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Rouleau contenant la liste du cens de la seigneurie d'Einrade, vers 1320. Ferme d'Einrade à Holset (Pays-Bas).

Un seigneur est, du Moyen Âge à la fin de l'époque moderne (et qui correspond à la fin de l'Ancien Régime pour ce qui concerne la France, la Suisse et les Pays-Bas[1]), le détenteur d'une seigneurie, en général une « terre », fief ou alleu, sur laquelle il exerce de droits variables sur les terres et les personnes selon le type de seigneurie[2].

Le terme seigneur qui vient du latin senior (l'ancien) est employé dès l'époque féodale dans un sens identique à celui du mot latin dominus qui signifiait le maître de la maison et, par extension, celui qui exerce une autorité sur les personnes qui sont dans sa dépendance. Le mot français « seigneur » qui exprime à la fois les notions de senior et dominus est dans la terminologie médiévale le nom donné à celui qui est dans la position du senior romain vis-à-vis de celui qui dépend de lui et qu'on nomme alors son vassal. Ce sens se retrouve dans toutes les langues romanes[3].

La dame (du latin domina, féminin de dominus, « maîtresse de maison ») ou plus rarement la seigneuresse est soit une femme d'un rang social élevé épouse d'un seigneur, soit une femme en possession d'un fief (seigneur à part entière).

La société féodale résulte de contrats de dépendance d'homme à homme : vasselages et tenures ; ces liens se matérialisent le plus souvent (mais non exclusivement) dans la possession de la terre, les fiefs qui s'imbriquent hiérarchiquement les uns dans les autres[4]. Le seigneur féodal est l'élément essentiel de ce système. Il est lié à une époque et s'est développé au Moyen-Âge, en Europe, à partir des royaumes francs.

Des institutions laïques ou religieuses (abbayes, paroisses) ont pu exercer des compétences de seigneur, se faisant dans ce cas souvent représenter par un régisseur ou ministérial, un avoué ou un vidame.

Il est à distinguer d'autres types de puissance dans le monde (que l'on a traduit souvent aussi par « seigneur ») mais qui résultent d'un système familial ou tribal (Arabie préislamique), d'un système de castes (Inde, Empire Inca) ou d'une organisation religieuse, militaire ou administrative (seigneur de guerre en Chine, archontes byzantins).

Terminologie

Terre et seigneurie

Château de Tancarville en Normandie. C'est ici que Guillaume le Maréchal, dit le chevalier incomparable, commença son entraînement, chez un seigneur parent. Fils puîné de petite noblesse, il n'avait pas d'espoir de terres mais il fut fait seigneur de Cartmel en Angleterre par le roi Henri II en récompense de ses prouesses guerrières.

A proprement parler, l’ancien régime distinguait la terre et la seigneurie.

La « terre », dans le contexte seigneurial, nommait un fief grevé de droits seigneuriaux (typiquement des redevances). Mais une « terre » n’était pas nécessairement une « seigneurie ». Il fallait, pour cela, que s’y rajoute un droit de justice ou un droit de seigneurie explicitement exprimé dans les actes de vente ou d’aveux et dénombrement : par exemple, vente de « la Terre et Seigneurie de… », ou, dans les aveux et dénombrement, des termes du type « tenue en seigneurie », « avec droit de seigneurie », « dans la directe »… voir aussi le paragraphe « Seigneur direct ».

C'est ainsi, par exemple, que par un arrêt du parlement d'Aix du 27 janvier 1639, le sieur de Tamarlet, qui avait eu la terre (sans justice) d'Aiguebelle en arrière fief du duc de Guise, eut interdiction de s'intituler « seigneur d'Aiguebelle », mais seulement « sieur d'Aiguebelle »[5].

Seigneur n'est pas un titre de noblesse

Seigneur (possesseur d’une seigneurie) et noble sont des qualités distinctes.

Un roturier pouvait être seigneur d’un fief et on le désignait par le nom de ce fief, sans que depuis que les anoblissements aux francs-fiefs avaient disparu au XVIe siècle (Édit d’Henri II, 1579) il cessât d’être authentiquement roturier[6]. Il ne faut donc pas prendre la qualité de seigneur pour un titre de noblesse[7].

