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Pacte germano-soviétique
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Staline et Ribbentrop se serrant la main après la signature du pacte au Kremlin de Moscou.
Langues Russe et allemand
Signé
Moscou (URSS)
Modifications territoriales prévues et effectuées sous les auspices du Pacte.
Conséquences territoriales et démographiques du pacte germano-soviétique.

Le Pacte germano-soviétique, officiellement traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique, est un accord diplomatique signé le à Moscou, par les ministres des Affaires étrangères allemand, Joachim von Ribbentrop, et soviétique, Viatcheslav Molotov, en présence de Joseph Staline. Des protocoles additionnels seront signés le et le .

Il est également connu sous les dénominations de pacte Molotov-Ribbentrop, pacte Ribbentrop-Molotov (surtout en Occident), pacte Hitler-Staline (surtout dans les pays concernés) et Pacte de non-agression de 1939 (dans les sources soviétiques et apparentées[alpha 1]).

Il fait suite aux accords de Munich de 1938 entre Hitler et les pays occidentaux, menant au démantèlement de la Tchécoslovaquie, et à l'échec des négociations soviéto-occidentales en vue d'une éventuelle alliance contre l'Allemagne nazie. Outre un engagement de neutralité en cas de conflit entre l'une des deux parties et les puissances occidentales, le Pacte germano-soviétique comportait un protocole secret, qui délimitait entre les deux pays des sphères d'influence, et dont la mise en œuvre se traduira par l'invasion, l'occupation et l'annexion de certains États ou territoires (Pologne, Finlande, pays baltes, Bessarabie). Signé pendant l'offensive soviétique contre les Japonais en Mongolie, le pacte dégrade notablement la relation entre l'Allemagne et le Japon et met un terme aux plans antisoviétiques japonais.

Le pacte est brisé le , par la décision d'Hitler d'attaquer l'URSS en déclenchant l'opération Barbarossa, laquelle entraîne une alliance soviétique immédiate avec le Royaume-Uni.

Le contexte international menant à la signature du pacte

Guerre d'Espagne et chute de Madrid

Engagée en soutien de la République d'Espagne contre les forces de Franco et ses alliés fascistes, l'URSS perd progressivement sur ce théâtre l'avantage technique face à une Allemagne dont l'industrie militaire tourne à plein régime depuis 1935, année où ce dernier pays s'affranchit du traité de Versailles. À partir de 1937, les blindés soviétiques rencontrent d'importantes difficultés face à l'arrivée de nouveaux canons antichars allemands et les avions sont rendus obsolètes par les nouveaux HE-111 et ME-109 allemands. La guerre d'Espagne fait comprendre aux Soviétiques que leur industrie militaire n'est pas prête à un conflit majeur. L'inaction des démocraties occidentales envoie également un signal négatif à Moscou[1]. Madrid tombe fin .

Échec des négociations pour une sécurité collective en Europe

Entre 1932 et 1938, les diplomates soviétiques s'efforcent, sans succès, de convaincre les autorités britanniques de constituer une alliance antifasciste. Cette politique est en revanche bien accueillie par le ministre français des Affaires étrangères, Louis Barthou, et permet des négociations qui aboutissent en 1935 au traité franco-soviétique d'assistance mutuelle. Toutefois, l’assassinat de Louis Barthou par l’extrême droite yougoslave conduit à son remplacement par le très anti-communiste Pierre Laval. Dans les années 1930, la montée des conflits sociaux en France fait craindre à Moscou un virage à droite des élites, voire leur conversion au fascisme. Avec la victoire du Front populaire, la diplomatie soviétique tente de ranimer l'idée d'une alliance antifasciste qui pourrait également inclure le Royaume-Uni ; pourtant, après son entretien avec Léon Blum, Maxime Litvinov confie à Staline que le président du Conseil français lui a donné « une impression de fatigue et de fatalisme d'outre-tombe ». Quant aux discussions militaires franco-soviétiques, qui avaient constamment été reportées par les autorités françaises, Léon Blum estime qu'elles sont « sabotées » par les généraux et par son ministre de la Défense, Édouard Daladier, qui le remplacera peu après en s'alliant avec la droite[2].

