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Alexandra Kollontaï
Александра Коллонтай
Illustration.
Fonctions
Ministre plénipotentiaire puis
ambassadrice de l'Union soviétique en Suède

(15 ans)
Prédécesseur Viktor Kopp (en)
Successeur Ilia Tchernichiov (ru)
Chargée d'affaires puis
ministre plénipotentiaire de
l'Union soviétique en Norvège

(2 ans, 8 mois et 25 jours)
Prédécesseur Aleksandr Makar (ru)
Successeur Aleksandr Bekzadian (en)

(1 an, 11 mois et 22 jours)
Prédécesseur Konstantin Goulkevitch (ru)
Successeur Aleksandr Makar (ru)
Ministre plénipotentiaire de
l'Union soviétique au Mexique

(10 mois et 1 jour)
Prédécesseur Stanisław Pestkowski (en)
Successeur Aleksandr Makar (ru)
Commissaire du peuple
à l'Assistance publique

(3 mois et 12 jours)
Prédécesseur Révolution d'Octobre
Successeur Aleksandr Vinokourov (ru)
Biographie
Nom de naissance Alexandra Mikhaïlovna Domontovitch
Date de naissance
Lieu de naissance Saint-Pétersbourg (Empire russe)
Date de décès (à 79 ans)
Lieu de décès Moscou (Union soviétique)
Sépulture Cimetière de Novodievitchi
Nationalité Russe
(de 1872 à 1917)
Soviétique
(de 1922 à 1952)
Parti politique POSDR (1898-1906)
Mencheviks (1906-1915)
PCR(b) (1915-1952)
Diplômée de Université de Zurich
Profession Femme politique
Révolutionnaire
Diplomate

Signature de Alexandra KollontaïАлександра Коллонтай

Alexandra Mikhaïlovna Kollontaï (en russe : Александра Михайловна Коллонтай ; nom de jeune fille, Domontovitch, en russe : Домонто́вич), née le 19 mars 1872 ( dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg et morte le à Moscou, est une femme politique socialiste, communiste et militante féministe marxiste soviétique. Elle a été la première femme de l'histoire contemporaine à être nommée à la tête d'un ministère[1] et à devenir ainsi membre à part entière du conseil du gouvernement (que l'on avait rebaptisé Conseil des commissaires du peuple dans la Russie révolutionnaire)[note 1]. Elle a également été l'une des premières diplomates femmes du XXe siècle (probablement la première à avoir été officiellement élevée au rang d'ambassadrice)[2].

Biographie

Enfance et études

Alexandra Kollontaï, jeune.

Née en 1872[3], fille unique du général de l'armée tsariste Mikhaïl Domontovitch, issue de l'aristocratie[3], Alexandra Domontovitch reçoit une éducation soignée et polyglotte. Ses origines partiellement caréliennes lui permettent d'acquérir une bonne connaissance de la culture et de la langue finnoises, ce qui oriente sa carrière à partir de 1939.

Après avoir refusé, à l'âge de 17 ans, un mariage arrangé, elle épouse à l'âge de 20 ans un jeune officier dont elle est éprise, Vladimir Kollontaï[3], avec lequel elle a un enfant[3] et prend son nom en 1893. En 1896, lassée de la vie de couple, elle rompt avec son milieu d'origine et part étudier l'économie politique à l'université de Zurich, où elle devient progressivement marxiste. Appréciant les voyages, elle parcourt l'Europe, notamment la France, l'Allemagne et l'Italie. Elle se lie avec Lénine et Gueorgui Plekhanov, en exil en Suisse, ainsi qu'avec d'autres figures révolutionnaires, à l'instar de Rosa Luxemburg en Allemagne ou Paul Lafargue en France[3].

Premiers engagements politiques

Alexandra Kollontaï adhère au marxisme et au POSDR en 1898. En 1903 se produit la scission entre bolcheviks et mencheviks : rejetant dans un premier temps l'organisation militarisée[4] des bolcheviks, elle rejoint les mencheviks. Elle revient un temps en Russie pour participer à la révolution de 1905.