Différents types de seigneurs

Seigneur direct

Expression fréquente de l’Ancien Régime. Le seigneur direct n’est pas propriétaire des biens sur lesquels porte sa seigneurie. Ces biens sont tenus en fiefs par des vassaux ou à cens par des sujets (tenanciers ou censiers), ceux-ci étant donc les possesseurs réels. Ils doivent, cependant, à leur « seigneur direct » révérence ainsi que des services et/ou rentes.

Dans le cas le plus classique, la seigneurie directe, parfois condensée en « la directe », fait référence à un ensemble de censives relevant d’un seigneur, censives dont les bénéfices (réels et/ou honorifiques) constituent un bien incorporel tenu en fief, typiquement dans le cadre d’une « rente en fief »[8].

Seigneur de paroisse

Expression fréquente de l’Ancien Régime. Le seigneur de paroisse est celui « qui a la haute justice sur le terrain où l'église paroissiale se trouve bâtie, quoiqu'il ne soit pas seigneur de tout le territoire de la paroisse »[9], cas qui ouvre à des honneurs particuliers à l'église.

Dans certaines coutumes, « fief et justice n’ont rien de commun ». Dans ce cas, le seigneur haut justicier peut ne pas être le seigneur direct.

Coseigneur, seigneur en partie

Dans les principes, la coseigneurie[10] fait référence à une seigneurie tenue en indivision, seigneurie qui nécessite, donc un seul hommage, alors que la « seigneurie en partie »[11] suppose un démembrement, chaque « seigneur en partie » devant l’hommage. Mais les choses pouvaient se compliquer assez rapidement, certains éléments étant démembrés pendant que d’autres restaient en indivision. Les contrats de paréage étaient fréquents lors des défrichements ou essartages, ils associaient par exemple un seigneur et une communauté monastique, notamment de l'ordre de Citeaux.

À un niveau plus élevé, le paréage d'Andorre signé entre l'évêque d'Urgell et le comte de Foix en 1288 est toujours en vigueur.

Les coseigneuries étaient plus fréquentes dans le Sud de la France ; en Italie on les appelles consorteries[12].

Seigneur féodal

Expression fréquente de l’Ancien Régime. Il s’agit du « seigneur dominant » ou suzerain à qui un « vassal » ou un « seigneur lige » rend hommage pour un fief tenu de lui. Le « seigneur censier » n'a sous lui que des rotures[13].

Seigneur suzerain

Le langage courant associe souvent le couple « suzerain » / vassal, mais l’ancien régime voyait davantage le couple « suzerain » / arrière vassal, soit le tiercé seigneur suzerain, seigneur dominant, vassal[14]

Selon une acception plus stricte, la seigneurie suzeraine concernait la logique judiciaire. Il s’agissait de la seigneurie justicière qui recevait les appels des seigneuries justicières qui relevaient d’elle. Concrètement, il s’agissait de grandes seigneuries (duchés, comtés…)[15], seigneuries que l’on peut reconnaître à l’existence de baillis ou sénéchaux seigneuriaux, de juges d’appel, de juges des ressorts…

Seigneur roturier

Sur ses terres, le seigneur roturier jouit des mêmes droits que le seigneur noble et notamment le droit de chassse « Les nobles, comme les roturiers, ne peuvent chasser que sur les terres dont ils ont la seigneurie directe ou la haute justice »[16]. Un seigneur roturier ne pouvait exiger d'un vassal noble le paiement des aides qui étaient un droit essentiellement noble et féodal ; elles ne se prélevaient que sur les domaines hommagés et sur les rentes inféodées, mais non sur les rentes roturières. Elles n'étaient dues au seigneur dominant que s'il était noble[17]. La possession d’une seigneurie, terre noble, par un roturier ne l’anoblissait pas pour autant, et cette seigneurie était alors un francs-fief; son possesseur, seigneur roturier, était soumis au paiement du droit de franc-fief, équivalent d'une année de revenus du fief, à verser tous les vingts ans[18]. La terre restera noble et son seigneur roturier restera roturier[19]. En 1787, l'assemblée provinciale de Basse-Normandie confirme que la présidence des assemblées municipales est dévolue au seigneur de la paroisse et que ce privilège étant un droit attaché à son fief, le seigneur roturier en jouit comme le seigneur noble car « s'il paye tous les vingt ans au fisc le droit de franc-fief, c'est pour jouir de tous les droits attachés à sa seigneurie, et celui de présider aux assemblées de ses vassaux ne peut lui être enlevé ». Mais ce privilège qu'il doit à sa terre ne lui donne aucunement le droit d'être nommé représentant de la noblesse[20].