À partir du printemps 1939, les Occidentaux font des concessions pour obtenir l'alliance avec les Soviétiques, tandis que Staline pose ses conditions : pouvoir occuper les États baltes et la Bessarabie, et une convention militaire avant tout accord politique, exigences déjà formulées dans le plan proposé par Litvinov le [3]. La possibilité d'une intervention alliée était cependant peu crédible : ni la France du général Maurice Gamelin avec la stratégie défensive de la ligne Maginot, ni la puissance principalement navale du Royaume-Uni ne semblaient pouvoir ou vouloir intervenir à l'Est sur les terres finnoises, baltes, polonaises ou roumaines menacées. Le comité des chefs d'état-major britannique lui-même établissait « l'impossibilité absolue d'assurer une protection militaire efficace de la Pologne »[4].

Accords de Munich et déclaration Bonnet-Ribbentrop

Lors de la crise tchécoslovaque — le pays étant menacé d'invasion par l'Allemagne nazie — l'URSS réclame la tenue immédiate de négociations militaires entre des représentants des forces soviétiques, françaises et tchécoslovaques, ainsi que l'inscription de la crise à l'ordre du jour de l'assemblée générale de la SDN. L'ambassadeur soviétique Ivan Maïski indique que son pays est disposé à apporter une aide militaire à la Tchécoslovaquie à condition que la France intervienne également, ce qu'elle refuse[2].

Le , la France et l'Angleterre (représentées respectivement par Daladier et Chamberlain) signent les accords de Munich avec l'Allemagne nazie et l'Italie (représentées respectivement par Hitler et Mussolini), laissant le champ libre aux nazis pour annexer la région des Sudètes en Tchécoslovaquie, peuplée d'importantes minorités allemandes. La proposition de Staline d'envoyer des troupes aider la Tchécoslovaquie se heurte au refus de la Pologne du colonel Beck et de la Roumanie du roi Carol II de laisser passer l'Armée rouge, ces deux pays craignant que les revendications soviétiques sur leurs territoires orientaux dont l'annexion fut consacrée en 1920 par les traités de Rīga et Paris, ne se transforment en occupation.

Ribbentrop signe le avec le gouvernement français, représenté par Georges Bonnet, une déclaration exprimant leur volonté de « collaboration pacifique »[5], aux termes de laquelle les parties s’engagent à se concerter mutuellement sur les questions intéressant les deux pays en cas de difficultés internationales et considèrent leurs frontières comme définitives[6] ; de l'autre côté, la recherche de son « espace vital », la rhétorique agressive de Hitler, la classification des Slaves comme « sous-hommes » menacent non seulement la Tchécoslovaquie et la Pologne, mais aussi l'URSS.

Échec des négociations soviétiques avec la Finlande

En , l'URSS entame des négociations avec la Finlande[alpha 2]. Les Soviétiques, trouvant la frontière finlandaise trop proche de Leningrad, à seulement 32 km, lui proposent d'échanger des terres au nord-ouest de Leningrad jusqu'à une ligne Koivisto-Kaarlahti et la presqu'île de Hanko contre une bande de territoire équivalente en Carélie soviétique, offre que la Finlande refuse.

Menaces japonaises sur l'Est soviétique

L'URSS se confronte depuis plusieurs années au Japon, membre depuis 1936 du Pacte anti-Komintern. Les Soviétiques soutiennent la Chine contre le Japon, qui s'est emparé en 1931 de la Mandchourie. La confrontation donne lieu à un important conflit frontalier. En 1938 les deux pays s'affrontent à la bataille du lac Khassan. Après les accords de Munich, le Japon accélère ses démarches pour la signature d'une alliance tripartite contre l'URSS, qui échoue face aux réticences de l'Italie, laquelle préférerait une confrontation avec la France, l'Angleterre et les Etats-Unis. Les Soviétiques craignent d'avoir à combattre sur deux fronts[7]. A partir du , Soviétiques et Japonais s'affrontent à Khalkhin Gol. Au moment de la signature du pacte, les Soviétiques, menés par Joukov, encerclent les armées japonaises à la suite de l'offensive qu'ils avaient lancée trois jours auparavant.