En 1908, elle est obligée de s'exiler en Allemagne et se rend ensuite dans toute l'Europe occidentale, faisant connaissance avec les plus importantes figures du socialisme international, comme Karl Kautsky, Clara Zetkin, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. En 1911, elle entame une relation d'amour avec un compagnon d'exil, Alexandre Chliapnikov. Ils formaient un couple atypique : elle était une intellectuelle menchevique, d'origine noble, treize ans plus âgée que son amant ; lui était un métallurgiste autodidacte venu de la province russe et un leader bolchevique d'une certaine importance. La liaison se termine en 1916, mais deviendra bientôt une amitié profonde fondée sur une correspondance générale d'idéaux politiques, qui se poursuivra jusqu'au commencement des années 1930, désormais en plein stalinisme[5].

Commissaire du peuple et critiques du léninisme

En 1914, elle s'oppose à la Première Guerre mondiale, et pour cette raison rejoint les bolcheviks, en 1915. Elle déclarait ainsi en 1912 : « Le prolétariat russe, aux côtés de celui du monde entier, proteste contre toutes les guerres. C’est un fait bien connu que le prolétariat ne connaît aucune frontière nationale. Il ne reconnaît que deux "nations" dans le monde civilisé : les exploiteurs et les exploités[6]. »

Elle se réfugie quelque temps en Europe du Nord puis aux États-Unis. Elle participe à la révolution de 1917 et devient commissaire du peuple à l’Assistance publique (qui correspond aux actuels ministères de la santé) dans le gouvernement des soviets, de à , ce qui fait d'elle la première femme du monde moderne à avoir participé à un gouvernement. Pendant la période révolutionnaire, elle épouse en secondes noces le marin bolchevique Pavel Dybenko, dix-sept ans plus jeune qu'elle, tout en conservant le nom de famille du premier mariage[7].

En 1919, elle crée le Jenotdel (département du parti chargé des affaires féminines) avec Inès Armand, ainsi que la revue La Communiste qui en est l'organe.

Alexandra Kollontaï est rapidement en désaccord avec la politique du parti bolchevik, d'abord avec l'étatisation de la production au lieu de la collectivisation, puis avec la réduction des libertés politiques, les conditions du traité de Brest-Litovsk et la répression contre les autres révolutionnaires. En 1918, elle fait partie de la tendance « communiste de gauche », qui publie la revue Kommunist. Elle se rallie en janvier 1921 à une fraction du parti, « l'Opposition ouvrière » conduite par Alexandre Chliapnikov et par Sergheï Medvedev, qui réclame plus de démocratie, l'autonomie des syndicats et le contrôle ouvrier sur la production industrielle. Toutefois, au cours du Xe Congrès du Parti communiste, qui a lieu en , le droit de fraction est supprimé et l'Opposition ouvrière est dissoute. Les principaux représentants du courant ne cessent pourtant pas leur activité politique. Au mois de juillet, Alexandra Kollontaï prend la parole, au nom des autres, devant le 3e Congrès de l'Internationale Communiste (Komintern) et attaque durement la Nouvelle politique économique (NEP) soutenue par Lénine, accusée de démoraliser la classe ouvrière en galvanisant parallèlement les paysans et la petite bourgeoisie, et de conduire à la restauration du capitalisme. En février 1922, elle contresigne une lettre ouverte adressée à l'Internationale communiste par vingt-deux ex-représentants de la fraction, y compris Chliapnikov et Medvedev, et d'autres communistes d'extraction ouvrière, et cherche en vain à prendre la parole devant le Comité exécutif de l'Internationale pour en exposer la teneur[8]. Au XIe Congrès du parti russe, qui se déroule entre mars et avril de la même année, Kollontaï, Chliapnikov, Medvedev et deux autres signataires de l'appel sont accusés de fractionnisme et menacés d'expulsion. Toutefois, le congrès décide de permettre aux trois de rester, à condition que la conduite fractionniste ne se répète pas à l'avenir, alors que les deux autres, Flor Anissimovitch Mitine (1882-1937) et Nikolaï Vladimirovitch Kuznetsov (1884-1937), sont expulsés avec effet immédiat[9]. Le discours que Kollontaï prononce devant le congrès pour se défendre sera probablement le dernier acte significatif de sa vie politique en tant qu'opposante.

La carrière diplomatique : un exil de fait

À la table de travail avec Marcel Body dans la légation soviétique à Oslo (1923).

