AccueilFrChercher
Tomás de Torquemada
Fonctions
Inquisiteur général d'Aragon
-
Pedro de Arbués
Diego de Deza (en)
Inquisiteur général de Castille (d)
-
Diego de Deza (en)
Confesseur
Isabelle Ire de Castille
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Formation
Activités
Inquisiteur, homme politique
Parentèle
Juan de Torquemada (oncle)
Autres informations
Ordre religieux

Tomás de Torquemada [toˈmas ðe toɾkeˈmaða][1], né le à Valladolid ou Torquemada, dans le royaume de Castille, et mort le à Ávila, en Castille-et-León, était un dominicain castillan du XVe siècle. Confesseur de la reine Isabelle de Castille et du roi Ferdinand II d'Aragon, il est le premier Grand Inquisiteur de l'Inquisition espagnole de 1483 à sa mort.

Biographie

Isabelle de Castille.

Tomás de Torquemada est né en 1420 à Torquemada[2], localité du royaume de Castille[3], ou bien dans la ville voisine de Valladolid[4], où il grandit[5]. Comme son oncle, le cardinal et théologien pontifical, Juan de Torquemada, il devint frère dominicain dans le couvent San Pablo de Valladolid. Contrairement à ce qui est souvent répété[6], Tomás de Torquemada n'est pas issu d'une famille de conversos. Il est issu de la famille des Turre-Cremata[7],[8].

Il fut nommé, à 32 ans, prieur du couvent de Santa Cruz à Ségovie, fonction qu'il occupa de 1452 à 1474.

Connu pour son austérité, sa dévotion et son érudition, il devint confesseur de la princesse Isabelle, Infante de Castille, alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Il entreprit de lui inculquer le devoir qu'elle aurait, en tant que future souveraine, de défendre l'unité religieuse du royaume, et le bénéfice politique qu'elle pourrait en retirer.

À Valladolid, en 1469, Isabelle épousa Ferdinand, qui allait devenir dix ans plus tard, en 1479, le roi Ferdinand II d'Aragon. Elle fut couronnée reine de Castille en 1474. Bien que Torquemada fût très proche des souverains, devenant également confesseur du roi, il refusa les postes honorifiques qui lui étaient proposés, comme le riche évêché de Séville, et se contenta d'une fonction de conseiller. En grande partie à son instigation, ceux que l'on surnommera « les rois catholiques » décidèrent de mener une politique religieuse coercitive, au nom de l'unité de l'Espagne. Ils convainquirent le pape Sixte IV de réorganiser les tribunaux d'Inquisition en Espagne, et de les placer sous le contrôle exclusif de la Couronne.

Il occupa la fonction d'Inquisiteur Général d'Espagne pendant quinze ans jusqu'à sa mort en 1498, s'acquittant de sa mission avec un zèle redoutable et une détermination implacable. Sous son autorité, environ 100 000 cas non Juifs sont examinés par l'Inquisition espagnole et 2 000 condamnations à mort prononcées[9]. En 18 ans, Tomas de Torquémada a condamné personnellement 9 000 Juifs à être brulés vifs et 7 000 à être exhumés pour qu’on brûle leurs cendres. Il ne sort qu’accompagné de 200 gardes armés et 50 cavaliers pour de gigantesques répétitions générales des auto da fé (actes de foi) sur le Quemadero de Séville.

Avec l'aide de légistes, il rédigea un « code de l'inquisiteur » de vingt-huit articles qu'il promulgua le à l'occasion de l'assemblée générale des inquisiteurs à Séville. Il aura travaillé jusqu'à sa mort à affiner ce code en fonction de l'expérience acquise (ces règles sont regroupées dans un code de procédure unique : les Compilación de las instrucciones del oficio de la Santa Inquisición).

Torquemada joua également un rôle politique décisif notamment dans la Reconquista de l'Espagne musulmane, ainsi que dans la persécution et l'expulsion des Juifs d'Espagne, décidée par les rois catholiques le .

À la fin de sa vie, il se retira au couvent Saint-Thomas d'Ávila, qu'il avait fait construire[10], reprenant la simple vie de frère, tout en continuant d'occuper la fonction de Grand Inquisiteur et de réfléchir aux meilleures règles pour conduire et encadrer l'Inquisition. Il reçut à plusieurs reprises la visite des souverains (et se rendit à Salamanque en pour être aux côtés du prince Don Juan mourant et réconforter le roi et la reine).

Encore assez actif jusqu'en 1496, ses dernières années furent marquées par des crises de goutte[11]. En 1498, il présida la dernière assemblée générale des inquisiteurs. Il mourut le de la même année non sans avoir combattu le pape Alexandre VI qui voulait reprendre la main sur l'Inquisition et qui finit par nommer dès 1494, avançant l'excuse de son grand âge, quatre assistants avec des pouvoirs comparables[12].

