Mod (apocope de modernist) est une sous-culture née à Londres à la fin des années 1950, et qui connut son apogée au Royaume-Uni au milieu de la décennie suivante[1],[2],[3].
Naissance
Au Royaume-Uni, à la fin des années 1950, apparaissent les premiers mods (abréviation de modernists pour qualifier à l’origine les amateurs de modern jazz, par opposition aux trads). Les mods, qui sont généralement de jeunes actifs urbains disposant d'un certain pouvoir d'achat, se caractérisent dès leur genèse par un mode de vie festif et hédoniste, le souci de leur apparence vestimentaire et leur goût pour la musique et la danse.
Les mods se déplacent notamment sur des Vespa GS 160, Lambretta TV et SX 200 fortement accessoirisés (recouverts de phares, de rétroviseurs appelés stadiums et de diverses pièces chromées).
L'usage de drogues à finalité récréative est fréquent, amphétamines surtout. Sans être omniprésente, la violence n’est pas rare. Elle sert à affirmer des logiques de territorialité, la suprématie d’un groupe ou la défense contre des ennemis potentiels, en particulier les rockers. Les confrontations directes entre groupes de mods existent aussi, mais les conflits, conjointement à une volonté d’atteindre l’excellence, se règlent symboliquement sur la piste de danse ou par l'exhibition de tenues vestimentaires qui en imposent. L’objectif est d’être identifié par ses pairs comme un face, meneur charismatique reconnu pour son excellence qui, de par ses propositions vestimentaires, musicales, etc. lance des modes et influe donc directement sur les aspects visibles de la scène.
Les mods se retrouvent le soir en semaine et chaque week-end dans des rallyes de scooters ou dans des fêtes organisées dans des clubs ou des pubs. Brighton figure en bonne place parmi les destinations favorites et fut le théâtre de nombreuses rixes avec les rockers, immortalisées dans le film Quadrophenia.
Culture
Apparence
Les mods apportent une attention particulière à leur coupe de cheveux. La célèbre French line, coupe aux cheveux « courts - mi longs » avec une raie très marquée sur le côté, est suivie plus tard par le back comb, et les cheveux longs, puis très courts voire quasiment rasés.
Les mods sont le plus souvent vêtus de chemises (Ben Sherman au col boutonné, ou sur mesure), de polos (Fred Perry notamment), de costumes (Bespoke) deux pièces, avec des vestes à trois boutons, des revers fins, et une double fente postérieure, des pantalons à coupe « cigarette », si possible taillés sur mesure, hipsters (taille basse) ou flat fronted, cavalier cut ou straight bottom ou encore Levi's 501 mais aussi sta-pressed (qui pouvaient être enfilés – la première fois – par leur propriétaire dans leur bain afin d’être portés près du corps).
Leurs chaussures sont, dans l'idéal, des importations de créateurs italiens, mais plus fréquemment des modèles britanniques de grande série tels que les Desert Boots (Clarks), Bowling shoes, Hush Puppies, Brogues, Loafers, Doc Martens… ; Parkas US M 51 Fishtail (ou M 65) de l’armée américaine, à queue de pie, portés lors des déplacements à scooter (et exclusivement pour les plus hype d’entre eux), protégeant ainsi leur costume des intempéries.
On peut remarquer que le style est un signe distinctif qui se compose de vêtements précis issus de plusieurs cultures : américaine avec le jazz et la soul, française avec les films de la Nouvelle Vague, italienne pour les créateurs et la fameuse dolce vita mais aussi anglaise avec une attirance toute particulière pour l’esthétique de l’Angleterre victorienne (les cols à jabot des Kinks notamment). Les vêtements sont la parfaite illustration de l’éclectisme mod qui vise à créer une symbiose de goûts divers qui se retrouvent dans la musique (ska, soul, freakbeat, northern soul, british beat), et une très nette influence européenne s’agissant des vêtements et du mode de vie. Le look est primordial et fort en signification puisqu’il illustre magistralement cette culture qui influencera fortement la mode masculine des années 1960.
Danse
Plus qu’une activité purement récréative, la danse est un des piliers fondateurs de ce mouvement. Les mods la pratiquent fréquemment, ils sont souvent d’excellents danseurs et inventent régulièrement de nouveaux pas ou reprennent et adaptent des chorégraphies des chanteurs ou danseurs de soul noirs américains. La danse reste d’expression libre chez les mods, elle est parfois le fruit de rivalités et de concurrence acharnées. Elle est souvent pratiquée en solo aussi bien pour les garçons que pour les filles. Plusieurs émissions télévisées telles que Ready, Steady, Go (chaque vendredi soir sur la BBC) ou des « clips » de groupes tels que les Who (vidéo de I Can't Explain par exemple) proposent aux meilleurs d’entre eux de présenter ces nouveaux pas de danse, et mettent en scène leurs chorégraphies effrénées, voire fougueuses, expression de l’énergie du mouvement et plus généralement du buzz des mid-sixties.