Alexandra Kollontaï devient chargée d'affaires et peu après ministre plénipotentiaire de l'Union soviétique en Norvège en 1924 elle y était attachée commerciale depuis 1922, mais ce n'était pas encore une légation à proprement parler [10], ce qui revient à un exil de fait et lui interdit toute action dans la vie politique soviétique. Cela fait néanmoins d'elle l'une des premières femmes diplomates (les premières étant l'Arménienne Diana Abgar, la Hongroise Rosika Schwimmer[11] et la Bulgare Nadejda Stanchova (bg)[12]). Elle n'est pas formellement inquiétée, mais les journaux de l'époque l'attaquent avec virulence en mettant l'accent sur sa vie sentimentale sulfureuse, n'hésitant pas à la surnommer : « la scandaleuse » ou « l'immorale ». Alors qu'elle effectue un voyage aux États-Unis en qualité de représentante du Parti, les journaux soviétiques titrent : « La Kollontaïnette part pour l’étranger ; si ça pouvait être pour toujours ! »[13] Cet éloignement lui permet cependant d'échapper aux purges staliniennes (et à la potence), qui frapperont notamment ses anciens camarades de l'Opposition ouvrière et son propre ex-mari, Pavel Dybenko, au cours des années 1930.

Elle marque son mandat en récupérant l'or que l'ancien chef du gouvernement provisoire de la Russie Aleksandr Kerenski avait transféré en Finlande.

Après des missions diplomatiques saluées en tant que ministre et « représentante commerciale » au Mexique (1926-1927) et à nouveau en Norvège (1927-1930), Alexandra Kollontaï est envoyée en 1930 encore en tant que « ministre plénipotentiaire » en Suède, où elle demeure après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, entre 1940 et en 1944. En 1936, elle rencontre à Stockholm Marcel Body, qu'elle avait connu à Paris avant 1914 et lui transmet l'annonce de contacts secrets entre Hitler et Staline, parce que ce dernier craint plus que tout une guerre avec le Reich, information qu'elle autorise Body à transmettre à Léon Blum, qui refusa d'y croire. En passant cette information, Alexandra Kollontaï prenait un risque énorme pour elle-même et sa famille. De retour à Moscou, elle est longuement interrogée par le chef du NKVD, Iejov, sur ses relations avec Body mais écarte ses soupçons[14]. Elle rencontre en le ministre de Belgique à Stockholm, le prince Réginald de Croÿ, et lui déclare : « L'intérêt évident des puissances européennes est de s'opposer à l'impérialisme allemand. Il est évident que le danger allemand est plus grand qu'on a cru »[15]. Elle mène les négociations pour les deux armistices entre l'URSS et la Finlande, en 1940, après la Guerre d'Hiver, et en 1944. En 1943, lorsque la légation soviétique à Stockholm est élevée au rang d'ambassade, elle aussi est enfin officiellement promue ambassadrice[16]. En aoû 1942, elle est victime d'un AVC qui la rend paralysée du côté gauche et aphasique pendant plusieurs mois ; elle ne se déplacera plus qu'en chaise roulante[17]. En 1944, elle négocie également, avec le diplomate roumain Neagu Djuvara, les termes de l'armistice avec la Roumanie[18]. En 1945, doyenne du corps diplomatique, personnalité en vue de la capitale suédoise, elle donne une réception de départ où se rend le Tout-Stockholm. Des hommes et femmes politiques scandinaves, dont le président finlandais et ancien ambassadeur à Moscou, Juho Kusti Paasikivi, proposeront sa candidature pour le prix Nobel de la paix, en 1946 et 1947[19].

Cependant, elle ne manque pas de dureté lorsqu'elle expose et défend les positions du gouvernement stalinien de son pays, dont elle est l'interprète scrupuleuse. À propos des prisonniers de guerre russes de la Seconde Guerre mondiale, considérés par principe comme des déserteurs par le gouvernement soviétique ou, au mieux, comme « des couards et des paniqueurs » et ainsi devenus « victimes de deux dictatures »[20], Nicolas Werth rapporte[21] :

« L'URSS ne reconnaît pas l'existence de prisonniers de guerre soviétiques », déclara en décembre 1941 Aleksandra Kollontaï, la plus célèbre égérie bolchevique féministe, ambassadrice de l'URSS à Stockholm, alors que la Croix-Rouge internationale proposait sa médiation auprès des autorités allemandes pour tenter d'alléger le sort des captifs soviétiques. Elle ajoutait : « Ceux qui se rendent aux Allemands sont des déserteurs[22]. »