Torquemada et l'Inquisition espagnole

Autodafé sur la Plaza Mayor de Madrid, Francisco Ricci, 1683[13].

Depuis le , le controversé[14],[15] pape Sixte IV, avait autorisé les « Rois Catholiques » (Reyes Católicos)[16] à choisir les inquisiteurs sur leurs terres, en Castille. Ainsi, le , Torquemada fut un des cinq nouveaux inquisiteurs validés par Sixte IV, responsable de la Castille. Ferdinand devenant roi d'Aragon en 1479, il dut batailler auprès du Saint-Siège afin d'obtenir de semblables prérogatives en Aragon. Finalement, le , Sixte IV accorda à Torquemada, devenu entre-temps Inquisiteur Général (ou Grand Inquisiteur, Inquisidor General) de Castille (le ), la même charge suprême en Aragon[17]. Celle-ci fut étendue à la Catalogne en 1486.

En 1483, Ferdinand institua le Conseil de l'Inquisition Suprême et Générale ou « Conseil Royal de l'Inquisition » (abrégé la Suprema), dont le Grand Inquisiteur, Torquemada, était président de droit[18]. Bien que sous l'autorité théorique des monarques espagnols, le Grand Inquisiteur, en tant que représentant du Pape, avait la haute main sur l'ensemble des tribunaux inquisitoriaux et pouvait déléguer ses pouvoirs à des inquisiteurs de son choix, qui étaient responsables devant lui. La fonction de Grand Inquisiteur était la seule fonction publique dont l'autorité s'étendait à tous les royaumes composant l'Espagne, constituant ainsi un relais utile pour le pouvoir des souverains[19].

Pendant ses quinze années en tant que Grand Inquisiteur, Torquemada a donné à l'Inquisition espagnole une importance et une puissance sans précédent.

À partir d'un simple tribunal à Séville en 1481, un réseau de tribunaux inquisitoriaux (« Saint-Offices ») fut développé à travers le pays, certains permanents, d'autres itinérants, permettant de mailler le territoire - notamment à Cordoue, Ciudad Real (transféré peu après à Tolède), Valladolid, Ávila, Jaén pour la Castille et Saragosse, Valence, Barcelone, et Majorque pour le royaume d'Aragon. Après Torquemada, d'autres tribunaux seront encore créés, notamment dans les nouvelles possessions américaines de l'Espagne.

Par ailleurs, la confiscation des biens des « hérétiques » (ou déclarés tels) au profit exclusif de l'Inquisition procura à celle-ci une très grande richesse - et donc un pouvoir et des moyens d'action encore plus étendus. Ce fut d'ailleurs une source de tensions avec les souverains Isabelle et Ferdinand, pourtant mandataires de Torquemada, qui avaient espéré qu'une partie de cet argent viendrait alimenter le trésor public. Il fallut l'intervention du pape Alexandre VI pour que l'Inquisition espagnole consentît à se déposséder d'une partie de son butin[20].

Le pape et l'inquisiteur, montrant Torquemada près du pape Sixte IV, J-P. Laurens, 1882

Initialement, la mise en place de l'Inquisition suscita des résistances, aussi bien parmi les nobles que parmi les gens ordinaires, en particulier dans le royaume d'Aragon (ou la plupart des inquisiteurs étaient castillans, donc considérés comme étrangers[21] ) allant jusqu'à provoquer des révoltes, notamment à Valence et à Lerida (il y eut également de violentes réactions anti-espagnoles lorsque Ferdinand tenta d'imposer l'Inquisition dans les possessions espagnoles en Italie). Mais le pouvoir de Torquemada se trouva encore renforcé après le meurtre de l'inquisiteur Pedro de Arbués à Saragosse en 1485, qu'on attribua à des hérétiques et aux Juifs, ainsi que par le meurtre rituel imaginaire du Santo Niño de La Guardia (« le Saint Enfant de la Guardia ») en 1490, dont les Juifs furent injustement accusés[22].

Le pouvoir de l'Inquisition sur la vie des Espagnols était immense. Chaque âme chrétienne âgée de plus de douze ans (pour les filles) ou de quatorze ans (pour les garçons) était pleinement responsable devant elle. Les hérétiques (ou déclarés tels) et les conversos (juifs et musulmans convertis mais restés secrètement fidèles à leur ancienne foi) étaient les premières cibles, mais toute personne critique de l'Inquisition était considérée comme suspecte.