Le seigneur dans la société féodale puis sous l'Ancien Régime

Le seigneur est à l'origine le détenteur de l'autorité féodale qui s'exerce sur une terre et les personnes qui y sont attachées (serfs). Il succède au maître du domaine médiéval du Haut Moyen Âge qui avait lui-même succédé au maître de la grande villa romaine (ou villa rustica) possesseur d'esclaves. Le seigneur féodal s'impose donc à la fin de l'époque carolingienne en Europe occidentale continentale à la faveur de l'effacement du pouvoir central et à la fin de la période anglo-saxonne en Grande-Bretagne, soit grossièrement autour de l'An 1000.

En France, dans les pays de droit coutumier — au nord —, on considérait qu'il n'existait « nulle terre sans seigneur » ; en pays de droit écrit — au sud — on disait au contraire qu'il n'existait « nul seigneur sans terre ». En Bretagne existait une forme particulière de seigneur, le juveigneur.

Seigneur percevant les redevances de ses paysans. Autriche, XVe siècle.
Anne de Rohan-Guéméné, dame de Sainte-Maure, de La Haye et de Nouâtre. Veuve en 1667, elle hérita à part entière de ces seigneuries. Elle est figurée portant le carquois de Diane chasseresse.

Le mouvement de création des communes commence en France et en Allemagne aux alentours de 1100 (Le Mans en 1070, Worms en 1073), et à partir de 1400 environ le système féodal n'est plus imposé à un large pan de la société (chartes de franchises, guildes, communes, sauvetés, bastides …) ou est délimité (prérogatives royales, assemblées paroissiales, estimateurs en Provence …) et il se vide progressivement de son contenu ; il devient le système seigneurial d'Ancien Régime. La plupart des paysans continuent cependant à avoir des obligations importantes envers leur seigneur jusqu'en 1789, à l'exception notable des grands fermiers et grands métayers ; cette nouvelle catégorie apparaît à la faveur des grands défrichements proposés par les seigneurs après les guerres ou les pestes ou lors de l'affermage des domaines ecclésiastiques et elle ne s'inscrit plus dans le cadre de la tenure féodale et du cens[21].

Sur l'emploi à partir du XVIe siècle des termes « seigneur de » et « sieur de », les auteurs du Bulletin héraldique de France écrivent « Au XVIe siècle, les bourgeois vivant noblement voulant imiter les nobles prirent le nom de leur domaine, alors même que ce domaine n'était pas noble ; mais n'ayant pas le droit de s'intituler « seigneur de » lorsque la terre était roturière, ils prirent la qualification de « sieur de ». Tandis que le non noble s'intitulait « sieur » de son coin de terre roturier, la qualification noble de seigneur était peu à peu remplacée par le mot de sieur qui en était le diminutif. Bien qu'en théorie, on dût distinguer le « seigneur » de la terre noble du « sieur » non noble, en fait les deux mots furent souvent pris l'un pour l'autre, AU XVIIe siècle on trouve fréquemment le seigneur d'un domaine avec haute justice qualifié sieur de ce domaine, et dans les procès du temps, on voit d'ordinaire chaque avocat et chaque procureur donner du seigneur à son client et qualifier l'adversaire de la simple appellation de sieur »[22].

Première page de l'aveu (hommage) rendu à René, duc d'Anjou (le Roi René), par Jean de Sainte-Maure, seigneur de Montgauger et son fils pour la baronnie de La Haie-Joullain en Anjou, 1469.