Les Grandes purges des années 1930 ayant particulièrement renouvelé l'appareil diplomatique soviétique (auxquelles elle échappe avec certains anciens bolcheviks comme l'ambassadeur à Londres Ivan Maïski), elle regrette, après la Seconde Guerre mondiale, l'équipe de Maxime Litvinov et sa pratique de la diplomatie : « Si, depuis la fin de la guerre, [...] nous avions mené une politique extérieure plus souple, « raisonnable », sans les efforts acharnés et maladroits des « juristes » pour compliquer les questions, nous aurions pu freiner [...] le processus d’hostilité et de réaction. L’objet de la diplomatie est précisément d’obtenir le maximum d’avantages pour son pays dans des circonstances défavorables. Depuis la fin 1945, notre diplomatie a suivi un autre chemin. L’ignorance de la psychologie des leaders des autres pays [...] voilà ce qui a suscité des difficultés inutiles là où elles auraient pu être évitées »[23].

Comme ses collègues Litvinov et Maïski, elle échappa aux Purges grâce à ses succès diplomatiques, où elle sut montrer son savoir-faire : Staline jugeait nécessaire de garder ce type de personnalités pour atténuer des tensions trop vives avec les Occidentaux.

Fin de vie

Elle a animé des séminaires sur l'histoire des relations internationales et celle de la politique extérieure soviétique à l'Institut de préparation des travailleurs diplomatiques et consulaires, créé par Maxime Litvinov en [23].

Alexandra Kollontaï renonce en mars 1945 à ses fonctions et termine sa vie à Moscou, où elle décède en 1952[24]. Elle est enterrée au cimetière de Novodevitchi lors d'une cérémonie où est louée sa carrière de diplomate, occultant son rôle dans la révolution et le parti communiste[24].

Féminisme

Copenhague, 1910, VIIIe congrès de l'Internationale socialiste, au centre Alexandra Kollontaï avec Clara Zetkin.

Comme beaucoup de socialistes ou de communistes, Alexandra Kollontaï condamne le féminisme de son époque, le considérant comme « bourgeois », puisqu'il détourne la lutte des classes en affirmant qu'il n'y a pas qu'une domination économique, mais aussi une domination des sexes. Mais elle travaille cependant à l'émancipation des femmes dans le combat communiste ; elle déclare ainsi : « La dictature du prolétariat ne peut être réalisée et maintenue qu’avec la participation énergique et active des travailleuses[25]. ».

Elle participe à la première conférence de l'Internationale socialiste des femmes, le , à Stuttgart (Allemagne). En 1910, elle accompagne la femme politique allemande Clara Zetkin (qu'elle aide à créer la Journée internationale des femmes, le 8 mars) à la deuxième conférence qui se tient à Copenhague ; elle y représente les ouvrières du textile de Saint-Pétersbourg[13]. Elles y rencontrent Inès Armand et Rosa Luxemburg.

Lors de la conférence qui a lieu deux ans plus tard à Bâle, elle est qualifiée de « Jaurès en jupons »[26]. Elle est membre honoraire de la British Society for the Study of Sex Psychology[26]. Elle est membre en 1921-1922 du secrétariat international de l'Internationale communiste des femmes, en tant que secrétaire générale.

L'action d'Alexandra Kollontaï, en tant que commissaire du peuple, et de ses consœurs leur permet le droit au divorce par consentement mutuel, l'accès à l'éducation, un salaire égal à celui des hommes, des congés de maternité et l'égalité de reconnaissance entre enfants légitimes et naturels. Le droit à l'avortement est obtenu en 1920[27] — il sera limité en 1936 par Staline, puis rétabli après la mort de ce dernier. Elle sera au cœur de nombreuses polémiques sur la place des femmes dans la société soviétique.

Amour libre (amour-camaraderie)

Clara Zetkin (à gauche) et Alexandra Kollontaï (à droite) au congrès du Komintern de 1921.

Elle pose la question de ce que seront les relations amoureuses dans une société libérée de la morale bourgeoise. Appliquant à l'amour le concept marxiste d'idéologie, elle considère qu'à chaque type d'organisation sociale (féodalisme, capitalisme, etc.) correspond un idéal amoureux, dont les caractéristiques permettent l'efficacité et le maintien de cette organisation. Pour elle, l'association entre sentiment amoureux et sexualité et le principe de fidélité au sein du couple marié sont des principes répondant aux besoins de la bourgeoisie dans une société libérale.