L'Inquisition, sous la houlette de Torquemada, se caractérisa par son manque de pitié et sa brutalité. La dénonciation anonyme était une pratique courante. Cependant (selon l'historien Stephen Haliczer)[23], les tribunaux de l'Inquisition étaient plus cléments et moins brutaux que les tribunaux laïcs en Espagne et en Europe pendant la Renaissance. Par exemple, l'utilisation de la torture était une pratique très marginale (2 % dans la région de Valence) et elle ne pouvait durer plus de quinze minutes[24]. Les « formes » étaient cependant respectées - même si aujourd'hui ces subtilités peuvent nous apparaître hypocrites ou simplement absurdes : l'Église n'ayant pas le droit de verser le sang, ou de créer un dommage permanent au corps (broyage de membres ou mutilations)[23], des tortures « adaptées » étaient employées lors de la Question destinée à extorquer des aveux aux suspects (par exemple, le supplice de l'eau) ; de la même manière, l'Église n'avait pas formellement le droit de donner la mort et les personnes condamnées pour les crimes d'hérésie jugés les plus graves (notamment les relaps) étaient remises au « bras séculier » (l'autorité civile) pour être exécutées par le feu ou par d'autres méthodes (pendaison…).

Craignant pour sa vie, et également pour impressionner et intimider, Torquemada se déplaçait en compagnie d'une escorte de 40 cavaliers et 200 soldats à pied[25].

Le caractère sommaire des jugements rendus par les tribunaux inquisitoriaux espagnols, la brutalité des méthodes employées choquèrent en Espagne comme à l'extérieur du royaume. Ainsi, le pape Sixte IV lui-même, pourtant connu pour sa grande sévérité à l'égard des Juifs[26],[27], dès 1481, écrivit « pour se plaindre de la trop grande rigueur des inquisiteurs de Séville »[28] :

« Sans tenir compte des prescriptions juridiques, ils ont emprisonné nombre de personnes en violation des règles de justice, leur infligeant des tortures sévères et leur imputant, sans le moindre fondement, le crime d'hérésie, confisquant leurs biens à ceux qu'ils condamnaient à mort, si bien que pour fuir une telle rigueur un grand nombre d'entre eux se sont réfugiés auprès du Siège Apostolique, en protestant de leur orthodoxie. »

Rome recevait un flot constant de demandes de réhabilitation émanant de personnes condamnées par les tribunaux inquisitoriaux espagnols ou de leurs familles, et, par trois fois, Torquemada dut envoyer un émissaire auprès du Saint-Siège pour se justifier sur ses pratiques[29].

Guerre contre les musulmans et persécution des Juifs

La Reconquista

La capitulation de Grenade, par Francisco Padilla : Boabdil devant Ferdinand et Isabelle.

Torquemada attribuait la confusion dans laquelle se trouvait l'Espagne à la complaisance envers les « infidèles » et aux étroites relations entre ceux-ci et les chrétiens, au nom du commerce.

L'historien espagnol Juan de Mariana (1536-1624) soutient que la refondation de l'Inquisition, en conférant une nouvelle dynamique à l'idée d'un royaume unifié, a rendu le pays plus capable de mener à bien sa guerre contre les Maures. Cette version est évidemment à prendre avec du recul étant donné que l'auteur travaillait lui-même sous la menace de l'Inquisition[30].

Torquemada pesa de tout son poids pour convaincre les souverains de la nécessité d'achever la reconquête de l'Espagne sur les royaumes musulmans[31]. La prise de Zahara par l'ennemi en 1481 fournit l'occasion de représailles. Torquemada apporta un soutien indéfectible à Isabelle et Ferdinand tout au long de la campagne de Reconquista, qui s'apparentait pour lui à une guerre sainte[32]. Finalement, il sera au côté des Rois catholiques lors de leur entrée en vainqueurs dans Grenade le , qui marquera la fin de la présence musulmane en Espagne. Il fondera un couvent de son ordre (les dominicains) dans cette ville.

Persécution des Juifs et des musulmans

Expulsion des Juifs d'Espagne (1492), Emilio Sala y Francés, 1889 : Torquemada offre aux rois catholique l'édit d'expulsion des Juifs d'Espagne contre leur signature.

Théoriquement, l'Inquisition n'avait autorité que sur les chrétiens baptisés, mais dans les faits Torquemada considéra la lutte contre les « infidèles » l'une de ses missions principales.

Les conversos - ceux, essentiellement des juifs, qui s'étaient convertis au christianisme, plus ou moins sous la contrainte, mais qui étaient soupçonnés de ne pas être sincères ou d'être secrètement revenus au judaïsme - furent l'une des cibles prioritaires du zèle inquisiteur de Torquemada (les conversos étaient distingués entre marranes, pour ceux d'origine juive, et morisques, pour ceux d'origine musulmane)[33]. La lutte contre ces « faux chrétiens » (ou perçus comme tels) fut l'une des motivations majeures du renouveau de l'effort d'Inquisition, et ils en furent les principales victimes[34].