Le seigneur local est le lien entre l'état féodal et les paysans. Il est membre de droit avec prééminence de l'Assemblée paroissiale qui réunit dans le cadre du conseil général ou « général », pour le moins, tous les propriétaires de la paroisse. Il peut s'y faire représenter par le sénéchal. Le général désigne un procureur chargé de faire appliquer les décisions concernant, outre l'administration des biens de l'église locale, les biens communaux, l'assolement obligatoire, la répartition de la fiscalité[23] ; Il ne s'agit en aucun cas du seigneur mais généralement d'un paysan propriétaire aisé (parfois raillé comme coq de village[24])[4]. Voir aussi Conseil de fabrique#Ancien Régime.

Les relations entre seigneurs de rangs différents, c'est-à-dire entre vassaux et suzerains jusqu'au roi, sont réglées notamment par l'hommage et le serment de fidélité. Vassal et suzerain se doivent des obligations mutuelles. Sous l'Ancien Régime, le suzerain peut « ériger » une terre en un nouvel état de noblesse. Par exemple en 1700 Louis XIV érigea la terre d'Argenson près de Sainte-Maure-de-Touraine en marquisat, titre dont purent se prévaloir ses seigneurs[25].

Les paysans doivent déférence et respect au seigneur. Le seigneur peut ajouter à son nom propre un surnom, le nom de son honneur, c'est à dire de son fief principal (exemples : Geoffroy Plantagenêt, Boniface de Montferrat)[12]. Il jouit de préséances honorifiques, notamment du droit de prééminence à l'église, surtout s'il l'a dotée, ce qui était souvent le cas. Il peut porter l'épée, construire une tour et arborer armoiries, girouette et épis de faîtage en plomb. Ces préséances se maintiennent sous l'Ancien Régime. La construction d'un colombier en pierre peut aussi être considérée comme une marque de prestige. En Angleterre, la possession de cygnes était réservée aux seigneurs, nobles et dignitaires ecclésiastiques[26].

La chasse est un privilège seigneurial, que le seigneur soit noble ou roturier, et pour certains une activité journalière ; les dames pratiquent la chasse au vol (fauconnerie) ; les abbés et prieurs doivent faire chasser sur leurs terres ; sous l'Ancien Régime, on construit des pavillons de chasse parfois somptueux et la vénerie est codifiée (Chasse#Moyen Âge et Époque moderne). Au contraire la pêche n'est pas considérée comme une activité prestigieuse aussi le seigneur autorise facilement les paysans à pêcher, parfois contre redevance ; il se réserve les pêches à fort rendement, vidages d'étang et grandes nasses[27], surtout s'il s'agit d'une institution monastique pour qui le poisson est indispensable en temps de jeûne.

Au Moyen-Âge, le seigneur doit répondre à l'appel de son suzerain pour la guerre (ban) avec un nombre convenu de chevaliers reflétant son importance. La durée du service militaire ou estage due au suzerain par le vassal est de quarante à soixante jours par an en France[28]. Des paysans sont de plus réquisitionnés pour les charrois et le guet (droit de guet). Dans le Saint Empire Romain, le ban fait l'objet de dispositions complexes (le Miroir des Saxons divise la société en six classes sans compter les paysans). Souvent les chevaliers étaient rémunérés pour leur service par une dotation en terre qui devenait alors une sorte de petite seigneurie. En Bretagne et Normandie ce type de seigneurie était appelé fief de haubert.

Comme les autres catégories sociales en dehors des paysans et malgré leurs revenus, les seigneurs nobles étaient exemptés d'impôts si ce n'est à la fin de l'Ancien Régime : capitation, impôt du dixième puis du vingtième. Sous l'Ancien régime, les seigneurs nobles devaient au roi des périodes militaires même en dehors des temps de guerre (l'impôt du sang). Cela pouvait représenter une charge importante pour un petit seigneur rural sans réels moyens car il devait en général se présenter équipé.

