Naissance | |
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Décès |
(à 75 ans) Woluwe-Saint-Lambert |
Sépulture |
Cimetière du Dieweg |
Nom de naissance |
Georges Prosper Remi |
Pseudonyme |
Hergé |
Nationalité | |
Domiciles | |
Formation | |
Activités |
Cartooniste, scénariste, illustrateur, auteur de bande dessinée, écrivain, dessinateur |
Période d'activité |
- |
Conjoints |
Germaine Kieckens (d) (de à ) Fanny Rodwell (de à ) |
A travaillé pour |
Le Vingtième Siècle (à partir du ) |
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Membre de |
Association royale des Boy-Scouts de Belgique (d) (- |
Conflit | |
Mouvement |
École de Bruxelles |
Genre artistique |
Ligne claire |
Influencé par |
Trois Hommes dans un bateau, They and I (d), À la dure, George McManus, Georges Colomb, Hansi, Alain Saint-Ogan |
Site web |
(en) tintin.com/herge |
Distinctions | Liste détaillée Prix Adamson () Prix Saint-Michel () Officier de l'ordre de la Couronne () Jack Kirby Hall of Fame (d) () Temple de la renommée Will-Eisner () |
Les Aventures de Tintin, Quick et Flupke, Jo, Zette et Jocko |
Georges Remi[alpha 1], dit Hergé, né le en Belgique à Etterbeek (province de Brabant) et mort le à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), est un auteur de bande dessinée belge, principalement connu pour Les Aventures de Tintin, l'une des bandes dessinées européennes les plus populaires du XXe siècle.
D'abord dessinateur amateur d'une revue scoute, il signe à partir de 1924 ses planches du pseudonyme « Hergé » formé à partir des initiales « R » de son nom et « G » de son prénom. Quelques mois plus tard, il entre au quotidien Le Vingtième Siècle, dont il devient rapidement l'homme providentiel grâce aux Aventures de Tintin. Celles-ci débutent le 10 janvier 1929 dans un supplément du journal destiné à la jeunesse, Le Petit Vingtième. Hergé, qui est l'un des premiers auteurs francophones à reprendre le style américain de la bande dessinée à bulles, est souvent considéré à ce titre comme « le père de la bande dessinée européenne »[1].
Durant les années 1930, Hergé diversifie son activité artistique (illustrations de journaux, de romans, de cartes et de publicités), tout en poursuivant la bande dessinée. Il crée Les Exploits de Quick et Flupke (1930), Popol et Virginie au pays des Lapinos (1934) et enfin Les Aventures de Jo, Zette et Jocko (1935). Il poursuit la production des Aventures de Tintin en publiant, après le premier album Tintin au pays des Soviets, Tintin au Congo puis Tintin en Amérique. En 1934, il fait la rencontre de Tchang Tchong-Jen, jeune étudiant chinois venu étudier à l'Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Cette rencontre bouleverse la pensée et le style d'Hergé. Il commence à se documenter sérieusement pour la conception de ses albums, ce qu'il ne faisait pas jusque-là, et crée Le Lotus bleu. Tous ses albums d'avant-guerre sont publiés en noir et blanc.
Lors de l'invasion de la Belgique en 1940, la publication du Petit Vingtième est arrêtée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hergé remanie et met en couleurs ses albums avec l'aide de collaborateurs. La publication des Aventures de Tintin reprend dans le supplément jeunesse du quotidien Le Soir, alors contrôlé par l'occupant allemand. Cela vaut à Hergé d'être accusé de collaboration et d'être temporairement interdit de publication à la libération. En 1946, il lance le journal Tintin avec un ancien résistant devenu éditeur, Raymond Leblanc. Hergé est le directeur artistique de cet hebdomadaire, dont le grand succès contribue à celui de la bande dessinée franco-belge, et dans lequel il impose son style graphique de la ligne claire.
Dans les années 1950, Hergé fonde et dirige les Studios Hergé, un atelier de dessin pour l'assister dans la réalisation des Aventures de Tintin, dont font partie des artistes comme Bob de Moor, Jacques Martin et Roger Leloup. S'il reprend brièvement Jo, Zette et Jocko et Quick et Flupke, son œuvre principale demeure Tintin, qui lui vaut une renommée croissante dans les années 1960 et 1970. Il meurt d'une leucémie en 1983. Considéré comme l'un des plus grands artistes contemporains, il a vendu presque 250 millions d'albums, traduits dans une centaine de langues. L'œuvre d'Hergé est gérée par sa veuve Fanny Rodwell par l'intermédiaire des Éditions Moulinsart, des Studios Hergé et de la société Tintinimaginatio. Le musée Hergé est inauguré en 2009.
