AccueilFrChercher
Comptage en duodécimal avec les phalanges.

Le système duodécimal, aussi appelé système dozénal ou base douze est un système de numération qui utilise douze comme base. Autrement dit, dans ce système, on compte en douzaines. Le nombre douze est donc écrit 10, représentant une douzaine et aucune unité, alors qu'en base dix, douze s'écrit 12 (pour une dizaine et deux unités). Écrire 12 dans un système duodécimal revient donc à écrire une douzaine et deux unités, soit 14 en base dix.

Ce système a quelques avantages par rapport au système décimal dominant fonctionnant en base dix, dans la mesure où il permet de diviser par 2, 3, 4, et 6 et d'obtenir un résultat avec un nombre fini de chiffres après la virgule (au lieu de seulement 2 et 5 en décimal).

Le nombre douze est le plus petit nombre avec quatre facteurs non triviaux (2, 3, 4, 6), ce qui fait qu'il est plus agréable et facile à utiliser pour des calculs comme les multiplications ou les divisions.

Description

En base douze, on utilise les dix chiffres de 0 à 9, et deux symboles variables pour représenter dix et onze. Il existe de nombreuses situations où A représente dix et B onze, mais d'autres symboles sont aussi employés.

À part A et B, on utilise souvent X (dix en chiffre romains) et E (pour eleven, onze en anglais), les chiffres ↊ (deux culbuté) et ↋ (trois culbuté) proposés par la Dozenal Society of America (DSA), les lettres α (lettre grecque alpha minuscule) et β (lettre grecque bêta minuscule), les lettres T (de l'anglais ten) et E (de l'anglais eleven) ou les lettres X (chiffre romain dix) et Y (qui suit la lettre X).

Alors que le décompte de certaines quantités comme les heures, les œufs ou les huîtres par douzaines est fréquent, l'utilisation d'un système en base douze n'est pas courante. On en trouve pourtant un exemple pratique utilisé dans la langue du Népal. Dans le passé, les Romains, malgré le décompte en base dix, utilisaient le système duodécimal pour représenter les fractions.

Histoire

Métrologie

« Douze » est un nombre qui a été utilisé dans divers aspects historiquement.

En latin par exemple, il existe un grand nombre de noms et d'adjectifs pour désigner des ensembles de douze unités[1](duodecim[note 1]), ce qui montre la familiarité du décompte par douze. Cependant, le latin nomme le nombre « quatre fois trois » comme « dix plus deux » plutôt que « nombre indépendant », et le traite comme un « accessoire de dix ».

  • duodecajugum : attelage de douze coursiers ;
  • duodecas : douzaine ;
  • duodecennium : période de douze ans ;
  • duodecemvir : collège de douze magistrats ;
  • etc.

Des exemples de cet usage sont les douze mois de l'année, les douze heures d'une montre (découpage de la nuit et du jour en douze heures basé sur le décan en Égypte antique[2]), les douze divisions traditionnelles du temps dans une journée en Chine, les douze signes du zodiaque de l'astrologie, les douze signes du zodiaque de l'astrologie chinoise, etc. Il s'utilise encore dans le commerce (douzaine, grosse[3] pour douze douzaines ou 122).

Certaines populations (Moyen-Orient, Roumanie, Égypte, etc.) connaissent ce système de longue date en comptant les phalanges de la main en omettant celles du pouce (qui est utilisé pour pointer les phalanges des autres doigts). Ce qui donne bien le chiffre douze, base de cette numération[4].

L'avantage d'une divisibilité en quotients entiers explique que les systèmes de mesure aient longtemps comporté des sous-multiples en douzièmes (douze pouces dans un pied, douze pence dans un shilling, douze deniers dans un sou, douze pièces dans une douzaine, douze douzaines dans une grosse, douze grosses dans une grande grosse, etc.).

Durant la révolution française, quand il a été question d'unifier les systèmes des poids et mesures, l'Assemblée Nationale a demandé à l'Académie des sciences de présenter un rapport sur cette réforme. Les académiciens Jean-Charles de Borda, Antoine Lavoisier, Mathieu Tillet et Nicolas de Condorcet, dans leur rapport de 1790, ont envisagé un temps de prendre le système duodécimal comme système arithmétique, avant d'y renoncer devant la difficulté de son acceptabilité[5], [6].

À quelques rares exceptions près, dont celle notable des États-Unis d'Amérique, ces systèmes ont été abandonnés partout, au profit du système décimal. Le Royaume-Uni a, par exemple, adopté la décimalisation de sa monnaie, la livre sterling, en 1971.

Numération orale

On ne trouve pas trace de système d'énonciation des nombres qui soit complètement duodécimal. Cependant on trouve quelques indices de douze nombres de base et, dans quelques peuples, très localisés, une utilisation occasionnelle du système duodécimal.

Les langues germaniques ont douze nombres de base. Contrairement aux langues romanes ou slaves où les mots pour onze et douze signifient en fait respectivement « dix et un » et « dix et deux » (« undici », « dodici » en italien, suivis par « tredici » ; « odinnadsať », « dvenadsať » en russe, suivis par « trinadsať »), on dit « eleven », « twelve » en anglais, « elf », « twaalf » en néerlandais, selon un modèle différent de la série de nombres suivants (« thirteen, fourteen, fifteen… » en anglais, qui signifient tous « dix et trois, dix et quatre, dix et cinq… »).

H. F. Mathews, en 1917, communique sur des tribus du peuple Nungu, dans la province de Nassawara au nord du Niger et signale la construction de 13 , 14, 15 etc. et 24, 36, etc. à l'aide 12 (oso) et 1 (iri), 2 (aha ), 3 (acha) etc. selon le principe suivant[7]:

  • 13 = oso shi iri, 14 = oso shi aha, etc.
  • 24 = oso aha, 36 = oso acha, etc.

De même, Ross C. Caughley en 1972, étudiant le peuple sino-tibétain Chepang, signale l'utilisation occasionnelle de décompte en base duodécimale[8] que Martine Mazaudon, en 2008, analyse comme suit[9]

  • 15 = yat hale sum.jyo? (un douze + trois)
  • 29 = nis hale ponja.jyo? (deux douze + cinq)
  • 60 = ponja hale (cinq douze).

Arithmétique

Peu de temps après la généralisation du système décimal positionnel en Europe, les mathématiciens commencent à s'intéresser aux systèmes de numération non décimaux.

Dans ses Récréations mathématiques[10], Édouard Lucas mentionne Simon Stevin comme ayant imaginé dès le début du XVIIe siècle un système de numération duodécimal avant de devenir un farouche promoteur du système décimal dans son ouvrage La Dîme. Cependant, selon Anton Glaser[11], il n'y aurait pas de telle mention dans les œuvres mathématiques de Stevin[12].

Une des premières traces de la possibilité de traiter l'arithmétique dans d'autres bases que la base décimale[13] se trouve dans un article de 1654 de Blaise Pascal sur un critère de divisibilité, De numeris multiplicibus. Après avoir exposé son critère en base dix, il explique que celui-ci est plus général et peut s'appliquer à d'autre bases[note 2] comme la base douze, exemple à l'appui. À cette occasion, il expose le principe de la base duodécimale, indiquant la nécessité de deux symboles pour les chiffres dix et onze[14].

En 1670, dans son ouvrage Mathesis biceps, Juan Caramuel y Lobkowitz consacre tout un chapitre aux numérations non décimales, se concentrant principalement sur la base 2 mais évoquant également les bases trois, quatre, cinq, sept, huit, neuf, dix, onze, douze et soixante[15]. Mais c'est un certain Joshua Jordaine qui, en 1687, dans son Duodecimal arithmetick, va pousser le plus loin l'exploitation d'une écriture fractionnaire duodécimale et en faire la promotion la jugeant plus adaptée aux systèmes métrologiques en vigueur[16]. Il conserve la notation décimale pour la partie entière et utilise la notation duodécimale pour la partie fractionnaire[17] sans pour autant inventer de symboles particuliers pour dix et onze, se contentant d'isoler les chiffres par des séparateurs[18]. Il présente les opérations classiques (4 opérations, technique de conversion de base décimale en base duodécimale[19], extraction de la racine carrée et cubique, etc.) et expose son utilisation possible dans les systèmes métrologiques existants.

À partir du XVIIIe siècle, on trouve de nombreux exemples sur le système duodécimal dès que les ouvrages traitent d'écriture en base a quelconque (Étienne Bézout[20], Peter Barlow[21], Isaac Pitman[22], John W. Nystrom[23], Herbert Spencer[24], etc.). Certains de ces auteurs le trouvent logiquement plus adapté que le système décimal.

Plaidoyer pour le dozénalisme

Il existe deux organismes : la Dozenal Society of America (DSA) et la Dozenal Society of Great Britain (DSGB) qui font la promotion du système dozénal en affirmant qu'un système en base douze est meilleur que le système décimal tant du point de vue mathématique que pour les questions pratiques. En effet 2, 3, 4, 6 sont des diviseurs de douze, ce qui facilite la mise en fraction. Comparé aux diviseurs 2 et 5 du système décimal, le système duodécimal offre plus de possibilités.

Un temps dozénal (ou duodécimal) et son horloge[25] ont également été proposés.

Fractions

La base 12 permet de présenter les inverses des entiers 2, 3, 4, 6, 8, 9, 12, dans un développement fini

  • 1/2 = 0,6
  • 1/3 = 0,4
  • 1/4 = 0,3
  • 1/6 = 0,2
  • 1/8 = 0,16
  • 1/9 = 0,14
  • 1/10 = 0,1

Les inverses de 5, 7, A (= 10 en base décimale) et B (= 11 en base décimale) ont, eux, un développement périodique illimité

  • 1/5 = 0,24972497...
  • 1/7 = 0,186A35186A35 ....
  • 1/A = 0,124972497...
  • 1/B = 0,11....

En duodécimal (= 2 ᛫ 2 ᛫ 3), comme en sénaire, les fractions dont les dénominateurs sont des puissances de 2 ou 3 ou des produits de puissances de 2 ou 3 ont une représentation finie[26] :

  • 1/8 s'exprime exactement avec un nombre fini de chiffres après la virgule : 0,16.
  • 1/16 (décimal : 1/18) s'écrit 0,08
  • 1/18 (décimal : 1/20) nécessite un développement périodique illimité car son dénominateur inclut 5 dans sa décomposition.

Notes et références

Notes

  1. Outre sa signification numérique, le terme duodecim est une métonymie utilisée pour désigner la Loi des douze tables, le fondement du droit romain.
  2. Il l'avait annoncé en remarque préliminaire : « cette méthode s'applique non seulement à notre système décimal de numération (système qui repose non sur une nécessité naturelle, comme le pense le vulgaire, mais sur une convention, d'ailleurs assez malheureuse) mais encore à tout système de numération ayant pour base tel nombre qu'on voudra. »

Références

  1. Dictionnaire Gaffiot, p. 569.
  2. Jean-Pierre Verdet, Histoire de l'astronomie ancienne et classique, Presses universitaires de France, , p. 16.
  3. Voir l'article « grosse » sur le Wiktionnaire.
  4. Dirk Huylebrouck, Afrique et Mathématiques, Asp, Vubpress, Upa, , p. 67
  5. « Rapport fait à l'Académie des Sciences, par MM Borda, Lagrange, Lavoisier, Tillet et Condorcet le 27 octobre 1790 », dans Histoire de l'Académie Royale des sciences, vol. 91 (lire en ligne), p. 6
  6. Glaser 1981, p. 71-72.
  7. (en) H. F. Mattews, « Notes on the Nungu tribe, Nassawara Province, northern Nigeria, and the neighboring tribes which use the duodecimal system of numeration », Harvard African Studies, vol. 1, , p. 83-94 (lire en ligne), pages 93 et 94
  8. (en) Ross Gaughley, « A Vocabulary of the Chepang Language Chepang -a Sino-Tibetan language with a duodecimal numeral base? », Prosodic Analysis and Asian Linguistics, , p. 197-199
  9. Martine Mazaudon. Number building in Tibeto-Burman languages, 2008, halshs-00273445, p. 16
  10. Édouard Lucas, Récréations mathématiques, vol. 3, (lire en ligne), Quatre hommes et un caporal.
  11. Glaser 1981, p. 14.
  12. Œuvres accessibles sur le site Iris de la bibliothèque numérique en histoire des sciences de Lille.
  13. Commentaire des éditeurs sur l'article de Pascal.
  14. Voir, dans le 3e volume de l'édition des Œuvres de Pascal par Léon Brunschvicg et Pierre Boutroux, les pages 337-339 de la version originale en latin et sa traduction en français de De Numeribus Multiplicibus, disponible sur Wikisource.
  15. Glaser 1981, p. 20.
  16. Glaser 1981, p. 170.
  17. Pour un exemple voir (en) Mr. Jordaine's Duodecimal Arithmetick, (lire en ligne), p. 4.
  18. Glaser 1981, p. 25.
  19. Glaser 1981, p. 27.
  20. Glaser 1981, p. 64-65.
  21. Glaser 1981, p. 80-82.
  22. Glaser 1981, p. 88.
  23. Glaser 1981, p. 88-89.
  24. Glaser 1981, p. 110.
  25. « Dozenal clock », sur Dozenal society.
  26. Charles Briot, Leçons nouvelles d'arithmétique, C. Delagrave et cie, , p. 307

Annexes

Bibliographie

  • (en) Anton Glaser, History of Binary and Other Nondecimal Numeration, Thomash Publishers, (lire en ligne)

Liens externes