Torquemada fut l'un des principaux instigateurs du décret de l'Alhambra. Ce décret, édicté à son insistance[35], le par Isabelle et Ferdinand, soit très peu de temps après la victoire de Grenade, donnait quatre mois aux juifs d'Espagne pour se convertir au christianisme ou quitter le pays (avec de considérables restrictions quant aux biens qu'ils pouvaient emporter avec eux)[36]. De surcroît, le mois suivant (avril), Torquemada donna des ordres interdisant tout contact entre les chrétiens et les juifs, sous peine de sévères sanctions, aboutissant à l'impossibilité de fait pour les exilés de vendre leurs biens avant leur départ, et conduisant à la saisie de ceux-ci par l'Inquisition.

Les immenses richesses ainsi confisquées depuis le début de l'Inquisition servirent notamment à financer à la fois la guerre de reconquête de Grenade et les différentes expéditions de Christophe Colomb qui put entreprendre son premier voyage dès le mois d'[37]. La tradition espagnole rapporte qu'une délégation de représentants de la communauté des juifs d'Espagne, menée par le très influent Don Isaac Abravanel proposa au roi 300 000 ducats de « rançon » en échange de l'abolition de l'édit d'expulsion. Ferdinand hésitait à accepter l'offre, étant donné la place centrale qu'occupaient les juifs dans le commerce du pays. On raconte que Torquemada intervint personnellement devant le roi, tenant en main un crucifix, et s'exclamant : « Judas Iscariote a vendu le Christ pour 30 pièces d'argent et votre Excellence s'apprête à le vendre pour 300 000 ducats. Le voilà; prenez-Le et vendez-Le ! » Sur quoi il laissa le crucifix sur une table et quitta la pièce[38].

Pour empêcher la diffusion des hérésies, Torquemada ordonna qu'on brûlât les livres jugés non catholiques, en particulier les Talmuds juifs et, après la défaite finale des Maures à Grenade, également des livres arabes (conduisant à la disparition irrémédiable d'une grande partie des traces de l'histoire du pays de 711 à 1492). Ces cérémonies constituaient la forme originelle des auto de fe (qui prendront également par la suite la forme de cérémonies publiques de « réconciliation » des pécheurs avec l'Église ; l'exécution subséquente de ceux-ci - notamment par le feu, sur le bûcher - n'en faisait cependant "techniquement" pas partie)[39].

Alors que certains acceptent cette conversion forcée, un grand nombre de juifs d'Espagne choisirent de quitter le pays à la suite du décret de l'Alhambra. Leur nombre n'est pas connu exactement. L'historien Juan de Mariana (1536-1624), qui écrit peu après l'événement, parle de 1 700 000, mais ce chiffre est considéré aujourd'hui comme beaucoup trop élevé. Il sera ramené par les historiens ultérieurs à 800 000. Aujourd'hui, on estime qu'entre 50 000 et 150 000 juifs ont choisi la conversion, et 150 000 à 200 000 autres l'exil. Quoi qu'il en soit, le préjudice pour l'Espagne fut considérable, et l'expulsion des juifs du royaume a été l'un des éléments déclencheurs du déclin commercial espagnol.

Cet exil est à l'origine de la communauté ladino dans l'est méditerranéen (spécialement dans l'empire ottoman). Cette communauté continue à pratiquer le judéo-espagnol, variété archaïsante du castillan.

Une figure emblématique et controversée

Torture des Espagnols Juifs

Torquemada est passé à la postérité comme l'un des symboles de l'intolérance et du fanatisme religieux. L'Encyclopædia Britannica écrit par exemple : « Son nom est devenu un symbole des horreurs de l'Inquisition, de l'intolérance religieuse et du fanatisme cruel »[40]. Certains travaux historiques tentent de nuancer l'horreur de l'action meurtrière de Torquemada, en voulant la replacer dans son contexte historique.

Bilan de l'Inquisition espagnole sous Torquemada

Si l'on compte en nombre de victimes, force est de constater que les premières années de l'Inquisition, menée notamment sous le commandement de Torquemada, ont été les plus sévères et les plus violentes de toute la période couverte par l'Inquisition de 1478 à 1834.

Ainsi, dans son Histoire critique de l'Inquisition espagnole (1817-1818), Juan Antonio Llorente, ecclésiastique qui fut secrétaire général du Saint Office espagnol (l'Inquisition) et qui à ce titre a pu travailler sur les archives, a dénombré que durant le temps où Torquemada fut Grand Inquisiteur, 10 220 personnes furent brûlées, 6 860 autres condamnées à être brûlées en effigie, et 97 321 furent « réconciliées » avec l'Église.