Les liens entre les seigneurs et l'Église sont étroits, et ceux avec les ordres monastiques sont privilégiés. Évêques, abbés, prieurs, curés sont souvent issus de familles seigneuriales avec la même stratification sociale. Il en est de même pour les ordres féminins. Les seigneurs dotent les institutions monastiques, y compris en terres. Les moines doivent pourvoir au salut de leurs donateurs dans l'au-delà. Ils leur font appel pour remplir certaines de leurs propres obligations ou opportunités seigneuriales (obligations militaires dans certaines régions, chasse, banalités) ou même pour la gestion de domaines entiers. Ces représentants et grands régisseurs sont appelés avoués[29] ou vidames, terme qui devient un titre de noblesse. L'Église justifie le système féodal et s'efforce d'influencer les agissements des nobles et seigneurs à travers l'institution de la chevalerie et par les croisades[28].

Fondements de la puissance seigneuriale

Seigneurie foncière et banale

Château de Topoľčany, Slovaquie. On distingue du centre vers l'extérieur: le donjon, demeure du seigneur, la haute-cour et la basse-cour.

D'après Georges Duby[30], Paysannerie et féodalité dans[4] :

Au Moyen-Âge, le seigneur féodal vivait du produit des terres de son fief et du travail de ceux qui y vivaient, les tenanciers : serfs et hommes libres. En échange il assurait leur protection. Le domaine était divisé en tenures serviles ou libres et réserve (ou terra dominica). Les tenures libres étaient astreintes au paiement du cens ou de la champart, les tenures serviles au chevage. Une partie du cens ou de la champart est payée en nature et constitue le terrage (grains)

Ancien jardin et colombier du Prieuré du Louroux ceint de murs. C'était une seigneurie ecclésiastique dépendant de l'abbaye de Marmoutiers. [Pour en obtenir la description cliquer sur l'image puis sur "Détails"].

ou le complant (raisins)[31].

Une partie du domaine, distincte des tenures, constituait la réserve et ses produits revenaient au seigneur. La réserve était exploitée grâce aux corvées dues par les tenanciers, principalement par les serfs sous le contrôle des régisseurs (ministériaux)[32] ; la réserve constituait souvent la part la plus importante du domaine ; les tenures libres comptaient de 5 à 10 ha environ, une surface jugée suffisante pour faire vivre une famille élargie (un feu)[33]. En Angleterre, les seigneurs reprennent en exploitation directe la réserve à partir de 1235 (Statute of Merton autorisant l'enclosure des terres non cultivables de la réserve), d'autant plus que l'élevage des moutons pour la laine est d'un bon rapport et peut être effectué par quelques salariés. Les domaines cistersiens, qui sont immenses, répugnent à faire cultiver leur réserve par des serfs, ils préfèrent compter sur leurs frères ou sœurs converses effectuant les gros travaux, de plus leur règle les astreint au travail[28].

Sur la réserve, le seigneur pouvait installer des commodités qui lui étaient réservées : étang, vivier, nasse de rivière[34], garenne … et investir en équipements communautaires (four, moulin, fontaine avec lavoir, abreuvoir, pressoir, brasserie, services d'animaux mâles reproducteurs[35], marché …) qu'il mettait à disposition des paysans généralement moyennant redevances (banalité). Le seigneur exige leurs utilisations exclusives par les paysans, ainsi la banalité devint la principale source de revenus du seigneur ; elle nécessite cependant organisation et contrôles, services fournis par les ministériaux, non sans abus[33]. Le seigneur percevait des péages ou des taxes sur les marchandises (droit de tonlieu ou de leyde), de toute personne utilisant des commodités situées sur sa terre ; pont, gué, port, marché, à charge pour lui d'en assurer le fonctionnement.

La banalité a cependant des limites :

  • lorsque les investissements sont trop importants, ainsi le fonctionnement d'un moulin à eau peut nécessiter la création d'un barrage et d'un bief (canal de dérivation), plusieurs seigneurs ou un seigneur et une ville se regroupent pour financer l'investissement puis percevoir les droits ;
  • en cas d'abus, les paysans peuvent être tentés de s'adresser au seigneur voisin malgré les taxes qui en découlent[12] ;
  • la banalité ne s'est pas étendue à l'Angleterre ni aux pays germaniques[28].

Le seigneur possède le droit de chasse et pêche sur l'ensemble du domaine, les dégâts dans les cultures peuvent être importants.

Le seigneur exige des corvées pour l'entretien du domaine qui s'ajoutent aux travaux dans la réserve ; les paysans fournissent jusqu'à trois jours de corvées par semaine à certaines époques ; c'est une source indirecte de revenus fondamentale[28]. Au début du Moyen-Âge, il pouvait percevoir la taille mais cet impôt fut tôt repris par le roi.

Basse-cour du château de Doornenburg (Pays-Bas). À l'arrière-plan, le logis seigneurial..

La basse-cour du château permettait de gérer la réserve et d'engranger la nourriture des habitants du château et de leurs chevaux et pouvait comporter un jardin et un colombier ou fuie. Elle pouvait servir de refuge aux paysans et à leurs bêtes en cas d'attaque. On distingue la basse-cour et la haute-cour. La basse-cour était généralement pourvue d'un mur d'enceinte, parfois avec des tours. La basse-cour est la première défense d'un château. Le donjon principal peut être défendu séparément. Dès que la basse-cour est tombée, le défenseur se retire vers la haute-cour. Les enceintes présentent souvent une forme incurvée comme une coquille autour du château principal (illustration).

Le seigneur laissait la part non cultivée de la réserve (landes, prés, forêt) ainsi que ses jachères (de la même façon les tenanciers) à disposition de l'ensemble des paysans, parfois sous conditions, notamment concernant l'usage des bois et le pacage, parfois contre redevances (panage des porcs …)

Vivier de l'abbaye de la Cambre, Bruxelles.

L'ensemble des terres d'une seigneurie et des droits et devoirs attachés est décrit dans le livre terrier auquel est joint un plan terrier. Ils sont mis en place à partir du XIIe siècle, d'abord dans les monastères qui comptent en effet des clercs.

Droit de justice

Seigneurs et féodalité dans le monde

Europe occidentale et centrale

En Europe occidentale le système seigneurial est issu de l'Empire carolingien et proche du système français[33]. Il a été étendu aux Îles Britanniques et au Sud de l'Italie par les Normands, en Europe centrale et dans les Pays baltes, d'une part par l'expansion allemande, d'autre part par le système dynastique angevin (maison d'Anjou-Sicile). En Scandinavie, Hongrie et Pologne, il progresse en même temps que la christianisation et l'institution de la chevalerie sur le modèle allemand. Dans la péninsule ibérique, il s'étend au fur et à mesure de la Reconquista, notamment au Portugal sous l'influence de la maison de Bourgogne[36], en Castille et en Aragon sous l'influence des dynasties issues des rois de Navarre ; l'influence des ordres religieux guerriers y est également déterminante ; en Castille, le système féodal demeura néanmoins incomplet au sud-ouest de l'Èbre du fait des prérogatives accordées au roi, aux ordres religieux et à certaines communautés (fueros) lors de la reconquête ainsi que de la grande proportion de nobles dans la population[37].

Avènement de pouvoirs favorables à l'Église et à l'aristocratie foncière et guerrière

Chateau de Cēsis, fondé par l'Ordre des chevaliers Porte-Glaive en 1209, Lettonie.

Progressivement, les sociétés européennes s'organisent selon le modèle occidental, féodal et chrétien, né dans les royaumes francs :

  • 11 novembre 909 : création de l'Ordre de Cluny, indépendant des pouvoirs laïcs et épiscopaux ;

Régions de coutume allemande au-delà de l'Elbe

Domaine Sellendorf (possession d'un junker), Brandebourg, vers 1870.

Le transfert des paysans fut largement orchestré par les seigneurs et les abbés. L'arrivée dans les régions de l'est de paysans allemands et néerlandais, attirés par la promesse de travailler à leur compte et au fait des nouvelles techniques de la culture attelée lourde permit l'évincement des paysans locaux et le défrichement de nouvelles terres, ce qui aboutissait à l'installation de nouvelles seigneuries et abbayes[38]. Ensuite, dans les régions dominées par la noblesse allemande à l'est de l'Elbe (Ostelbien (de)), les seigneurs réussirent à généraliser le servage et ils représentèrent une caste très puissante notamment en Prusse et dans les Pays baltes où le système se maintînt jusqu'au XIXe siècle. Dans les Pays baltes, la seigneurie est plus précisément issue de l'Ordre teutonique ; en effet avec la Réforme les moines-soldats purent se marier.

Danemark

Le Danemark fut influencé par le féodalisme allemand, c'est même un fief de l'Empire de 1153 à 1162 et par la suite, il se rend maître de régions septentrionales de l'Allemagne ainsi que de l'Estonie jusqu'en 1240 ; la classe des seigneurs, grands propriétaires fonciers domine militairement et économiquement le pays ; ils généralisent le servage[39].

Suisse

des droits seigneuriaux en Suisse

Angleterre

Au Royaume-Uni, il existe encore aujourd'hui des seigneurs dans le sens féodal. Le titre porté est celui de Lord of the manor of... pour Seigneur de la terre de… en droit féodal français. En revanche, les droits féodaux et seigneuriaux y ont pour la plupart été supprimés. Dans les Iles anglo-normandes, les droits féodaux sont toujours donnés en hommage par les seigneurs au roi d'Angleterre en tant que « duc de Normandie ». Les droits seigneuriaux dus par les habitants ont été supprimés, y compris à l'île de Sercq, depuis que ce dernier Etat féodal d'Europe a rejoint le droit commun en 2008.

Écosse

Arrivée du boyard au monastère, 1912.

Colonies européennes d'Amérique

Au Brésil, pour engager la colonisation des terres, un système proche de la féodalité, repris sur celui en vigueur dans le sud du Portugal, fut installé. Les capitaines héréditaires, grands seigneurs, distribuaient leurs terres à des sesmarios qui avaient l'obligation expresse de mettre ces terres en culture en produisant sucre et café sur leur sesmaria, équivalent d'une tenure européenne. De plus, les sesmarios étaient tenus de porter leur récolte au moulin (engenho) du seigneur comme dans le cas de la banalité.

Russie et Europe orientale

Japon

Entrée du château d'Ichijōdani des seigneurs Asakura,

Le Japon connait une période féodale en même temps que l'Europe. L'équivalent du fief y est le shōen. Le seigneur peut être un noble de la cour, une institution religieuse, un guerrier (samouraï …) ou en fin de période un grand seigneur ou daïmio.

Notes et références

  1. (nl) « Inleiding cultuurgeschiedenis 1: Europa in het ancien regime », sur Open Universiteit (consulté le )
  2. Cnrl-ortholang, article « seigneur ».
  3. Geneviève Bührer-Thierry, L'Europe carolingienne, Armand Collin, (lire en ligne).
  4. 1 2 3 Armand Wallon et Georges Duby, La formation des campagnes françaises: des origines au XIVe siècle, Éd. du Seuil, coll. « Histoire de la France rurale », (ISBN 978-2-02-004267-3), p. 300 & sq
  5. M. Merlin, Répertoire Universel Et Raisonne De Jurisprudence, Volume 31, H. Tarlier, 1828, page 152.
  6. L'intermédiaire des chercheurs et curieux, Volume 64, 1911, page 266.
  7. Guy de Courtin comte de Neufbourg, Essai d'introduction à la publication de terriers foréziens: Le régime féodal et la propriété paysanne, E. Champion, 1923, page 98.
  8. Bryce D. Lyon, « Le fief-rente aux Pays-Bas sa terminologie et son aspect financier », Revue du Nord, vol. 35, no 140, , p. 221–232 (ISSN 0035-2624, DOI 10.3406/rnord.1953.2085, lire en ligne, consulté le )
  9. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers..., Volume 12
  10. Pierre-Yves Laffont, « Les manifestations architecturales de la coseigneurie : châteaux et coseigneuries en France »,
  11. C. Beautemps-Beaupré, « DU DROIT DES PROPRIÉTAIRES DE FIEF D'AJOUTER LE NOM DE LEUR FIEF A LEUR NOM PATRONYMIQUE p. 390 »,
  12. 1 2 3 Florian Mazel, Nouvelle histoire du Moyen âge, Seuil, coll. « L'univers historique », (ISBN 978-2-02-146035-3), La seigneurie territoriale
  13. Dictionnaire de Furetière, article seigneur.
  14. Encyclopédie Diderot, « Seigneur suzerain » (consulté le )
  15. Encyclopédie Diderot, « SUSERAIN ou SUZERAIN » (consulté le )
  16. Guy de Courtin comte de Neufbourg, Le régime féodal et la propriété paysanne, E. Champion, , p. 214.
  17. Gustave Espinay, La coutume de Touraine au XVe siècle, L. Péricat, , p. 25.
  18. Emmanuelle Charpentier, Les campagnes françaises à l'époque moderne, Armand Colin, .
  19. Revue de Bretagne, vol. 60, , p. 273.
  20. Procès-verbal des séances de l'Assemblée provinciale de Basse-Normandie, G. Le Roy, , p. 177.
  21. Jérôme Fehrenbach, Les fermiers, la classe sociale oubliée, Paris, Passés Composés, avril 2023 (ISBN 979-1-0404-0211-4)
  22. Bulletin héraldique de France, 1879 page 263.
  23. François Duine, "Saint-Martin de Vitré : les généraux des paroisses bretonnes", 1907, consultable https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1454137/f12.image.r=Balaz%C3%A9 [archive]
  24. Michel Centre d'études Préhistoire, Antiquité, Moyen âge, La dîme, l'église et la société féodale, Brepols, coll. « Collection d'études médiévales de Nice », (ISBN 978-2-503-54525-7)
  25. Dont deux de ses représentants furent ministres de LouisXV.
  26. Act of swans, 1482
  27. Perrine Mane, « Images médiévales de la pêche en eau douce », Journal des savants, vol. 3, no 1, , p. 227–261 (ISSN 0021-8103, DOI 10.3406/jds.1991.1548, lire en ligne, consulté le )
  28. 1 2 3 4 5 Florian Mazel, Nouvelle histoire du Moyen âge, Seuil, coll. « L'univers historique », (ISBN 978-2-02-146035-3), Le grand essor agraire
  29. En anglais : advocatus ; en allemand : Vogt.
  30. Le terme de "seigneurie banale " a été inventé par G. Duby ; bien que très employé, il est aujourd'hui l'objet de controverses.
  31. « Les droits seigneuriaux sur la terre », sur Histoire-Passion Saintonge, Aunis, Angoumois, (consulté le )
  32. Prévôt au tout début de l'époque féodale. Voir aussi Reeve pour l'Angleterre, Vogt pour les pays germaniques.
  33. 1 2 3 Louis Malassis, L'épopée inachevée des paysans du monde, Fayard, (ISBN 978-2-213-61943-9), p. 118 et sq
  34. « La nasse dite de Saubagnac », sur Guiche, 1000 ans d'histoire (consulté le )
  35. Ainsi le poitevin a gardé les mots service et servir comme synonymes de saillie et saillir
  36. Robert Durand, « Villages et seigneurie au Portugal (Xe-XIIIe s.) », Cahiers de civilisation médiévale, vol. 30, no 119, , p. 205–217 (ISSN 0007-9731, DOI 10.3406/ccmed.1987.2367, lire en ligne, consulté le )
  37. Edouard Secretan, « DE LA FÉODALITÉ EN ESPAGNE (PREMIER ARTICLE) », Revue historique de droit français et étranger (1855-1869), Vol. 8, , p. 625-670 (lire en ligne)
  38. Marcel Mazoyer, Histoire des agricultures du monde, Paris, Seuil, , p. 288-290
  39. Astrid E. Helle, Histoire du Danemark, Hatier, coll. « Nations d'Europe », (ISBN 978-2-218-03846-4)

Voir aussi

Articles connexes

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