« Le réformateur religieux Luther, et avec lui tous les penseurs et hommes d'action de la Renaissance et de la Réforme (XVe-XVIe siècles) mesuraient très bien la force sociale que renfermait le sentiment de l'amour. Sachant que pour la solidité de la famille – unité économique à la base du régime bourgeois – il fallait l'union intime de tous ses membres, les idéologues révolutionnaires de la bourgeoisie naissante proclamèrent un nouvel idéal moral de l'amour : l'amour qui unit les deux principes [sentiment amoureux et sexualité]. [...]

L'amour n'était légitime que dans le mariage ; ailleurs, il était considéré comme immoral. Un tel idéal était dicté par des considérations économiques : il s'agissait d'empêcher la dispersion du capital parmi les enfants collatéraux. Toute la morale bourgeoise avait pour fonction de contribuer à la concentration du capital[28]. »

Elle estime que le mariage et la fidélité, qu'elle appelle la « captivité amoureuse », sont amenés à disparaître, et théorise une nouvelle morale sentimentale, l'amour-camaraderie, préfigurant le concept moderne de polyamour et basé sur trois principes :

  • l'égalité des rapports mutuels.
  • l'absence de possessivité et la reconnaissance des droits individuels de chacun des membres du couple.
  • l'empathie et le souci de l'autre réciproque (qui n'est exigé, précise-t-elle, que de la femme vers l'homme dans la "civilisation bourgeoise"). Elle-même vit des relations amoureuses libres et multiples.

Elle est critiquée par Lénine comme par Trotski, plus prudes, qui estiment le couple fidèle comme la forme naturelle d'expression amoureuse. Au courant de ses nombreuses liaisons, Lénine qualifie la vision de Kollontaï de « décadente »[29]. En 1924, Clara Zetkin attribue à Lénine dans des entretiens posthumes « cette fameuse théorie, selon laquelle la satisfaction des besoins sexuels sera, dans la société communiste, aussi simple et sans plus d’importance que le fait de boire un verre d’eau »[30].

Prostitution (abolitionnisme)

Alexandra Kollontaï milite pour l'abolition des lois réglementant ou interdisant la prostitution, dénonçant la réglementation comme la prohibition de la prostitution comme des « hypocrisies » qui frappent avant tout les prostituées les plus démunies. Le gouvernement dont elle fit partie mit fin aux réglementations de la prostitution qui existaient sous le régime tsariste.

« Le scandale de cette réglementation, c’est qu’elle retombe entièrement sur les femmes des classes pauvres ; devant les prostituées riches, la police comme les règlements ne font qu’ôter poliment leur chapeau[28]. »

Tout en s'opposant farouchement à la prostitution, elle met celle-ci sur un pied d'égalité avec le mariage tel qu'il existe à son époque, préfigurant la notion d'échange économico-sexuel de l'ethnologue contemporaine Paola Tabet.

« Dans la société bourgeoise, une femme est persécutée non pas quand elle ne travaille pas utilement pour la collectivité[note 2], ou parce qu'elle se vend pour des raisons vénales (deux tiers des femmes de la société bourgeoises se vendent à leur époux légitime), mais lorsque leurs relations sexuelles sont informelles et de courte durée. Le mariage dans la société bourgeoise se caractérise par la durée et la nature formelle de son enregistrement. L'héritage de la propriété est ainsi préservé. Les relations temporaires sans validation officielle sont considérées par les bigots et les hypocrites tenants de la morale bourgeoise comme étant honteuses. [...]

Pour nous, dans la république ouvrière, il n'est pas important qu'une femme se vende à un homme ou à plusieurs, qu'elle soit catégorisée comme une prostituée professionnelle vendant ses faveurs à une succession de clients ou comme une femme se vendant à son mari[31]. »

Tombe à Moscou.

