, DOI 10.3917/empa.087.0121, lire en ligne), chap. 87, p. 121–131.
- ↑ Enguerran Macia, Gilles Boëtsch et Nicole Chapuis-Lucciani, Relations entre l’estime de soi et l’état de santé « objectif » des aînés, vol. 20, (ISSN 0037-8984, DOI 10.4000/bmsap.6154, lire en ligne).
- ↑ Théodore Lessing, La Haine de soi, ou le refus d'être Juif, 1930.
- ↑ Paul Giniewski, Simone Weil, ou la Haine de soi, Paris, Berg international.
Voir aussi
Bibliographie
- Donald W. Winnicott, La Haine dans le contre-transfert, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », (ISBN 9782228910552).
- José Ortega y Gasset, Études sur l'amour, Payot, , p. 36 à 41.
- Heitor O'Dwyer de Macedo, Lettres à une jeune psychanalyste, Stock, , p. 335 à 349.
- Marie-Claude Defores et Yvan Piedimonte, La Constitution de l'être, Bréal, (ISBN 978-2-7495-0923-5).
- Saverio Tomasella, La Perversion, Eyrolles, (ISBN 978-2-212-54693-4).
- Saverio Tomasella, L'Inconscient, Eyrolles, (ISBN 978-2-212-55157-0).
- Beck, T. Aaron, Prisonniers de la haine : Les racines de la violence, Paris, Masson, .
- Olivier Le Cour Grandmaison (préf. Étienne Balibar), Haine(s) : Philosophie et politique, Paris, PUF, .
- Yann Rodier, Les Raisons de la haine. Histoire d'une passion dans la France du premier XVIIe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, .
Articles connexes
- Discrimination
- Inquisition
- Jonathan Swift
- La Haine
- Perversion narcissique
- Terrorisme
Liens externes
- Ressource relative à la santé :