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Crâne phrénologique du XIXe siècle, Collection Gall (Musée d'anatomie de Lyon).

La phrénologie (du grec : φρήν, phrēn, « cerveau » et λόγος, logos, « connaissance », terme probablement forgé et utilisé pour la première fois par Thomas Ignatius Maria Forster en 1815[1]) est une théorie pseudo-scientifique selon laquelle les bosses du crâne d'un être humain reflètent son caractère. Son fondateur est Franz Joseph Gall.

En 1825, François Magendie qualifie la phrénologie de pseudoscience[2].

La théorie

Classement phrénologie du XIXe siècle
Illustration et définition de la phrénologie, Dictionnaire Webster 1895
Deux moulages de crânes de microcéphales, collection Gall, Musée d'anatomie de Lyon

La phrénologie est la théorie du neurologue allemand Franz Joseph Gall (1757-1828) concernant la localisation différenciée des fonctions cérébrales dans le cerveau. Il l'énonça dans son ouvrage majeur, par ailleurs novateur sur la notion de cérébralité animale, publié à partir de 1810 à Paris : Anatomie et physiologie du système nerveux en général, et du cerveau en particulier, avec des observations sur la possibilité de reconnaître plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration de leur tête[3].

Cette théorie localise les fonctions cérébrales dans des régions précises du cerveau. Or le développement du cerveau influe sur la forme du crâne. Une capacité particulièrement développée (gaieté, causalité, bienveillance, etc.) inscrirait donc sa trace sur la « carte » qui apparaît sur le crâne phrénologique de Gall.

Gall en eut l'intuition en observant les bosses que nous avons tous au niveau de la voûte crânienne. En fait, elles se forment au moment de la petite enfance, en fonction de la façon dont l'enfant est couché.

Il s'attacha à valider scientifiquement son hypothèse, en constituant notamment une collection de centaines de bustes en plâtre, moulés directement sur des sujets particuliers : microcéphales, « idiots », etc. Ses élèves et lui-même proposèrent des séries statistiques pour corréler les traits de caractère à la forme de la voûte crânienne, fondant une discipline baptisée « crânioscopie ». Ces études de céphalognomonie furent toutefois entachées de biais de sélection ou d'interprétation, que l'on peut attribuer à l'imperfection de la méthodologie de l'époque.

Réception de la théorie

En 1820, George Combe est parmi les fondateurs de la Phrenological Society of Edinburgh. En 1822, Charles Caldwell et J. C. Warren fondent la Central Phrenological Society de Philadelphie[4]. Charles Caldwell publie en 1824 Elements of Phrenology à Lexington.

En France

En France, la théorie de Gall est accueillie favorablement par les médecins de l'École de Paris qui recherchent une localisation lésionnelle organique à tout trouble nerveux[5]. Elle connaît son âge d'or après la révolution de Juillet, sous Louis-Philippe, comme l'atteste la formation de la société phrénologique de Paris le par le médecin François Broussais[6]. Mais, en dehors de la phrénologie médicale, elle reste un mouvement marginal : prisée dans certains milieux socialistes, notamment chez les fouriéristes, qui prônent un athéisme matérialiste, c'est selon eux une science démocratique qui ne se satisfait pas du déterminisme naturel, aussi n'est-elle pas mise en avant par les milieux politiques conservateurs[7] ; se voulant généraliste, elle se heurte à l'éclectisme philosophique de Victor Cousin ; enfin les théories localisationnistes de Gall sont contestées par le physiologiste Pierre Flourens qui dans son Examen de la phrénologie en 1842, critique méthodiquement cette doctrine[8] ; en déclin dans les années 1840, le mouvement phrénologique français commence à frayer avec le spiritualisme, le magnétisme animal et la métaphysique. Disqualifié, il disparaît à la Révolution de 1848[9].

De la phrénologie à la théorie du criminel-né

Dans cette époque où la systématique est reine, et dans le mouvement de la phrénologie, Cesare Lombroso (1835-1909) cherche à trouver une association statistique entre le faciès et les mœurs, en particulier lorsqu'elles sont douteuses [10]. Dans L'Homme criminel, criminel-né – fou moral – épileptique (1876, cinq éditions successives jusqu'en 1897), il évoque les formes « primitives » censées caractériser le vagabondage et la criminalité.

Les théories de Gall comme de Lombroso furent assez rapidement abandonnées, mais les techniques de mesure du corps humain (anthropométrie) en matière de médecine légale se développèrent dans un but d'identification.

Une grande partie des collections de Gall est la propriété de la Société nationale de médecine de Lyon, et est exposée au musée Testut-Latarjet d'anatomie de Lyon.

L'héritage de la phrénologie

L'élève de Gall, le phrénologue mouleur Pierre Marie Alexandre Dumoutier, conçut en 1836 le musée de la Société phrénologique de Paris dont la collection de moulages sera intégrée dans le Muséum National d'Histoire Naturelle[11].

Paul Broca (1824-1880) reprit à son compte la théorie des localisations fonctionnelles, notamment en étudiant l'aphasie éponyme dans des contextes traumatiques.

Certes, la phrénologie est une erreur dans son ensemble, mais la contribution de Gall à la physiologie nerveuse a été de premier ordre. Cela illustre d'ailleurs la réalité de la science, qui tâtonne par hypothèses, lesquelles peuvent à tout moment être affirmées ou infirmées, selon le principe cher à Popper. Par exemple, les travaux d'électrophysiologie du canadien Wilder Penfield ont permis d'identifier une correspondance entre la distribution des neurones du cortex moteur et l'organisation anatomique des muscles (le fameux homonculus de Penfield). Aujourd'hui, les techniques d'imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM fonctionnelle) continuent d'affiner la cartographie du cortex : le cerveau est constitué de zones fonctionnelles (centres de la parole, de la vue, etc.).

La phrénologie a eu de grandes répercussions sur les personnages du romantisme et particulièrement sur les longues descriptions balzaciennes où l'on retrouve les traits de caractère associé à leurs traits phrénologiques.

Il faut également retenir de la phrénologie qu'elle ouvrit la voie à la psychiatrie moderne, en ancrant l'esprit dans le corps. La mémoire populaire en a également conservé la trace avec des expressions comme « avoir la bosse des maths » ou « la bosse du commerce ».

Notes et références

  1. G. Spurzheim, Observations sur la phrénologie, Éditions L'Harmattan, , p. 6
  2. François Magendie, Précis élémentaire de physiologie, t. 1, Paris, Méquignon-Marvis, Libraire-éditeur, , 2e éd. (1re éd. 1816) (lire en ligne), p. 202
  3. F.J. Gall et G. Spurzheim, Anatomie et physiologie du système nerveux en général, et du cerveau en particulier : Avec des observations sur la possibilité de reconnoitre plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration de leurs têtes, vol. 1, Paris, F.Schoell, (lire en ligne)
  4. Georges Lanteri-Laura, Histoire de la phrénologie, PUF, 1993 (1970), p. 167.
  5. Marc Renneville, Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie, Les Empêcheurs de penser en rond, (ISBN 2-84324-143-X), p. 108
  6. Serge Nicolas, Histoire de la psychologie française, In Press, , p. 53
  7. (en) Martin Staum, Labeling People. French Scholars on Society, Race and Empire, 1815-1848, McGill-Queen's University Press, , p. 51-52.
  8. Serge Nicolas, op. cit., p. 84
  9. Michael Hagner, Des cerveaux de génie : une histoire de la recherche sur les cerveaux d'élite, Les Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, , p. 93
  10. Marc Renneville, « Le criminel-né de Cesare Lombroso : imposture ou réalité ? » in Criminocorpus, Autour des Archives de l’anthropologie criminelle, 2005. texte en ligne
  11. Erwin Ackerknecht, « P. M. A. Dumoutier et la collection phrénologique du Musée de l'Homme », Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, vol. 7, , p. 289-308.

Voir aussi

Bibliographie

  • Georges Lanteri-Laura, Histoire de la phrénologie, PUF, 1970.
  • (de) Frederik Liubenstein der Phrenologie und seine praktischen Anwendungen (De la Phrénologie et de ses applications pratiques), Brême, 1865.
  • (en) James P. Browne, Phrenology: and its application to education, insanity, and prison discipline, Londres, 1869.
  • (en) Orson Squire Fowler, Phrenology: a practical guide to your head, New York, Chelsea House, 1980, (ISBN 0877541434)
  • François Joseph Victor Broussais, Cours de phrénologie, Baillière, Paris, 1836 Texte en ligne sur Scientifica
  • Hippolyte Bruyères, La phrénologie, le geste et la physionomie, Paris, Aubert, 1847, 516 p.
  • Pierre-Marie-Jean Flourens, De la phrénologie et des études vraies sur le cerveau, Garnier, Paris, 1863, 304 p.
  • L. Forichon (abbé), Le matérialisme et la phrénologie : combattus dans leurs fondements ; et l'intelligence étudiée dans son état normal et ses aberrations, Loss, Paris, 1840, 383 p.
  • Franz Joseph Gall, Crâniologie, ou découvertes nouvelles concernant le cerveau, le crâne, et les organes (ouvrage traduit de l'allemand), Paris, 1807.
  • Marc Renneville, Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie, Paris, Sanofi-Synthélabo, coll. « Les Empêcheurs de penser en rond », 2000, 354 p., (ISBN 284324143X), [compte rendu en ligne].
  • Stephen Jay Gould,
    • The Mismeasure of Man, 1981 ; 1997, seconde édition revue et augmentée
    • (traduction française) La Mal-mesure de l'homme : l’intelligence sous la toise des savants, 1983 ; 1997, nouvelle édition revue et augmentée
  • Loïc Rignol, « La phrénologie et le déchiffrement des races : savoir, pouvoir et progrès de l’Humanité », dans Sarga Moussa (dir.), L'idée de "race" dans les sciences humaines et la littérature (XVIIIe - XIXe siècles) : actes du colloque international de Lyon, (16-), Paris, L'Harmattan, 2003, p. 225-238, (ISBN 2-7475-4350-1).
  • Johann Gaspar Spurzheim, Observations sur la phrænologie, ou, La connaissance de l'homme moral et intellectuel, fondée sur les fonctions du système nerveux, Treuttel et Würtz, Paris, Strasbourg, Londres, 1818, réédition : Paris, L'Harmattan, 2005.
  • Victor Frédéric Alexandre Ysabeau, Lavater et Gall. Physiognomonie et phrénologie rendues intelligibles pour tout le monde. Exposé du sens moral, des traits de la physionomie humaine et de la signification des protubérances de la surface du crâne relativement aux facultés et qualités de l'homme. Ouvrage accompagné de 150 figures dans le texte, Garnier, Paris, 1862?

Articles connexes

  • François Joseph Gall
  • Johann Gaspar Spurzheim
  • Muséum d'histoire naturelle d'Aix-en-Provence
  • Histoire de la connaissance du cerveau
  • Crâne humain
  • Physiognomonie
  • Classement thématique des neurosciences
  • Modularité de l'esprit
  • Pseudo-science

Liens externes