Certains historiens, estiment à 2 000 personnes le nombre de personnes envoyées au bûcher, une grande majorité étant des conversos d'origine juive. Ce qui représente tout de même un crime qui est loin d'être négligeable - « en soi un horrible holocauste au principe de l'intolérance religieuse », selon les mots de l'Encyclopaedia Brittanica[41].

Défense de Torquemada

Joseph de Maistre.
Meurtres de l'inquisition.

Des voix, en particulier à son époque, se sont élevées pour prendre la défense de Torquemada. Le chroniqueur espagnol Sebastián d'Olmedo l'a appelé « le marteau des hérétiques, la lumière de l'Espagne, le sauveur de son pays, l'honneur de son ordre »[42].

Le philosophe contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, dans ses Lettres à un gentilhomme russe sur l'Inquisition espagnole (1815), avance sa vision de l'idée qu'il se fait de l'Inquisition, qui d'après lui fut instaurée par les souverains d'Espagne parce que l'existence même de la nation espagnole était menacée, en raison de la présence musulmane et de l'influence de la communauté juive espagnole. Il précise ce qui est d'après lui un axiome de l'action politique : « Jamais les grands maux politiques, jamais surtout les attaques violentes portées contre le corps de l'État, ne peuvent être prévenus ou repoussés que par des moyens pareillement violents. » Selon lui, l'action de Torquemada doit être mise en balance avec les dangers qui menacèrent le royaume : « Si vous pensez aux sévérités de Torquemada, sans songer à tout ce qu'elles prévinrent, vous cessez de raisonner. »

Par ailleurs, il existe un courant historique révisionniste moderne de l'histoire de l'Inquisition espagnole, mené notamment par l'historien britannique (en) Henry Kamen (voir Bibliographie). Ces historiens affirment qu'il existe une légende noire de l'Inquisition espagnole (et plus généralement de l'histoire espagnole des derniers siècles), peignant celle-ci sous un jour brutal et maléfique. Selon eux, cette légende noire serait en grande partie due à des intellectuels protestants, comme l'écrivain anglais John Foxe (1516-1587), qui, choqués par la répression dirigée contre les protestants, auraient noirci le trait à des fins de propagande contre l'Église catholique. Cette légende noire fut principalement diffusée par l'Angleterre et la Hollande, rivales politiques et commerciales de l'Espagne.

Alors que des milliers de juifs ont péri brûlés vifs lors de l'Inquisition espagnole, ces historiens estiment que l'inquisition n'était ni aussi puissante, ni aussi cruelle qu'on a bien voulu le dire. Ainsi par exemple, concernant la torture, ils prétendent qu'elle était la norme dans les tribunaux royaux espagnols, et lorsqu'elle y fut abolie, les tribunaux d'Inquisition y renoncèrent aussi. Les prisons de l'Inquisition étaient généralement d'un confort supérieur aux prisons civiles de l'époque (taille des cellules, fenêtres laissant passer la lumière…). Enfin, la peine de mort restait assez exceptionnelle, réservée aux personnes désignées comme des cas irrécupérables ou graves - en particulier les juifs considérés comme relaps.

Pour Jean Sévillia, « Torquemada n'est pas le fruit du catholicisme mais le produit d'une histoire nationale », eu égard au fait que l'Inquisition au XVe siècle évolua dans un contexte très particulier propre à l'Espagne d'alors[43].

Une incarnation du fanatisme

Les défenseurs de Torquemada soulignent également son absolue dévotion aux causes qu'il soutenait - l'unité de l'Espagne et la pureté de la religion catholique. Il a bataillé ferme pour soustraire aux souverains les richesses considérables que le Saint Office obtenait en saisissant les biens des condamnés, et il a utilisé cet argent pour accroître encore l'efficacité et l'étendue des tribunaux inquisitoriaux, et pour ouvrir de nouveaux couvents de l'ordre dominicain. À la fin de sa vie, selon la légende, il aurait repris la vie dépouillée et austère de simple frère au couvent Saint-Thomas d'Ávila.

D'autre part, comme cela a été rappelé plus haut, le caractère intraitable de Torquemada et la brutalité de son action suscitèrent beaucoup d'incompréhension et de protestations, y compris de son vivant. Au point que, par trois fois, il dut envoyer un émissaire pour se justifier auprès du pape.

En 1832, deux ans seulement avant la dissolution définitive de l'Inquisition, des libéraux espagnols brisèrent sa tombe dans la chapelle du couvent d'Ávila. Ils estimaient qu'il était l'une des pires incarnations de l'intolérance et du fanatisme. Ses ossements auraient été incinérés rituellement de la même manière qu'un autodafé[44].