Elle s'oppose également à la pénalisation des clients de la prostitution :

« Le problème suivant qu'il nous fallut résoudre fut de déterminer si la loi devait punir ou non les clients de prostituées. Certains membres de la commission furent pour, mais ils durent renoncer à l'idée, qui ne suit pas, logiquement, nos prémisses de base. Comment un client peut-il être défini ? Est-il quelqu'un qui achète les faveurs d'une femme ? Dans ce cas, les maris de nombreuses femmes légales seraient coupables. Qui décide qui est client et qui ne l'est pas[32] ? »

Pour elle, la fin de la prostitution (« qui est une violence que s'inflige une femme à elle-même pour des raisons financières ») doit venir par l'égale participation des femmes et hommes au travail collectif et à l'égale distribution des ressources produites, mettant fin à toute nécessité, pour les femmes, de se vendre à des hommes en échange d'argent — c'est-à-dire mettant fin à la fois au mariage bourgeois et à la prostitution.

Décorations

Décorations soviétiques

Décorations étrangères

  • Norvège : ordre de Saint-Olaf
  • Mexique : ordre de l'Aigle aztèque

Postérité

Timbre soviétique de 1972.
Avenue nommée temporairement Alexandra Kollontaï à Genève (avenue de la Paix).

Alexandra Kollontaï a inspiré la création d'une marque québécoise de vêtements « Kollontaï »[33],[34].

Elle est notamment une des nombreuses femmes de l'Histoire, citées dans le morceau Rimes féminines de la chanteuse française Juliette.

Le , une plaque est inaugurée devant son domicile moscovite pour le 145e anniversaire de sa naissance, par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov[35].

En 2019 à Genève, l'association l'Escouade dans le cadre du projet 100elles renomme temporairement l'avenue de la Paix à son nom[36],[37].

Commentaires

« Alexandra Kollontaï, controversée, flamboyante, aristocratique, et avant tout indépendante, a dominé la théorie et la pratique bolchevik sur la “question féminine” de 1906 à 1922. Inévitablement, c'est sur elle et sur ses idées que se penchent, à la fois ses contemporains et les historiens qui suivirent, dans l'étude des relations entre les femmes et l'État dans la révolution russe. [...] Toute cette attention a peut-être masqué le fait qu'Alexandra Kollontaï était hautement atypique en tant que femme bolchevik. »

— Beryl Williams, Women in the Russian Revolution (1986)

Citations

  • « Lors des conflits et des grèves, la femme prolétaire, opprimée, timide et sans droits, d’un coup apprend à se tenir debout et droite […] La participation au mouvement ouvrier rapproche l’ouvrière de sa libération » ;
  • « Il ne peut y avoir d'activité en soi sans liberté de pensée et d'expression, pour qu'elle se manifeste non seulement dans l'initiative, l'action et le travail, mais aussi dans la pensée indépendante » (L'Opposition ouvrière, Les Itinéraires de citoyenneté, 1921) ;
  • « Pour supprimer la bureaucratie nichée dans les institutions soviétiques, nous devons d'abord nous débarrasser de la bureaucratie dans le parti lui-même » (L'Opposition ouvrière, Les Itinéraires de citoyenneté, 1921).

Notes et références

Notes

  1. La « comtesse rouge » Sophie Panine, membre du Parti constitutionnel démocratique, avait auparavant travaillé dans le gouvernement provisoire de Kerenski, mais seulement avec le rang de ministre adjointe, d'abord de l'Assistance publique sous Dmitri Chakhovskoï (en), puis de l'Éducation sous Sergueï Oldenbourg ((en) N. C. Noonan, Encyclopedia of Russian women's movements, Greenwood Publishing Group, (lire en ligne), « Panina, Countess Sof'ia Vladimirovna (1871-1956) », p. 49-50).
  2. La désertion du travail était une infraction gravement punie par le régime communiste. Pour Kollontaï, les prostituées professionnelles sont passibles de sanctions, non pas pour leur activité, mais pour désertion du travail si elles n'ont pas d'activité principale.