Étapes du rapprochement entre l'Allemagne et l'URSS

La position favorable de l'URSS dans ses négociations avec l'Allemagne s'accroît avec le temps : Hitler a en effet ordonné l'invasion de la Pologne pour le et ses généraux ainsi que Ribbentrop le poussent à pactiser avec Staline. Les négociations piétinent jusqu'à ce qu'Hitler intervienne personnellement dans la discussion diplomatique pour que l'accord se fasse[8]. En URSS, Viatcheslav Molotov remplace le ministre des Affaires étrangères Maxime Litvinov, favorable à une alliance avec les démocraties occidentales et dont les origines juives sont, en outre, mal vues par les nazis.

23- : Signature du pacte et conversations entre Staline, Molotov et Ribbentrop

La relation de l'URSS avec le Japon fut le premier point de discussion entre Staline et Ribbentrop dans la nuit suivant la signature du pacte, Staline exprimant le désir d'une médiation allemande pour améliorer les relations avec les Japonais tout en déclarant : "Si le Japon désire la guerre, il l'aura."[9] Ribbentrop le rassura en lui expliquant que le pacte anti-Komintern n'était pas dirigé contre l'Union soviétique et que l'Italie voyait le pacte d'un très bon œil. Les autres points de discussion portaient sur les capacités militaires françaises et britanniques, la position de la Turquie, et les ambitions italiennes concernant la Grèce, après s'être emparée de l'Albanie.

Contenu

Clause de non-agression

Le pacte proclamait un renoncement au conflit entre les deux pays ainsi qu'une position de neutralité dans le cas où l'un des deux pays signataires était attaqué par une tierce partie. Chaque signataire promit de ne pas rassembler de forces qui seraient « directement ou indirectement dirigées contre l'autre partie ».

Protocoles secrets

Ces protocoles délimitaient les sphères d'influence de l'Allemagne nazie et de l'URSS dans les pays situés entre eux (Scandinavie, pays baltes, Pologne, Roumanie, Finlande). La ligne d'un éventuel partage de la Pologne, si réorganisation territoriale il devait y avoir, était également spécifiée. Ce partage eut effectivement lieu après que l'Allemagne nazie eût envahi la Pologne le , suivie par l'URSS le . La ligne de partage se trouvait un peu à l'ouest de la ligne Curzon, qui avait été proposée par la Grande-Bretagne pour séparer la Pologne de la Russie après la guerre russo-polonaise de 1920[alpha 3].

  • Caricature polonaise montrant Ribbentrop baisant la main de Staline devant Molotov applaudissant.
    Caricature polonaise montrant Ribbentrop baisant la main de Staline devant Molotov applaudissant.
  • « Combien de temps la lune de miel va-t-elle durer ? » Caricature de Clifford Berryman, The Washington Star, 9 octobre 1939.
    « Combien de temps la lune de miel va-t-elle durer ? » Caricature de Clifford Berryman, The Washington Star, 9 octobre 1939.
  • Molotov et Ribbentrop à Berlin en 1940.
    Molotov et Ribbentrop à Berlin en 1940.
  • Texte du protocole secret en allemand.
    Texte du protocole secret en allemand.

Par ce traité, la Gestapo s'engageait aussi à livrer au NKVD les réfugiés russes (Russes blancs ou dissidents) présents sur le territoire allemand et réclamés par l'URSS. En échange, l'URSS livrait à l'Allemagne de nombreux réfugiés antifascistes allemands et autrichiens vivant en URSS (ce fut le cas de Margarete Buber-Neumann et de la figure du Parti communiste d'Autriche, Franz Koritschoner).

Gains territoriaux et échanges économiques

Chaque partie trouva, durant deux ans, son intérêt dans ce pacte.

D'un côté, l'URSS put s'agrandir sans combattre de 388 892 km2 aux dépens des pays baltes (166 583 km2), de la Pologne (172 171 km2) et de la Roumanie (50 138 km2), avancer sa frontière vers l'ouest de 300 km en moyenne et, selon Molotov, qui ne regrettera jamais de l'avoir signé, se préparer à une guerre jugée inévitable après l'échec d'une alliance avec la France et l'Angleterre.