Torquemada dans la fiction

Littérature

  • Dans Les Frères Karamazov de Dostoievski se trouve une parabole célèbre, dans laquelle le Christ revient à Séville, au temps de l'Inquisition espagnole, et se retrouve confronté au Grand Inquisiteur.
  • Ein Porträt Torquemadas (Un portrait de Torquemada) de Christian von Aster (2002).

Théâtre

Bande dessinée

  • Dans Requiem, chevalier vampire, de Pat Mills et Olivier Ledroit, Torquemada est réincarné en loup-garou, réincarnation typique des fanatiques religieux dans l'univers de cette bande dessinée. Il fait parfois, au fil des tomes, office de monture à Claudia Blackwell, personnage clef de cet univers.
  • Dans Le Triangle secret, tome 5 L’infâme mensonge, de Didier Convard et Pierre Wachs, Torquemada apparait dans son rôle d'inquisiteur.
  • Dans le manga Radiant de Tony Valente, le personnage de Torque est inspiré de Torquemada
  • En , le scénariste Bernard Swysen et le dessinateur Marco Paulo publient aux éditions Dupuis une vie de Torquemada en bande dessinée (La véritable histoire vraie - n° 3 : Torquemada).

Cinéma

  • Dans La Folle Histoire du monde, un film de Mel Brooks, l'Inquisition (en particulier Torquemada) est tournée en ridicule.
  • Dans Le Puits et le Pendule, (The Pit and the Pendulum), réalisé par Stuart Gordon en 1991 et inspiré d'une nouvelle éponyme d'Edgard Allan Poe, Torquemada est interprété par Lance Henricksen.
  • Dans le film Assassin's Creed, issu des jeux du même nom, il est interprété par Javier Gutiérrez.

Musique

  • Le morceau Torquemada '71 tiré de l'album Witchcult Today (2007) du groupe Electric Wizard parle de Tomás de Torquemada et Elisabeth Bathory, tous deux étant des personnages controversés.

Le morceau « Detonation Boulevard » tiré de l’album « Vision Thing » de Sisters of Mercy fait allusion a Torquemada comme étant similaire au narrateur.

Jeux-vidéo

  • Dans Assassin's Creed Rebellion, RPG stratégique disponible gratuitement sur Android et iOS.