Références

  1. Sophie Cœuré, « Alexandra Kollontaï, l'émancipation des femmes expliquée à Lénine », dans François Bonnet (dir.), Des vies en révolution : Ces destins saisis par Octobre-17, Paris, Don Quichotte, (ISBN 978-2-35949-652-9, lire en ligne) : « Quelques jours après le coup d'État d'octobre, elle devient commissaire du peuple à l'Assistance publique, première femme ministre de l'histoire ».
  2. Voir ci-dessous : La carrière diplomatique : un exil de fait
  3. 1 2 3 4 5 Camille Paix, « Alexandra Kollontaï, l’impolie amoureuse », Libération, (lire en ligne)
  4. (ru) Александра Коллонтай, Из моей жизни и работы : воспоминания и дневники, Moscou, Советская Россия, , 412 p., p. 96.
  5. (en) Barbara C. Allen, « ‘A Proletarian From a Novel’ : Politics, Identity, and Emotion in the Relationship between Alexander Shliapnikov and Alexandra Kollontai, 1911-1935 », The Soviet and Post-Soviet Review, vol. 35, no 2, , p. 163-191 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
  6. Le Prolétariat et la Guerre, 1912.
  7. (en) Simon Karlinsky, « The Menshivic, Bolshevik, Stalinist feminist », The New York Times, (lire en ligne, consulté le ) :
    « Bolshevik leaders reacted to the difference in their ages like cackling village gossips »
    « Les dirigeants soviétiques ont réagi à leur différence d'âge comme des commères du village. »
  8. (en) Barbara C. Allen, « Early dissent within the party: Alexander Shliapnikov and the letter of the twenty-two », dans The NEP Era: Soviet Russia 1921-1928, vol. 1, Idyllwild, Charles Schlacks, (lire en ligne), p. 21-54 (citations p. 31)
  9. Allen (« Early dissent »), pp. 48-52.
  10. Autobiografia, p. 63-64.
  11. Pour être précis, ni l'une ni l'autre ne menèrent une carrière diplomatique, ayant tous deux occupé un seul poste et pendant très peu de temps.
  12. Fille de l'ancien Premier ministre bulgare Dimitar Stanchov, elle fut nommée en 1921 « première secrétaire » (et donc deuxième en rang) de la légation de son pays aux États-Unis, dans le cadre d'une véritable carrière diplomatique.
  13. 1 2 www.bakchich.info/Alexandra-Kollontai-la-mere-de,10209.html.
  14. Carrère d'Encausse 2021, p. 244-245.
  15. Maurice Schumann, Un certain 18 juin, Paris, Plon, , 307 p., p. 178.
  16. Iring Fetscher, postface en Autobiografia, p. 92.
  17. Carrère d'Encausse 2021, p. 258.
  18. Dan Giju, Neagu Djuvara - Curierul de la Stockholm Neagu Djuvara, le courrier de Stockholm »), interview de Djuvara sur le site du ministère roumain de la Défense, vu le 13 juin 2007. L'armistice sera signé à Moscou le 12 septembre 1944.
  19. (en) « Nomination archive: Alexandra Mikhaylovna Kollontay », sur The Nobel Prize (consulté le ).
  20. D'après Pavel Polian, Zhertvy dvukh diktatur Victimes de deux dictatures »), Moscou, Rosspen, 2002.
  21. Nicolas Werth, « Le martyre des prisonniers de guerre soviétiques », L'Histoire mensuel, no 480, (lire en ligne, consulté le ).
  22. Cité dans l'ouvrage de Christian Streit, Keine Kameraden. Die Wehrmacht und die sowjetischen Kriegsgefangenen, [1978], Bonn, J. H. W. Dietz Nachf, 1997, p. 236.
  23. 1 2 Sabine Dullin, « Une diplomatie plébéienne ? Profils et compétences des diplomates soviétiques 1936-1945 », Cahiers du monde russe, 2003/2, vol. 44, p. 437-464.
  24. 1 2 Carrère d'Encausse 2021, p. 268.
  25. Résolution sur le rôle des femmes travailleuses, .
  26. 1 2 http://itinerairesdecitoyennete.org/journees/8_mars/documents/alexandra%20kollontai.pdf
  27. Nicolas Werth, Essai sur l'histoire de l'Union soviétique 1914 - 1991, Paris, Perrin, coll. « Tempus », (1re éd. 2019), 476 p. (ISBN 9782262078799), « 6 », p. 129 & suiv.
  28. 1 2 Place à l'Eros ailé ! (Lettre à la jeunesse laborieuse), Alexandra Kollontai, "La jeune Garde" no 3, mai 1923.
  29. (ru) Павел Романов, Советская социальная политика 1920-х - 1930-х годов. Идеология и повседневность, Москва, Вариант : ЦСПГИ, , 430 p. (ISBN 978-5-903360-04-8), p. 205
  30. Sophie Cœuré, « Alexandra Kollontaï, révolutionnaire et féministe », La Vie des idées, (lire en ligne, consulté le ).
  31. « In bourgeois society a woman is condemned to persecution not when she does no work that is useful to the collective or because she sells herself for material gain (two-thirds of women in bourgeois society sell themselves to their legal husbands), but when her sexual relationships are informal and of short duration. Marriage in bourgeois society is characterised by its duration and by the official nature of its registration. Property inheritance is preserved in this way. Relationships that are of a temporary nature and lack official sanction are considered by the bigots and hypocritical upholders of bourgeois morality to be shameful. [...] To us in the workers’ republic it is not important whether a woman sells herself to one man or to many, whether she is classed as a professional prostitute selling her favours to a succession of clients or as a wife selling herself to her husband. », dans Prostitution and ways of fighting it, discours à la IIIe conférence Panrusse de chefs de Département régionaux des Femmes, 1921.
  32. « The next problem that had to be tackled was whether or not the law should punish the prostitute’s clients. There were some on the commission who were in favour of this, but they had to give up the idea, which did not follow on logically from our basic premises. How is a client to be defined? Is he someone who buys a woman’s favours? In that case the husbands of many legal wives will be guilty. Who is to decide who is a client and who is not?  », dans Prostitution and ways of fighting it, discours à la IIIe conférence Panrusse de chefs de Département Régionaux des Femmes, 1921.
  33. « Kollontaï célèbre ses 10 ans au Salon des métiers d’art » sur le site voir.ca, 4 décembre 2008.
  34. (en) « Kollontaï - Créations mode pour femmes. Fait à Montréal depuis 1998. », sur Kollontaï (consulté le ).
  35. Sophie Cœuré, « Octobre 17. Alexandra Kollontaï, l’émancipation des femmes expliquée à Lénine », mediapart.fr, 17 juillet 2017.
  36. Sylvia Revello, « Les rues genevoises en voie de féminisation », Le Temps, (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  37. « Alexandra KOLLONTAÏ », sur 100 Elles* (consulté le )