Biographie
Jeunesse bruxelloise (1907-1925)
Origines familiales
Georges Prosper Remi[2],[3] naît au no 25 de la rue Cranz[alpha 2] à Etterbeek, commune de l'agglomération bruxelloise, le à 7 h 30[c 1]. L'enfant est baptisé quelques semaines plus tard, le , à l'église paroissiale de la commune[c 1] ; sa marraine est sa propre grand-mère maternelle, Antoinette Roch[3]. Ses parents appartiennent à la classe moyenne bruxelloise : Alexis Remi (1882-1970) est employé dans la maison de confection pour enfants Van Roye-Waucquez à Saint-Gilles et Élisabeth Dufour (1882-1946), ancienne couturière, est sans profession[4],[5],[c 1].
L'origine d'Alexis Remi est mystérieuse. Le , sa mère, Léonie Dewigne, âgée de 22 ans, donne naissance à deux jumeaux, Alexis et Remi, nés de père inconnu[a 1]. D'après les recherches de Philippe Goddin, l'un des biographes d'Hergé, celui-ci pourrait être Alexis Coismans, un ébéniste bruxellois qui refuse d'endosser la paternité des deux jumeaux[6]. Il s'appuie notamment sur le fait que ce dernier se présente à la maison communale d'Anderlecht pour déclarer la naissance des enfants et que l'un des jumeaux porte son prénom[3]. Léonie Dewigne travaille comme domestique auprès de la comtesse Hélène Errembault de Dudzeele dans sa propriété de Chaumont-Gistoux, dans le Brabant wallon[c 2][alpha 3], puis à Bruxelles[a 1]. Pour cette raison, certains attribuent la paternité des jumeaux à un personnage illustre, qu'il s'agisse du comte Gaston Errembault de Dudzeele, diplomate de carrière, ou encore du roi Léopold II, qui venait parfois à Chaumont-Gistoux[c 2],[7]. La comtesse porte une certaine attention aux enfants de Léonie, leur offrant des vêtements ou finançant leur inscription à l'école jusqu'à l'âge de 14 ans[a 1]. En 1893, Léonie Dewigne épouse son voisin Philippe Remi[8], ouvrier dans une imprimerie, qui reconnaît aussitôt les jumeaux Alexis et Remi, ces derniers portant désormais son nom de famille[a 1]. Après la mort de Léonie en 1901, les liens de la famille avec Philippe Remi se distendent, bien qu'il signe l'acte de mariage des parents d'Hergé ; aussi, ce dernier ne l'a jamais rencontré[a 1]. L'identité de son véritable grand-père demeure donc énigmatique[9], et la possibilité d'une ascendance illustre laisse penser au psychanalyste Serge Tisseron que le poids de ce secret de famille influence l'ensemble de l'œuvre du futur Hergé[alpha 4],[a 2].
Quant à Élisabeth Dufour, d'origine flamande, elle est née dans le quartier des Marolles à Bruxelles[a 3], ce qui fait dire plus tard à Georges Remi, son père étant wallon : « Je suis un Belge synthétique[c 3] ». Après la naissance de Georges, la famille Remi ne cesse de déménager. Le , ils s'installent au no 34 de la rue de Theux à Etterbeek, chez les parents d'Élisabeth, Joseph Dufour (1853-1914), ancien plombier, et Antoinette Roch (1854-1935)[a 3]. De santé fragile, la jeune mère est victime d'une rechute de pleurésie durant l'hiver 1909-1910[12],[a 3]. Bien que souvent absent pour des raisons professionnelles qui l'amènent à voyager en France et en Italie, Alexis Remi est très affectueux et protecteur envers son épouse[a 3].
Une friction familiale fait partir le jeune couple qui s'installe le au no 57 de l'avenue Jules Malou, dans la même commune[13]. Mais le loyer trop élevé les oblige à revenir rue de Theux, cette fois au no 91, pour la naissance du deuxième enfant du couple, Paul Léon Constant Remi, le [13].
Enfance, entrée à l'école et occupation de la Belgique (1907-1918)
De son enfance, Hergé semble garder un souvenir contrasté : « Tout à fait quelconque mon enfance. Dans un milieu très moyen, avec des évènements moyens, des pensées moyennes. Pour moi, le « vert paradis » du poète a été plutôt gris. […] Mon enfance, mon adolescence, le scoutisme, le service militaire, tout était gris. Une enfance ni gaie, ni triste, mais plutôt morne[14]. » Les entretiens que livre l'auteur au cours de sa carrière laissent entrevoir l'étroitesse d'esprit, voire l'inculture, de son milieu familial, tout autant qu'un manque d'affection. Bien qu'il les décrive comme des parents « très bons », Hergé reconnaît finalement qu'ils étaient peu expansifs et que les échanges entre eux étaient limités : « Ils étaient du genre laconique[15]. » Il évoque également une sorte de rendez-vous manqué avec sa propre mère : « Elle est morte sans que nous ayons eu de véritables contacts[a 4] ». Elle a progressivement souffert d'alcoolisme, de dépression puis de problèmes psychiatriques à la fin de sa vie. Si l'auteur assure que son enfance était « exempte de grands malheurs »[16], son biographe Benoît Peeters affirme qu'il aurait subi un abus sexuel de la part d'un de ses oncles, de dix ans son aîné[a 4],[alpha 5].