Notes et références

  1. Prononciation en espagnol d'Espagne retranscrite selon la norme API.
  2. Actuellement dans la province de Palencia, Castille-et-León, dans le nord de l'Espagne ; son nom est la compression de l'espagnol torre quemada, en latin turris cremata, « la tour brûlée ».
  3. (en) E. Michael Gerli, Medieval Iberia: An Encyclopedia, Routledge, (ISBN 978-1-136-77162-0, lire en ligne)
  4. Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d'Histoire Mourre, éd. Bordas, 1996, p. 5527
  5. Il aurait alors hérité du nom de son oncle, Juan de Torquemada, possiblement originaire de cette localité. Diccionario de historia de España, desde sus orígenes hasta el fin del reinado de Alfonso XIII, Revista de Occidente, 1952, p. 1287.
  6. Henri Tincq, « L'expulsion des juifs d'Espagne au nom de la pureté du sang », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  7. (es) Rafael Domínguez Casas, « El linaje del cardenal don Juan de Torquemada: poder económico y promoción artística », sur revistas.uva.es, Valladolid, Facultad de Filosofía y Letras - Universidad de Valladolid, (consulté le )
  8. Gilles Karmasyn, « Torquemada, ni Juif converti ni converso », sur Pratique de l'Histoire et dévoiements négationnistes, (consulté le )
  9. (en) Walter Yust, Encyclopædia Britannica : A New Survey of Universal Knowledge, Encyclopædia Britannica, 1965
  10. Pierre Dominique, L'Inquisition, éd. Perrin, 1969
  11. (es) Andres Bernaldez, Memoria desl reinado de los Reyes Catolicos, Real Academia de la Historia, Madrid, 1962, p. 102
  12. (en) Clayton J. Drees, The Late Medieval Age of Crisis and Renewal, 1300-1500, Greenwood Publishing Group, 2001, p. 464
  13. la scène représentée date de 1680 et est donc postérieure à Torquemada
  14. Juan Antonio Llorente, Portrait politique des papes considérés comme princes temporels, Béchet Aîné, Paris, 1822, t. II, p. 181.
  15. Dans son Journal de la ville de Rome, le chroniqueur romain (en) Stefano Infessura soutient que Sixte IV « aimait les jeunes garçons et les sodomites », p. 74 & ss.
  16. Ainsi nommés par le pape à partir 1494 en récompense de leur politique religieuse.
  17. (en) Joseph Pérez (trad. Janet Lloyd), The Spanish Inquisition : A History, Yale University Press, 2006, p. 25-31
  18. Frédéric Schoell, Franz X. Zach, Duncker et Humblot, Cours d'histoire des États européens : depuis le bouleversement de l'Empire romain d'occident jusqu'en 1789, 1831, p. 360-365
  19. (en) Helen Rawlings, The Spanish Inquisition, Blackwell Publishing, 2004, chap. 2 « The Inquisition as an Institution », p. 21-23
  20. Voir notamment le bref du 29 mars 1493 d'Alexandre VI qui charge l'archevêque de Tolède de faire restituer au Trésor royal les sommes dont les inquisiteurs se sont emparés
  21. (en) Joseph Perez (trad. de Janet Lloyd), The Spanish Inquisition: A History, Yale University Press, 2006, p. 31
  22. (en) Bernard Dov Cooperman, In Iberia and Beyond : Hispanic Jews Between Cultures, University of Delaware Press, 1998, p. 109-110
  23. 1 2 « Books Received », Renaissance Quarterly, vol. 43, no 2, , p. 464–473 (ISSN 0034-4338, DOI 10.2307/2862401, lire en ligne, consulté le )
  24. BellicoseNation, « Spanish Inquisition was 99% Myth. (BBC) », (consulté le )
  25. (en) Simon Wiesenthal, Sails of Hope : the Secret Mission of Christopher Columbus, Macmillan, 1973, p. 50 « Torquemada knew he was hated. He lived in constant fear of death. Wherever he went he was surrounded by a large band consisting of 200 foot soldiers and mounted familiares of the Inquisition (…) »
  26. Après qu'il a été découvert que de nombreux Juifs convertis de force par Vincent Ferrier ont préservé leur judaïsme, le « Pontife ordonna à l'Inquisition de veiller et de punir sévèrement les délinquans, exhortant tous les Princes Chrétiens à donner main-forte aux Exécuteurs. Le Décret fut affiché dans toutes les villes d'Espagne (...) on... brûla deux-mille Juifs (...) », Histoire universelle, op. ci., p. 522. Lire en ligne
  27. Histoire universelle depuis le commencement du monde jusqu'à présent, contenant l'histoire... de la dispersions Juifs et de leur triste Condition, depuis la Ruine de Jérusalem jusqu'à notre Tems (trad. de l'anglais, Livre 19), t. 23, Arkstée & Merkus, (lire en ligne), chap. VI (« Histoire des Juifs en Espagne depuis le Quinzième siècle, et leur expulsion de ce Royaume & de celui du Portugal »), p. 521 & ss.
  28. Voir la lettre du 29 janvier 1481 de Sixte IV à Ferdinand in Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne, depuis l'époque de son établissement par Ferdinand V jusqu'au règne de Ferdinand VII : tirée des pièces originales des archives du Conseil de la Suprême et de celles des Tribunaux subalternes du Saint-Office, Juan Antonio Llorente, traduction d'Alexis Pellier, Ed. Treuttel et Würtz, 1818
  29. Léonard-Charles Gallois et Juan Antonio Llorente, Histoire abrégée de l'Inquisition d'Espagne, éd. Brissot-Thivars, 1828, p. 148
  30. (en) George Ticknor, History of Spanish Literature, éd. Ticknor and Fields, 1864, p. 176-184
  31. Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, chap. CXL : « De l'Inquisition »
  32. Voir notamment la préface de la traductrice Lysa Hochroth in (en) Joseph Pérez, History of a Tragedy : The Expulsion of the Jews from Spain, University of Illinois Press, 2007
  33. À noter toutefois que beaucoup d'auteurs utilisent le terme historique de conversos pour désigner les juifs convertis (marranos étant une version péjorative qui désignait les juifs convertis qui continuaient à pratiquer le judaïsme en secret) et celui de moriscos pour désigner les convertis d'origine musulmane ou maure
  34. (en) Norman Roth, Conversos, Inquisition, and the Expulsion of the Jews from Spain, University of Wisconsin Press, 2003
  35. (en) Joseph Perez, The Spanish Inquisition, a History, Yale University Press, 2005, p. 21 (paru en français sous le titre Brève Histoire de l'Inquisition en Espagne, Fayard, 2002)
  36. Joseph Lavallée, C. De Friess-Colonna, Gaspare De Gregori et Frédéric Lacroix, Espagne : depuis l'expulsion des Maures jusqu'à l'année 1847, dans la série « L'Univers : Histoire et description de tous les peuples », Firmin Didot Frères, 1847, p. 2 : « On les (les juifs ndr) autorisa à emporter tous leurs biens ; mais cette permission ne fut qu'un acte d'hypocrisie pour déguiser la honteuse spoliation qu'on n'osait pas avouer ; car on ne leur laissa pas un délai suffisant pour réaliser leur fortune. D'ailleurs il ne leur était permis de faire sortir du royaume ni or, ni bijoux, ni aucune des denrées dont les lois prohibaient l'exportation, et la liste des prohibitions était considérable : on ne pouvait exporter ni les blés, ni les armes, ni les chevaux; les laines payaient à la sortie un droit considérable; en sorte que la permission donnée à ces infortunés d'emporter leurs richesses était une amère dérision »
  37. (en) Ron Christenson, Political Trials in History, Transaction Publishers, 1991, p. 441
  38. (en) Seymour B. Liebman, The Jews in New Spain : Faith, Flame, and the Inquisition, University of Miami, 1970, p. 33
  39. (en) David J. Goldberg, John D. Rayner, The Jewish People, Viking Ed., 1987, p. 108
  40. Version en ligne du 27/11/2008.
  41. Édition de 1911
  42. (la) Sebastián de Olmedo, Chronicon magistrorum generalium Ordinis Praedicatorum, fol. 80-81, repris dans (en) Charles George Herbermann, The Catholic Encyclopedia, Knights of Columbus Catholic Truth Committee, 1913, p. 783
  43. Jean Sévillia, Historiquement correct : pour en finir avec le passé unique, Perrin, 2003.
  44. Cullen Murphy, God's Jury : The Inquisition and the Making of the Modern World, Houghton Mifflin Harcourt, , 352 p. (ISBN 978-0-547-60782-5, lire en ligne Inscription nécessaire)