Bibliographie

Autobiographie

  • Alexandra Kollontaï (trad. du russe), Autobiographie d'une femme sexuellement émancipée, Paris, Éditions Gît-le-Cœur, , 39 p. (OCLC 462628779, BNF 35179101).
  • (en) Alexandra Kollontai (trad. du russe par Salvator Attansio), The Autobiography of a Sexually Emancipated Communist Woman, Herder and Herder, (lire en ligne).
  • (de) Alexandra Kollontaj (postface Iring Fetscher), Autobiographie einer sexuell emanzipierten Kommunistin, Munich, Rogner & Bernhard, .
  • (it) Aleksandra Kollontaj (postface Iring Fetscher), Autobiografia, Milan, Feltrinelli, .

Autres œuvres

  • Alexandra Kollontaï, L'Opposition ouvrière (traduction de Pierre Pascal, introduction de Jean-Marie Gélinet, postface d’Astrid Valh), Paris, Éditions du Seuil, 1974.
  • Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle (textes choisis et présentés par Judith Stora-Sandor, traduits par Claude Ligny), Paris, F. Maspero, 1973 ; Paris, La Découverte, 2001.
  • Alexandra Kollontaï (trad. A. Hugonnot, pref. S. Cœuré), L'amour libre, Forcalquier, Editions Les Prouesses, 2022 (ISBN 978-2-493324-03-0).

Études

  • Hélène Carrère d'Encausse, Alexandra Kollontaï : La Walkyrie de la Révolution, Paris, Fayard, , 295 p..
  • Arkadi Vaksberg, Alexandra Kollontaï, Paris, Fayard, 1996.
  • Georges Duby et Michelle Perrot, Histoire des femmes en Occident. 5. Le XXe siècle, Paris, Plon, 1992 (ISBN 2-259-02386-X)
  • Patricia Latour (textes choisis et présentés par), Alexandra Kollontaï, le féminisme, la révolution, l'amour et la liberté, Le Temps des cerises, 2017.
  • Sophie Cœuré, Alexandra Kollontaï, révolutionnaire et féministe, La vie des idées (10 janvier 2023)
  • Andreï Kozovoï, Égéries rouges. Douze femmes qui ont fait la révolution russe, Perrin, 2023.

Annexes

Articles connexes

Liens externes