Selon ses propres mots, le petit Georges était un enfant insupportable, « particulièrement lorsque ses parents l'emmenaient en visite ». L'un des remèdes les plus efficaces est de lui fournir alors un crayon et du papier[17]. L'un de ses premiers dessins connus, exécuté en 1911[a 5], figure au dos d'une carte postale et représente au crayon bleu un train à vapeur, un garde-barrière et une automobile, tous trois parfaitement reconnaissables[18],[19]. Dans ses premières années, Georges Remi reste auprès de sa mère qui l'emmène chaque semaine au cinéma. La naissance de son frère cadet, Paul, bouleverse son quotidien, lui qui avait été élevé jusque-là comme un enfant unique. Les deux frères, de caractères très opposés, ne seront jamais proches[a 6]. Le , Georges, âgé de 6 ans, entre à l'école primaire no 3 d'Ixelles, un établissement laïc et payant jouissant d'une très bonne réputation et où le jeune garçon obtient d'excellents résultats[a 6], étant classé 3e sur 25[5].
À peine l'année scolaire est-elle terminée que la Belgique est occupée par l'armée allemande de Guillaume II, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Son oncle Léon est mobilisé sur le front de l'Yser dès la fin ; il en reviendra, après quatre ans de combats, décoré de la croix de guerre avec palmes[20]. Le cardinal Mercier, archevêque de Malines, en appelle à la résistance belge. Entretemps, la santé d'Élisabeth décline de nouveau. La famille Remi suit les conseils de son médecin et déménage à la campagne, au no 124 rue du Tram à Watermael-Boitsfort, dans la banlieue sud de Bruxelles[5],[a 7]. La famille n'y reste que quelques mois et revient finalement à Etterbeek[a 7]. En , Georges Remi intègre l'école no 3 d'Ixelles, un établissement gratuit où il effectue la suite de sa scolarité primaire[a 7]. Il dessine parfois dans le bas de ses cahiers des histoires imagées qui racontent les démêlés d'un petit garçon avec l'occupant allemand[17] :
« Un jour, un élève m'a pris un dessin et l'a montré au professeur. Celui-ci l'a regardé avec une moue méprisante, et m'a dit : « Il faudra trouver autre chose pour vous faire remarquer ! » Parfois l'instituteur, me voyant occupé à griffonner et me croyant distrait, m'interpellait brusquement : « Remi !… Répétez donc ce que je viens de dire ! » Et déjà il ricanait méchamment dans sa barbe. Mais son visage exprimait généralement un profond étonnement lorsque, tranquillement, sans hésiter, je répétais ce qu'il venait de dire. Car si je dessinais d'une main, eh bien, j'écoutais attentivement de l'autre ! »
— Hergé, interview[21].
L'état de santé d'Élisabeth s'améliorant, la famille Remi revient s'installer définitivement en au no 34 rue de Theux à Etterbeek[22],[a 7]. Ce quartier, entouré de champs et de terrains vagues, est un terrain de jeu idéal pour Georges Remi qui passe son temps libre à jouer dans la rue avec ses camarades de classe[a 7].
Études secondaires et scoutisme (1918-1925)
Le , il entre à l'École supérieure no 11 d'Ixelles, un établissement qui doit le préparer à entrer dans la vie active[a 8]. À l'occasion du premier anniversaire de l'Armistice en novembre 1919, il compose une vaste fresque patriotique faite de craies de couleur dans laquelle les soldats belges « flanquaient une solide raclée à l'armée allemande », ce qui bouleverse son professeur de dessin, monsieur Stoffijn, dit « Fine-Poussière », qui a pourtant l'habitude de lui attribuer des notes en dessous de la moyenne, au grand dam de Georges Remi qui passe après de ses camarades pour un dessinateur doué[c 4],[23]. La même année, Georges Remi découvre le scoutisme aux Boy-Scouts Belges, une troupe laïque[a 8].