Voir aussi

Bibliographie

En français
  • (en) « Tomás de Torquemada », dans Encyclopædia Britannica, 1911 [de Torquemada (en) Lire en ligne sur Wikisource].
  • Bartolomé Bennassar, L'Inquisition espagnole, XVeXIXe siècle, Hachette, Paris, 1979.
  • Francisco Bethencourt, L'Inquisition à l'époque moderne (Espagne, Portugal, Italie : XVe-XIXe siècle), Fayard, Paris, 1995.
  • Henri Maisonneuve, L'Inquisition, Desclée-Novalis, 1989.
  • Juan Antonio Llorente, Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne : depuis l'époque de son établissement par Ferdinand V, jusqu'au règne de Ferdinand VII, tirée des pièces originales des archives du Conseil de la Suprême, et de celles des tribunaux subalternes du Saint-office, Alexis Pellier, Paris, Treuttel et Würz, 1817-18. (Note : cet ouvrage a longtemps fait référence, mais il est aujourd'hui considéré par les historiens actuels comme insuffisamment rigoureux (en particulier les bilans chiffrés, largement surévalués) ; il reste cependant un document historique intéressant.)
  • Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l'Inquisition espagnole (1815). Disponible en ligne.
  • Jean-Pierre Dedieu, 1492-1992, les deux éveils de l'Espagne, presses du CNRS,
En anglais
  • (en) Edward Peters, Inquisition, The Free Press, New York, 1988. (Note : comme le précédent, cet ouvrage s'inscrit dans le courant moderne de "révision" de l'histoire de l'Inquisition).
  • (en) Henry Kamen, The Spanish Inquisition : A Historical Revision, Weidenfeld & Nicolson, London, 1997. (Première édition : 1965).
  • (en) Enid A. Goldberg and Norman Itzkowitz, Tomas de Torquemada: Architect of Torture During the Spanish Inquisition, Franklin Watts Publishing, 2007
  • (en) William L. Putnam, Torquemada Revisited: The Power of Effective Persuasion on Intellectual Freedom and Racism, Trafford Publishing, 2006
  • (en) B. Netanyahu, The Origins of the Inquisition in Fifteenth-Century Spain, New York Review Books, 2d édition, 2001)
  • (en) Norman Roth, Converso, Inquisition, and the Expulsion of the Jews from Spain, Madison, 1995
  • (en) Toby Green, Inquisition, the reign of fear, Macmillan, 2007
  • (en) Rafael Sabatini, Torquemada and the Spanish Inquisition, Stanley Paul & Co Ltd, London 1928
  • (en) Henry Charles Lea, The History of the Inquisition of Spain, Macmillan, New York 1906-07 vol. 1 en ligne sur Wikisource
  • (en) Jean-Pierre Dedieu, Encyclopedia of the Middle Ages, James Clarke & Co (ISBN 978-0-19-518817-2, lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes