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La Grande Peur est un mouvement de jacqueries et de révoltes engendrées par une peur collective, qui se sont répandues en France, essentiellement du au , mais se sont prolongées au-delà.

Peu réprimées, elles ont signalé l'effondrement de l'autorité de l'Ancien Régime et engendré un important mouvement d'émigration de la noblesse[1]. Elles ont également provoqué la surprise - et l'inquiétude - des nouvelles autorités politiques[1] et ont entraîné, en réponse immédiate à celles-ci, l'abolition des privilèges[1].

Origine

Les révoltes font suite à un demi-siècle de soulèvements et de contestation antiseigneuriale accrue[2]. Les cahiers de doléances se sont fait l'écho des revendications des paysans, et ont levé en eux l'espoir de ne plus subir les droits et les redevances, qui à la suite des mauvaises récoltes de 1788, les accablent plus que jamais[3]. Les comptes rendus des évènements de Paris, et notamment les récits de la prise de la Bastille, mal compris, s'accompagnent de rumeurs et de craintes d'une vengeance ou de complots aristocratiques[1]. L'inquiétude est d'autant plus vive que le mois de juillet voit arriver le moment de la soudure, avec une hausse des prix prévisible et le soupçon que les nobles puissent « accaparer » les grains rares. Dans certains cas, la panique a été déclenchée par la rumeur que les aristocrates recrutaient des brigands pour couper les blés verts des campagnes et anéantir ainsi la récolte[1]. Dans d'autres régions, les souvenirs anciens d'invasions étrangères (anglaises ou piémontaises) se sont réveillés. La peur s'est répandue rapidement de paroisse en paroisse, au son du tocsin et les révoltes ont éclaté quasi simultanément : six paniques ont ainsi éclaté en Franche-Comté à la suite d'une explosion accidentelle d'une réserve de poudre au château de Quincey, près de Vesoul ; en Champagne, où la poussière soulevée par un troupeau de moutons fut prise pour celle d'une troupe de soldats en marche ; dans le Beauvaisis, dans le Maine, dans la région de Nantes et dans celle de Ruffec, où des moines mendiants furent pris pour des brigands[4].

Troubles

Partout pillages, émeutes, attentats, incendies éclatent : à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Strasbourg, à Rennes, à Saint-Malo, au Havre, à Dijon, mais aussi dans les bourgades et les villages campagnards, comme dans le Mâconnais, dont les propriétés seigneuriales furent dévastées. Les paysans s'armèrent et formèrent des milices pour se défendre contre des attaques de « brigands » ou d'attaquants imaginaires. Mais, comme ceux-ci n'étaient que le fruit de leur inquiétude, les paysans rassemblés, armés, apeurés et préalablement mécontents, s'en prirent aux châteaux et aux abbayes. La « peur » de Ruffec, par exemple, se répandit très vite : commencée le , elle gagna vers le nord (Civray et Châtellerault), vers l'ouest (Saintes), vers l'est (Confolens et Montluçon), et vers le sud (Angoulême, Limoges, Cahors, Brive le , Montauban le , Toulouse et Rodez le 1er août, Lombez le , Pamiers, Saint-Girons, Saint-Gaudens le , Foix et Tarbes le ). Des régions entières restèrent cependant à l'abri de cette Grande Peur : la Bretagne hormis Vitré, l'Alsace, le Languedoc. En Aquitaine, la peur prit le nom de Peur des Anglais.

Voici le récit du curé de Prayssas en Agenais, Barsalou, plus tard curé constitutionnel :

« TERREUR PANIQUE : Le dernier du mois de jour de vendredi à dix heures du soir, il y eut dans la paroisse grande alerte occasionnée par la peur des Anglois avec lesquels nous étions en paix, et qu’on disoit être au nombre de dix mille hommes, tantôt au bois du Feuga, tantôt à St-Pastou, à Clairac, à Lacépède et ailleurs. On sonnoit le tocsin de toutes parts depuis huit heures du soir. Les gens sages n’en crurent rien, et on ne sonna icy qu’au jour l’alarme fut grande jusqu’à onze heures avant midi. Sur l’envoy consécutif de trois émissaires de Lacépède qui demandoient du secours pour Clairac menacé - disoient-ils - par dix mille brigands, les nôtres y furent, armés de fusils, des faux et des broches. Arrivés à Lacépède ils apprirent que tous les bruits étaient sans fondement. L’alarme s’étoit répandue progressivement. à Bordeaux pendant la nuit de mercredi à jeudi, à Condom le vendredi à midi. À Agen le jeudi soir à 9 heures on sonna le tocsin dans toute la ville où s’étaient rendus de toutes parts quinze mille hommes en armes. Tout fut calme à Agen vers une heure après minuit. En 1690, même alarme dans l’Agenois le 20 aout jour de dimanche sous la dénomination de peur des Huguenots. »