De l'autre côté, ce pacte permettait au Troisième Reich de rapatrier des divisions, notamment blindées, vers l'ouest, sans craindre une attaque soviétique venant de l'est. Les Allemands purent ainsi envahir en mai 1940 la France par un Blitzkrieg, avant de se retourner l'année suivante contre l'URSS lors de l'opération Barbarossa, le , rompant ainsi de facto le pacte. Les échanges économiques entre l'Union soviétique et l'Allemagne nazie furent très importants à la suite du pacte, ce qui permit à Berlin d'accumuler des réserves de matières premières dont son industrie et son armée avaient grand besoin pour continuer à fonctionner et poursuivre son réarmement, comme le montre le tableau ci-dessous[10].

Stocks allemands (milliers de tonnes) en juin et avec ou sans les importations soviétiques
Total importations
soviétiques

Stocks allemands
(sans les
importations soviétiques)

Stocks allemands
(sans les
importations soviétiques)
Produits pétroliers 9121 350438905-7
Caoutchouc 18,813,8-4,912,1-6,7
Manganèse 189,520515,5170-19,5
Céréales 1 637,11 381-256,1761-876,1

Deuxièmement, l’accord commercial avec l’Allemagne n’est qu’un accord pour une transaction commerciale à la suite de laquelle les exportations de l’URSS vers l’Allemagne se montent à 500 millions de marks ; ledit traité est économiquement avantageux pour l’URSS, puisqu’elle reçoit de l’Allemagne une grande quantité d’armement, de machines-outils, d’équipement, dont la vente lui fut invariablement refusée à la fois par l’Angleterre et par la France.

Plusieurs historiens russes[11] soutiennent que l'URSS espérait par ce pacte détourner la fureur nazie vers l'Europe occidentale. Ils arguent notamment du fait que jusqu'à la veille de l'attaque allemande, les commissaires politiques ont continué à « purger » l'Armée rouge de certains de ses officiers les plus compétents, que le NKVD a continué d'arrêter comme « saboteurs » les ingénieurs en armement et aviation qui soulignaient le danger nazi, et que le Politburo se méfiait des avertissements d'agents de renseignement soviétiques comme Richard Sorge[12] ou Leopold Trepper.

Conséquences à court terme

Démission du gouvernement japonais et armistice

Les Japonais sont stupéfaits de la signature du pacte. Ils n'avaient été mis au courant des négociations que le au soir. Alors que leurs forces sont encerclées par les Soviétiques à Khalkhin Gol, la nouvelle de la signature provoque une grave crise gouvernementale. Le cabinet Hiranuma, qui espérait un ralliement de l'Allemagne à une guerre contre les Soviétiques, démissionne le . Le nouveau gouvernement du général Nobuyuki Abe dénonce une "trahison" et proclame vouloir mener une "politique étrangère indépendante"[13]. La défaite à Khalkhin Gol et la signature du pacte contraignent le Japon à renoncer à son plan d'alliance anti-soviétique et à réorienter sa politique vers le Sud-Ouest asiatique. Le , un armistice est signé entre le Japon et l'Union soviétique.

Invasion puis partage de la Pologne

Carte du protocole secret convenu entre Ribbentrop et Molotov, telle que révélée dans le quotidien soviétique Izvestia paru le .

Le , douze jours après l'invasion soviétique et près d'un mois après l'invasion allemande, l'Allemagne signe avec l'URSS le « Traité germano-soviétique de délimitation et d'amitié »[14], qui définit la collaboration, redessine les zones d'influence et les frontières entre les deux puissances entrainant de facto, une disparition de la frontière entre la Russie et la Pologne. C'est, à peu de détails près, la frontière actuelle de la Pologne qui est retenue (à l'ouest de la ligne Curzon de 1920 : cette frontière actuelle est dénommée « ligne Curzon A » par les sources soviétiques qui appellent « ligne Curzon B » le tracé de 1920 laissant à la fois Bialystok et Lwów à la Pologne).