Si on parle de danse, il est alors important de souligner l’importance des clubs, salles de concerts et ballrooms où se réunissaient, et se réunissent toujours, les mods à Londres comme partout ailleurs. Les clubs les plus connus à Londres sont évidemment le Scene, le Flamingo (deux clubs qui furent l’essence de la culture mod d’avant 1965) ou le Marquee (connu pour ses concerts notamment des Small Faces mais aussi de groupes hors de ce mouvement tels que les Rolling Stones).
D’autres clubs et surtout ceux situés au nord de l’Angleterre sont à distinguer, tel le Twisted Wheel Club à Manchester (par ailleurs, ces clubs sont aussi connus pour avoir donné naissance à un style musical à la fin des sixties : la Northern Soul). En France, il est impossible d’affirmer que des clubs ou discothèques aient organisé des soirées exclusivement mods dans les années 1960.
Musique
Outre une passion dévorante pour le style vestimentaire si particulier et recherché (inspiré, entre autres, par la mode européenne contemporaine - France, Italie…), les mods trouvent leur quintessence dans leurs goûts musicaux prononcés mais très éclectiques. Collectionneurs avides de vinyles de blues, de soul et de R’n'B, qu’ils distillent dans des clubs ou des ballrooms, ils ne négligent pas pour autant la musique live.
Leurs groupes cultes sont The Who, The Small Faces, The Kinks, The Creation, The Action, The Artwoods, Hipster Image, Georgie Fame and the Blue Flames, The Birds, The Eyes, Les Fleur de Lys, etc. Ils aiment la Southern soul et la Northern soul, en référence aux labels Tamla Motown et Stax, le jazz, le R’n'B, le British Beat et la musique jamaïcaine (Jamaican Jazz, Ska, Reggae, Rocksteady). De nombreux mods attachaient une importance prépondérante à la musique noire et écoutaient, à l’aube de ce mouvement, relativement peu d’artistes blancs. De même, certains groupes mods ou apparentés reprenaient quasiment exclusivement le répertoire d’artistes afro-américains.
Évolution
Dès 1966, le mouvement perd de son ampleur surtout dans le sud de l’Angleterre, et les jeunes Britanniques rejoignent en masse le psychédélisme et deviennent des hippies fortement influencés par les acides, le Flower Power et le Summer of Love qui sonnent le glas du modernisme comme mouvement de masse.
Les mods n’ont que très peu d’impact en France, contrée qui passe directement de la copie de rock US années 1950 et du yéyé au rock progressif, passant quasiment complètement à côté du British R’n'B, de la Blue Eyed Soul et de leur richesse musicale. Seules quelques petites bandes ou groupes de mods firent leur apparition en France de 1965 à 1967, à Paris et en banlieue, ainsi que sur la côte d’Azur.
La « contre-réaction » au mouvement hippie se concrétise par une radicalisation des (hard) mods qui, au contact (musical et vestimentaire, entre autres) des rude boys jamaïcains, évolueront pour devenir des skinheads, plus orientés vers la musique jamaïcaine et la soul, toujours très liés au scooterisme et qui adoptent un style vestimentaire très recherché même s’il est moins varié dans son étendue[4].
Si vers 1967-68, les mods tendent à s’estomper comme mouvement de masse anglais pour quasiment disparaître, ils continuent à être présents dans le nord de l’Angleterre avec des micro-scènes locales, faibles en nombre mais très dévouées. Le mouvement se recentre dans le courant des années 1970 sur la Northern soul (notamment avec la célèbre discothèque mod le Twisted Wheel de Manchester qui deviendra un des phares de scène Northern soul) et le scooterisme avec la création de scooter clubs.
Revival
En 1978 et 1979, le mouvement moderniste connaît un revival qui se répand dans toute l’Angleterre et dans une moindre mesure aux États-Unis et en Europe. Le contexte est notamment le film culte Quadrophenia et une scène musicale qui explose avec des groupes tels que The Jam, Secret Affair, Merton Parkas, Lambrettas, Small Hours, The Directions ou The Killermeters, la sortie des scooters Vespa PX125 et 200E qui cohabiteront avec des 50 Special suraccessoirisés et l’importation de Lambretta fabriquées en Inde pour le GP 200 (API, et SIL à Lucknow) ou en Espagne à Eibar, pour le Jet 200 Serveta.
Le Jet Club phare de la scène de 1980 se situa par la suite rue des Archives dans le 4e arrondissement. Plus tard, et faisant suite aux Crystal Dancers (issus du Jet Club), au Bell Boys Club, aux Speedy Arrows, le Vespa Club, ce furent les mods de Gambetta (dans le XXe) à Paris, et ce pendant une dizaine d’années avec des Mod Societies (M.S) et des scooters clubs (A.M.S.C. - « All Mod ») divers tels que les Templiers, les City Gents, les Royal Dandies, le Paname S.C, qui animèrent principalement la scène hexagonale, sans oublier les Playboys de Nice qui furent dès la fin des années soixante-dix les premiers à reproduire le son mid-sixties du British Beat et du Garage américain, tout en composant leurs propres créations en français (French Beat).