Les paysans qui s'en prirent aux châteaux, réclamèrent, pour les brûler, les vieilles chartes sur lesquelles étaient inscrits les droits féodaux dont ils avaient demandé la suppression dans les cahiers de doléances : les « terriers » (pour « livre terrier »), cette dernière circonstance indiquant pour les historiens contemporains[1],[2] une conscience politique et sociale neuve, quoiqu'éventuellement confuse puisque certains émeutiers étaient persuadés d'exprimer la volonté du roi contre les seigneurs locaux. Ils allèrent parfois jusqu'à incendier les vieilles demeures seigneuriales. « La flamme était si grande entre une et deux heures de la nuit que j’aurais pu lire à ma fenêtre à la lueur du feu. Dans vingt-quatre heures ce château bien meublé fut tout pillé et brûlé ; on ne vit plus que des cheminées en l’air et des murs calcinés par le feu ou noircis par la fumée ; il n’y resta rien, pas même des gonds » a consigné dans ses registres le curé de la paroisse de Bissy-la-Mâconnaise, témoin de l'incendie du château de Lugny en Mâconnais.

Une révolte sociale ?

Les insurgés se firent peur mutuellement et firent peur aux « aristocrates » et aux tenants de l'autorité monarchique, provoquant généralement la fuite de la noblesse et des intendants ; il y eut très peu de résistance militaire[5]. Georges Lefebvre décrit cinq courants dans son livre La Grande peur de 1789[6]. Il semble n'y avoir eu aucune concertation entre ces divers foyers d'insurrection qui furent pourtant animés par des causes et des buts communs. En brûlant les châteaux et en détruisant les terriers, les paysans exprimaient le souhait de la suppression de la féodalité. C'est ainsi tout du moins que l'assemblée nationale le comprit ; elle décréta pour mettre fin aux désordres l'abolition des privilèges le .

Georges Lefebvre est loin de réduire le phénomène de la « Grande Peur » à un complot « aristocratique », voire à une émotion collective de « peur des brigands ». Il titre un de ses développements : La révolte paysanne[7]. Il relie les troubles de l'été 1789 aux révoltes antérieures, comme en Franche-Comté (1788). Il note aussi la présence parmi les insurgés du Mâconnais, de nombreux paysans, mais encore de nombreux artisans locaux qui donnent à la révolte une connotation sociale qui dépasse les troubles frumentaires, anti seigneuriaux, voire les troubles hallucinatoires de la farine française[8]. Pour le seul exemple Mâconnais, on arrêta[8] :

  • « Des domestiques, des vignerons à gages, des grangers ou métayers, des artisans et des boutiquiers; les laboureurs, fermiers, meuniers, brandeviniers. Plusieurs sont propriétaires. Parmi les gens compromis on trouve un maître d'école, des huissiers, des gardes seigneuriaux, etc. »

Plus loin[9], il note l'avis du lieutenant criminel du bailliage de Chalon, où la révolte s'était étendue :

  • « Tous (24 pour Chalon) s'étaient attroupés comme d'un commun accord dans l'intention de dévaster les châteaux et maisons, et de s'affranchir des redevances en brûlant les Terriers ; l'on pourrait même ajouter qu'ils étaient encore excités par la haine qu'ont toujours eue les pauvres contre les riches. (…) Mais aucun ne nous a paru avoir été dirigé par cette impulsion secrète qui est en ce moment l'objet des recherches de la Respectable Assemblée ».

Selon Mary Matossian, l'ergot de seigle présent en grande quantité dans la farine de l'époque et présentant des caractéristiques hallucinatoires aurait fait partie des causes de la Grande Peur[10].

Mémoire de la « Peur », révolte sociale en Mâconnais

Plaque commémorative de la révolte de 1789 à Igé

Lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française, une région au moins entreprend un travail d'exhumation des archives. Ce fut en Mâconnais. Par dérision les livres reprennent le terme de « brigands » dans leur titre, qui est le nom que les nobles attaqués donnèrent aux paysans révoltés. La commémoration des événements mêla spectacles rétrospectifs, avec participation festive de la population et recherches historiques collectives[5].

  • Un premier ouvrage[11] se concentrait sur le canton de Lugny dont les seize communes participent à la révolte de . Sur les 264 « brigands » du canton qui sont arrêtés, on relève 53 vignerons, 51 manouvriers domestiques, 26 « laboureurs », 19 « grangers-fermiers ». Il y a aussi dix tixiers (tisseurs), dix charpentiers, onze tailleurs de pierre, dix tonneliers, trois meuniers, etc.[12]. C'est le peuple du vignoble qui se révolte et non pas quelques misérables bandits. En cela c'est la Révolution à la campagne, notée par Georges Lefebvre. La nuit du 4 août 1789, les députés désamorcent dans l'urgence une « prise de la Bastille » des campagnes françaises.
  • Un second ouvrage[13] est publié l'année suivante et va dans le même sens. Selon le préfacier (Pierre Goujon) et les auteurs, ce n'est que « pour rétablir la vérité historique occultée depuis l'événement même par une historiographie partisane ou conformiste ». Ces « brigands mâconnais » ce sont les paysans en révolte dans une terre « d'inégalités et de tensions sociales avivées par la crise économique »[14]. L'ouvrage n'oublie pas la répression « sauvage » par les milices bourgeoises apeurées : 20 paysans tués dans les affrontements, sans compter d'autres devant le château de Cormatin, 250 prisonniers, 32 pendaisons sur le terroir restreint de Tournus, Mâcon, Cluny. La justice « légale » continue le travail en août : deux autres pendaisons, une condamnation aux galères. L'amnistie des faits relatifs à , à la suite d'une démarche de 25 communes du Mâconnais est votée le par l'Assemblée constituante[15].

La Grande Peur en Vivarais

À partir de la mi-, les rumeurs se mêlent aux réalités: 10 000 Piémontais auraient envahi le Dauphiné, la France serait envahie par des brigands, des libelles courent « le roi fait brûler tous les châteaux, il n'en veut pas d'autres que le sien ». À partir du , des désordres se produisent à Rochemaure puis à Meysse. Le , les magistrats de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg en appellent au roi pour faire cesser les événements et énumèrent les châteaux brûlés, des monastères pillés les nobles molestés ou assassinés. Une figure émerge parmi ces brigands, celle de Degout-Lachamp, déjà condamné par contumace en 1783 à la suite de la révolte des Masques armés[16].

De nombreuses propriétés de seigneurs comme les de Bernis, les Vogüé, les d'Antraigues furent saccagées.

Ces événements se poursuivirent jusqu'en 1792 et il est difficile de faire la part entre ce qui était jacqueries classiques, action révolutionnaire et brigandage pur et simple.

Références

  1. 1 2 3 4 5 6 Jean-Clément Martin, Violence et révolution, Seuil, , p. 67-70.
  2. 1 2 Emmanuel Leroy-Ladurie, « Révoltes et contestations rurales en France de 1675 à 1788 », Annales, (lire en ligne).
  3. F. Furet et M. Ozouf, Dictionnaire critique de la révolution française : Évènements, Flammarion, , p. 193-204.
  4. Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, Armand Colin, .
  5. 1 2 Aux Archives départementales de Saône-et-Loire et dans les archives communales. Les AD du 71 publient également un dossier sur La Grande Peur en Saône-et-Loire.
  6. Lefebvre 2014.
  7. Lefebvre 2014, p. 118.
  8. 1 2 Lefebvre 2014, p. 140.
  9. Lefebvre 2014, p. 141.
  10. (en) Mary Kilbourne Matossian, Poisons of the Past : Molds Epidemics & History (Paper), New Haven, Yale University Press, (1re éd. 1989), 206 p. (ISBN 0-300-05121-2 et 978-0300051216).
  11. 1789. La ronde des brigands en Haut Mâconnais 1989, préfacé par Claude Mazauric, édité par une association locale « Vive 89 », paru en 1990.
  12. Op. cit., p. 26.
  13. Pautet et Bouillot 1990.
  14. Pautet et Bouillot 1990, Introduction, p. 3.
  15. Pautet et Bouillot 1990, p. 89.
  16. (en) « La Jacquerie dans le Vivarais de 1789 a 1793. : Simon Brugal : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive », sur Internet Archive (consulté le ).

Annexes

Bibliographie

Article connexe

  • La grande peur liée à l'an mil.