Les gouvernements s'entendent aussi sur la possibilité d'échanges de personnes citoyennes ou d'origine de l'autre pays de se déplacer vers la nation de leur préférence, avec préservation de leurs droits à propriété[14].

Également, le territoire de la Lituanie est transféré dans la zone d'influence de l'Union soviétique, tandis que la voïvodie de Lublin et des parties de celle de Varsovie passent sous contrôle allemand (une nouvelle carte signée par les deux parties est jointe au protocole). Une petite partie du territoire lituanien reste néanmoins dans la zone allemande et les accords commerciaux ne sont pas annulés[14].

Le protocole stipule également que les deux parties avaient l'obligation de prendre des mesures pour prévenir et empêcher toute action de la résistance polonaise à l'encontre du cosignataire. Des consultations mutuelles à propos de toutes les actions répressives qui sembleraient utiles étaient prescrites :

« Aucune des deux parties n'autorisera sur son territoire d'agitation polonaise susceptible d'affecter le territoire de l'autre pays. Elles mettront un terme à une telle agitation sur leur territoire respectif et informeront l'autre partie des moyens mis en œuvre pour y parvenir. »

Ces moyens firent l'objet d'échanges constants entre la Gestapo et le NKVD, durant tout l'hiver 1939-1940, moment à partir duquel chacun des deux occupants s'appliquera à se débarrasser des élites polonaises. Les Allemands mettent en avant des critères raciaux, les Soviétiques des critères sociaux (par exemple, les officiers polonais prisonniers sont massacrés à Katyn). L'Église catholique, l'un des piliers de l'identité polonaise, est persécutée par les deux parties.

L'Allemagne nazie et l'URSS avaient ainsi décidé de la quatrième partition que la Pologne a connue dans son Histoire.

L'invasion de la Finlande

L'URSS relança le les pressions sur la Finlande lancées en , pour se faire céder l'isthme de Carélie et une base navale dans le Sud-Ouest du pays : le , l'URSS propose de louer pour trente ans le port de Hanko, qui commandait l'entrée du golfe de Finlande et permettrait aux Soviétiques de contrôler celui-ci. Le recul de la frontière sur l'isthme de Carélie (laissant cependant une partie de la frontière sur la ligne Mannerheim) fut également exigé, sous prétexte de mettre Léningrad hors de portée d'une artillerie lourde ennemie. Enfin, l'URSS demanda une rectification de frontière à l'extrême nord afin de contrôler les abords du port de Mourmansk, seul port soviétique utilisable toute l'année. Au total, c'est 2 750 km2 que demandait l'URSS à la Finlande, proposant de lui céder en échange 5 527 km2 autour de Repola et Porajorpi.

La Finlande refusa en arguant qu'elle était liée à l'URSS par le Pacte de non-agression de 1932 et capable de repousser elle-même toute invasion ennemie, sans avoir à céder des territoires pour cela. En réponse, le , l'URSS dénonça le pacte entre les deux pays et franchit la frontière le , entamant sans sérieux préparatifs militaires la guerre d'Hiver[15].

L'invasion des pays baltes

L'URSS ne revendiquait pas les pays baltes devenus indépendants de la Russie en 1918 mais, comme pour la Finlande, exigea d'eux, à partir de 1938, la cession, sous prétexte de sécurité stratégique, de bases navales et aériennes dans les îles Hiiumaa-Saaremaa, à Talinn, Riga et sur la côte de Courlande. Dès le début des négociations du pacte Hitler-Staline, les Soviétiques massent des troupes aux frontières de l'Estonie, de la Lettonie et de la Pologne. La Lituanie n'avait alors pas de frontière avec l'URSS et la première version du pacte Hitler-Staline l'attribuait à l'Allemagne nazie, en raison de sa proximité avec la Prusse-Orientale.

Après l'invasion de la Pologne, la seconde version du Pacte attribue les trois pays baltes à l'URSS. Sous la pression diplomatique conjointe du Troisième Reich et de l'URSS, un « pacte de défense et d'assistance mutuelle » qui permit à l'URSS de disposer de leurs ports et de stationner des troupes sur leurs territoires[16], traité signé respectivement le , le et le , pour des durées de dix ans pour l'Estonie et la Lettonie et quinze ans pour la Lituanie. L’évasion hors d'Estonie de l’équipage de l’« Orzel », sous-marin polonais qui avait été interné à Tallinn, est considérée par l'URSS comme un casus belli de la part de l'Estonie, démontrant ouvertement que l'URSS était alors l'alliée objective de l'Allemagne nazie. Le , le et le , les premières troupes soviétiques entrent en Estonie, en Lettonie et en Lituanie conformément au Pacte[17],[18],[19].

Concernant la Lituanie, un protocole supplémentaire du (signé en même temps qu'un accord d'échanges de matières premières, selon l'accord économique du ) stipule que l'Allemagne renonce à la part du territoire lituanien à laquelle elle avait droit par l'avenant au pacte du , moyennant des dédommagements versés par l'Union soviétique : 7,5 millions de dollars-or, dont un huitième sous la forme de livraisons de métaux non-ferreux dans un délai de trois mois, les sept huitièmes restants venant en déduction des paiements que l'Allemagne devait honorer avant le [14].

Cession de la Bessarabie à l'URSS par la Roumanie

L'Union soviétique n'avait jamais reconnu l'annexion des territoires de la République démocratique moldave par la Roumanie en 1918, n'étant pas signataire du traité de Paris (1920). En revanche, l'URSS n'avait pas de revendications sur la Bucovine du Nord ni sur l'arrondissement de Hertsa qui furent pourtant également annexés à la faveur du Pacte. Le , le ministre des Affaires étrangères soviétique, Viatcheslav Molotov, remet un ultimatum à Gheorghe Davidescu, ambassadeur de Roumanie à Moscou, dans lequel l'URSS exige la cession de la Bessarabie et de la Bucovine du Nord dans les 24 heures qui suivent[20],[21],[22].

Les frontières roumaines avaient été garanties le par le Royaume-Uni et la France mais cette dernière venait de s'effondrer, et le premier, soumis au Blitzkrieg aérien, semblait sur le point de succomber à son tour. La Roumanie avait fait transiter par son territoire, en , les restes de l'armée polonaise, le gouvernement et le trésor national de la Pologne, emmenés à Alexandrie (en territoire britannique) par le Service maritime roumain : elle était donc considérée comme « hostile » tant par Hitler (dont l'ambassadeur à Bucarest, von Killinger, « conseille vivement » aux Roumains d'« accepter l'ultimatum soviétique, afin d'éviter une invasion militaire à grande échelle ») que par Staline[23]. Le roi Carol II obtempère et le , l'URSS occupe les territoires qu'elle exigeait et même un peu plus (arrondissement de Hertsa).

Répercussions en France

Pour les dirigeants français, ce pacte unissant deux dictateurs contre des pays amis de la France, est aussi inquiétant que surprenant : Henri Amouroux raconte qu'Édouard Daladier croit d'abord à une plaisanterie[24]. Le Parti communiste français, suivant les directives de Moscou, soutient et tente de justifier ce pacte, par exemple grâce aux plumes de Jean Bouvier ou de Jean Gacon. Position que tous les militants n'acceptent pas : dans les jours qui suivent, certains militants communistes déchirent leur carte, 22 parlementaires (sur 74) démissionnent du parti, les autres sont déchus de leur mandat. Malgré cela et en dépit des propos patriotiques rassurants des dirigeants communistes, notamment de Marcel Cachin, Édouard Daladier interdit la presse communiste dès le et décide la dissolution du parti le .

Débats des historiens autour du pacte

Les raisons pour lesquelles l'URSS va conclure le Pacte sont l'objet de débats qui doivent beaucoup à la divergence entre les sources soviétiques postérieures (ou suivant le point de vue soviétique) pour lesquelles le pacte visait à retarder au maximum le conflit afin de tenter de rattraper son retard technologique, et les autres pour lesquelles Staline souhaitait simplement faire monter les enchères en négociant tant avec les Alliés qu'avec l'Axe, afin de récupérer à bon compte les territoires perdus par les tsars (Finlande, pays baltes, Pologne orientale, Bessarabie) en profitant de l'inaction des Occidentaux grâce à une complicité active avec le Reich. Selon l'historien Adam Ulam, l'événement décisif à l'origine du Pacte serait la garantie, fin mars 1939, de l'intégrité territoriale de la Pologne et de la Roumanie par le Royaume-Uni et la France : cette garantie montrait à l'URSS d'une part qu'elle ne pourrait pas faire valoir ses revendications territoriales envers les anciennes possessions des tsars devenues un « glacis européen d'États-tampons » finnois, baltes, polonais ou roumains sur sa frontière occidentale en se rapprochant des Occidentaux, et d'autre part que si le Troisième Reich attaquait en Europe orientale, une guerre à l'Ouest serait inévitable sans que la frontière soviétique soit atteinte et sans qu'aucune contrepartie ne soit exigée de l'URSS, faisant ainsi de Staline l'arbitre de l'Europe. Et en effet, à partir du printemps 1939, les Occidentaux font des concessions pour obtenir l'alliance avec les Soviétiques, tandis que Staline pose ses conditions : pouvoir occuper les États baltes et une partie de la Roumanie, et une convention militaire avant tout accord politique, exigences déjà formulées dans le plan proposé par Litvinov le [25].

Selon Sabine Dullin, « les protocoles secrets qui accompagnent, entre le 23 août et le 28 septembre 1939, le pacte signé par Staline avec Hitler, sont la matrice de la grande guerre patriotique : ce partage impérialiste avec l'Allemagne nazie transgresse en effet le code d'honneur anti-impérialiste et antifasciste porté par le régime » [soviétique]. Quoi qu'il en soit, les protocoles secrets du pacte et leurs conséquences dans la période 1939-1941 resteront un véritable tabou jusqu'à la dislocation de l'URSS et l'ouverture (éphémère) des archives[26].

Après la guerre, Molotov affirma avoir « espéré, lors de la signature, gagner environ un an jusqu'à l'attaque allemande, tout en créant une zone-tampon vers l'ouest pour protéger les centres politiques et économiques du pays »[3], ce qui fait du Pacte un grand succès diplomatique puisque ce sont presque deux ans qui se sont écoulés entre sa signature et l'attaque nazie. Henry Kissinger soutien ce point de vue dans son livre Diplomatie, qui qualifie le Pacte de « plus grand coup diplomatique de génie du XXe siècle ».

Si l'on en croit le Précis d'histoire du Parti communiste de l'Union soviétique de Boris Ponomarev (en) publié à Moscou en 1970, ce pacte fut motivé par la crainte de l'isolement, par « la faiblesse et la complicité des impérialistes occidentaux avec le Troisième Reich », et par le danger d'une attaque « par les impérialistes japonais » en extrême-orient. En offrant par le pacte plus d'avantages aux Allemands qu'ils n'en auraient en attaquant l'Union soviétique, il se serait agi de « gagner du temps » avant une attaque prévisible. Ces positions sont partagées par de nombreux historiens :

Paul-Marie de La Gorce écrit que les atermoiements franco-anglais face à une « grande alliance » contre l'Allemagne nazie, leurs concessions à Hitler, notamment divers accords comme l'accord naval anglo-allemand de 1935 (signé par Ribbentrop et le ministre des Affaires étrangères britannique, Samuel Hoare), les accords de Munich de 1938 ou le sus-mentionné traité de non-agression franco-allemand, peuvent aussi expliquer que l'URSS perçoive les démocraties occidentales comme indifférentes sinon délibérément hostiles envers elle et se rabatte sur un accord avec l'Allemagne.

Winston Churchill écrit dans ses mémoires que « l'offre des Soviétiques fut ignorée dans les faits. Ils ne furent pas consultés face à la menace hitlérienne et furent traités avec une indifférence, pour ne pas dire un dédain, qui marqua l'esprit de Staline. Les événements se déroulèrent comme si la Russie soviétique n'existait pas. Nous avons après-coup terriblement payé pour cela ».

L'historien soviétique Roy Medvedev affirme que le Pacte germano-soviétique ne doit pas être ajouté à la liste des crimes et des erreurs de Staline : il pense en effet que « le gouvernement soviétique se trouva obligé de signer ce pacte parce que l'Angleterre et la France favorisaient le fascisme allemand et empêchaient l'aboutissement des négociations qui devaient sceller un pacte d'assistance mutuelle avec l'URSS ». Pour Medvedev, les politiques française et britannique, en permettant le réarmement et le renforcement de l'Allemagne nazie « dans l'espoir que cette force se retournerait contre le bolchevisme, ont obligé l'URSS à se protéger en mettant à profit les conflits qui opposaient les États impérialistes ».

Paul-Marie de La Gorce détaille les motivations soviétiques selon les territoires concernés :

  • Finlande : acquisition des territoires finnois en Carélie pour désenclaver Léningrad ;
  • pays baltes : augmentation du nombre de ses ports et de la longueur des côtes soviétiques sur la mer Baltique ;
  • Pologne : annulation des conséquences de la paix de Rīga, qui, en 1920, avait laissé à la Pologne des territoires peuplés majoritairement de Biélorusses et d'Ukrainiens ;
  • Roumanie : récupération d’un accès aux bouches du Danube et annulation des conséquences de l'union, en 1918, de la République démocratique moldave à la Roumanie, en dépit des efforts de la république soviétique d'Odessa pour empêcher cette union.
Kiev en ruines après l'opération Barbarossa.

L'URSS : du déni à la reconnaissance

L'URSS et le mouvement communiste international ont nié l'existence des protocoles secrets et justifié le Pacte par la nécessité, pour Staline, de « gagner du temps » ; en langue française, des auteurs comme Pierre Daix, Jean Bouvier[27], Jean Elleinstein (jusqu'en 1961), Roland Leroy, Claude Morgan ou André Wurmser ont produit de nombreuses sources diffusant le point de vue soviétique. De plus, une photographie de la signature du Pacte germano-soviétique a donné lieu à une falsification largement diffusée : sur la photo modifiée on voit Ribbentrop et Molotov. Sur l'original se trouvaient en plus, avec un décor différent, alignés debout derrière eux, plusieurs hauts dignitaires soviétiques dont le premier, Staline. Après l'attaque allemande en Russie (1941), il s'agissait alors de minimiser l'engagement de Staline dans ce dossier[28].

Au Royaume-Uni, l'existence des protocoles secrets est connue au moins depuis 1945 et a été rendue publique dans les médias occidentaux après la guerre, mais ce n'est qu'en 1989, lors de la perestroïka restructuration ») et conformément aux principes de la glasnost transparence »), que l'URSS a reconnu l'ensemble du Pacte et de ses finalités[29] ; le document original a été publié par le gouvernement de la fédération de Russie en 1992.

Notes et références

Notes

  1. Le plus souvent, les sources qui utilisent la dénomination de Pacte de non-agression de 1939 adoptent à des degrés divers le point de vue officiel soviétique et communiste de 1941 à 1991, selon lequel ce pacte ne visait qu'à « gagner du temps » avant un conflit que « Staline pensait inévitable », tandis que l'invasion soviétique de la Pologne en 1939 puis des pays baltes et de la Roumanie en 1940 est une « libération » de ces peuples par l'URSS. En Biélorussie et Russie, c'est toujours la dénomination utilisée et le point de vue officiel.
  2. Selon le point de vue officiel soviétique à partir de 1941, toujours en vigueur dans la Russie d'aujourd'hui, les pressions soviétiques sur la Finlande avant la guerre d'Hiver ont été effectuées « dans l'idée d'améliorer leur défense mutuelle contre l'Allemagne, les Soviétiques craignant que les nazis ne passent par la Finlande pour attaquer Leningrad ».
  3. La ligne Curzon et la ligne de partage du Pacte se confondaient sur le moyen-Boug, mais celle du Pacte donnait Bialystok et Lwów aux Soviétiques : après la guerre, pour justifier leur politique, les Soviétiques dénommèrent la ligne de partage du Pacte « ligne Curzon A », et la véritable ligne Curzon de 1919 « ligne Curzon B ».

Références

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Voir aussi

Bibliographie

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Articles connexes

Liens externes