Certains « irréductibles indépendants » et non moins présents sur cette scène revival, se distinguèrent nettement de ceux qui étaient attirés uniquement par le scooterisme (et qui devinrent pour certains les premiers scooterboys). Ils préféreraient la dénomination de Dandy et Modernistes, et ce dès 1978, puis furent appelés par la suite stylists (pour se démarquer des mods « commerciaux » ou plastics). Quelques-uns d’entre eux organisent très régulièrement des 60’s parties dans des clubs ou des bars à Paris.
La scène scooteriste issue de ce revival existe toujours (qui évoluera dès le début des années 1980 vers le scooterisme avec les Scooterboys, fans de runs, d’engins customisés et tunés, et amateurs de Northern soul), et les mods, bien que discrets mais fortement organisés, sont toujours présents au Royaume-Uni et même partout dans le monde.
Actuellement la scène mod est très active dans presque tous les pays européens (avec des fortunes et des effectifs divers). Les rallyes scooteristes sur les plages anglaises des stations balnéaires sont aujourd’hui remplacés par des week-ends dans les principales villes européennes. Ainsi en 2007 des week-ends sont organisés à Leeds, Aix-La-Chapelle, Venise, Madrid, Anvers, Londres, Manchester, Barcelone, Glasgow.
L’influence
De l’acid jazz au Britpop, d’Oasis à Blur, la culture mod influence encore particulièrement la culture musicale britannique. En 2006, le groupe gallois Lostprophets a sorti le single Can’t Catch Tomorrow dont le clip se réfère aux mods et à leurs rassemblements.
Il est également remarquable qu’aujourd’hui plus que jamais ce mouvement exerce une influence importante tant sur le plan musical (re-revival années 1960 - années 1980 rock rapide et musclé aux belles mélodies joué par de très jeunes rockers en costume) que vestimentaire (costume « cigarette » trois boutons, Clarks, parkas américaines « queue de pie », coupe de cheveux « The Byrds pour les plus jeunes) sur la consommation de masse.
Notes et références
- ↑ (en) Oonagh Jaquest, Jeff Noon on The Modernists sur le site de la BBC, 2005.
- ↑ (en) Tony Nightingale, 1960’s day - Mods and Rockers sur le site de la BBC, juillet 2005.
- ↑ (en) Eddie Piller, Quadrophenia and Meaden sur modculture.com.
- ↑ « La sous-culture sort du ghetto », sur www.presseurop.eu, (consulté le ).
Voir aussi
Filmographie
- Le Knack... et comment l'avoir (1965).
- On nous appelle les mods (Dom Kallar Oss Mods), documentaire Suédois (1968) de Stefan Jarl et Jan Lindkvist.
- Up the Junction (Les Bas Quartiers) (1966).
- Blow-Up (1966) de Michelangelo Antonioni.
- Ne nous fâchons pas de Georges Lautner (France 1966).
- Fumo di Londra de et avec Alberto Sordi (Italie 1966).
- Bronco Bullfrog (1969).
- Quadrophenia inspiré de l’opéra rock des Who (GB 1979).
- Mods film de Serge Bozon (France 2002).
- The Pebble and the Boy de Chris Green (UK 2021).
Bibliographie
- Dick Hebdige, Sous-culture : Le sens du style, trad. Marc Saint-Upéry, Zones, 2008, 154 p., (ISBN 978-2-35522-000-5) [lire en ligne].
- (en) Richard Barnes, Mods, Eel Pye, 1979.
- (en) Paolo Hewitt, Soul Stylists, 40 years of Modernism, Mainstream Publishing (Concept et Introduction, Paul Weller), 2000.
- (en) Keith Rylatt / Phil ScottCentral 1179, Bee Cool, 2001.
- (en) Enamel Verguren, This is A Modern Life - The 80’s London Mod Scene, Helter Skelter, 2004.
- (en) Paolo Hewitt, The Sharper Word - A Mod Anthology, Helter Skelter, 1999.
- (en) Graham Lentz, The Influential Factor, Gel Publishing, 2002.
- (en) SG Grey and MD Sandon, From Somewhere Out There - Modernism In Birmingham and The Black Country 1978 - 1988, Walsall Local History Center, 1997.
- (en) Terry Rawlings, Mod - A Very British Phenomenon, Omnibus Press, 2000.
- (en) Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics The Creation Of The Mods and The Rockers, Paladin, 1972.
- Paolo Hewitt, Mods, une Anthologie - Speed, Vespas et Rythm’n'Blues, Rivages Rouges, 2010.
- François Thomazeau, Mods, la révolte par l’élégance, Le Castor Astral, 2011.
- Harriet Worsley (trad. de l'anglais), 100 idées qui ont transformé la mode [« 100 ideas that changed fashion »], Paris, Seuil, , 215 p. (ISBN 978-2-02-104413-3), « Les mods », p. 130 à 131
Lien interne
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