Le patron d'Alexis Remi lui conseille fortement de placer son fils dans un établissement catholique, à la suite d'une année scolaire plutôt médiocre. Après avoir effectué sa communion solennelle à l'église Sainte-Gertrude d'Etterbeek, Georges Remi entre à l'Institut Saint-Boniface de Bruxelles, dirigé par l'abbé Pierre Fierens, à la rentrée 1920[a 8]. Il intègre également la troupe scoute de Saint-Boniface[24], membre de l'Association des scouts Baden-Powell de Belgique, ce qui est un déchirement pour lui tant il était attaché aux camarades de sa première troupe[a 8],[25]. Il évolue dès lors dans un milieu traditionnaliste et catholique, très ancré à droite[a 8]. Il devient rapidement chef de la patrouille des « Écureuils » et reçoit le nom totémique de « Renard curieux »[26]. L'adolescent prend plaisir dans le scoutisme : « C'est avec le scoutisme que le monde a commencé à s'ouvrir pour moi. C'est le grand souvenir de ma jeunesse. Le contact avec la nature, le respect de la nature, la débrouillardise. Tout cela a été essentiel pour moi et […] ce sont des valeurs que je ne renie pas[a 9] ». Pendant l'été 1922, sa troupe parcourt à pied la Suisse, les Dolomites et le Tyrol, puis l'année suivante dans les Pyrénées, un voyage qui marque durablement Georges Remi[a 10].
Sur le plan scolaire, Georges Remi est un élève brillant qui reçoit chaque année le prix d'excellence. En , il achève ses études secondaires à la première place, et obtient paradoxalement son plus mauvais résultat en dessin[c 5],[26]. Au dernier trimestre, le prix de dessin ne lui est pas attribué, au grand dam de ses camarades[27]. Son professeur, l'abbé Proost, leur répond : « Bien sûr, Remi mérite mieux ! Mais il fallait dessiner des épures, des prismes et autres objets avec ombre portée… Chez ce garçon, un autre dessin est inné ! Ne vous en faites pas, on en reparlera[28] ».
La passion du dessin (1921-1925)
Georges Remi recouvre ses livres et ses cahiers de dessins et de croquis. Tout est prétexte pour lui à dessiner et c'est en autodidacte qu'il se forme[a 11]. Il est en particulier fasciné par l'Amérique des cow-boys et des Indiens, comme le prouvent ses cahiers de l'époque qui fourmillent de visages[29]. Pendant l'automne 1922, à l'occasion de la fête de l'aumônier Hansen, le créateur de la troupe scoute, il est choisi pour dessiner une vaste fresque sur un mur de l'Institut Saint-Boniface[c 6], composée d'une scène de chevaliers en armure, de cow-boys et d'Indiens, une œuvre classée en 2022 au patrimoine remarquable de Belgique[30],[31].
Dès 1921, il fait paraître ses dessins dans des revues, à l'initiative de René Weverbergh : en premier lieu le Jamais Assez[alpha 6], puis Le Boy-Scout[b 1],[c 6]. C'est dans cette revue qu'il signe pour la première fois, en , « Hergé », en inversant ses initiales[c 6].
Hergé sollicite souvent l'aide d'un dessinateur plus âgé que lui, Pierre Ickx, avec qui il fonde l'« Atelier de la Fleur de Lys », en . Il en rédige le manifeste théorique qu'il publie dans Le Boy-Scout[32]. Au mois de , Le Boy-Scout publie ce qui peut être considéré comme la première bande dessinée d'Hergé, même si ce terme n'existe pas encore à l'époque[b 1]. Il s'agit d'un gag constitué de deux images, intitulé L'Appel du clairon, qui montre de jeunes scouts plus empressés de déguster leur soupe que d'effectuer leur corvée d'épluchures. Dans cette courte séquence, le dessinateur innove par l'emploi de phylactères[33]. Ses responsabilités scoutes le conduisent à participer aux activités de l'Action catholique de la jeunesse belge, qui s'inscrit dans le mouvement initié par le pape Léon XIII et poursuivi par le cardinal Mercier, dont l'objectif est de relancer l'enthousiasme religieux qui commence à péricliter au sein de la société belge et plus largement européenne[34]. C'est dans ce cadre qu'il publie parfois ses dessins dans la revue Le Blé qui lève. En , il réalise pour ce journal une bande de quatre dessins sur les « plaisirs du vélo » où un cyclotouriste regonfle son pneu tellement fort qu'il le fait exploser[35],[b 2]. D'autre part, il réalise de nombreuses têtes de rubriques, des illustrations de contes, de petits gags, ainsi que l'emblème de la Jeunesse indépendante catholique (JIC) : l'aigle noir tenant le bouclier armorié JIC[34]. Au même moment, son chef de troupe René Weverbergh lui offre pour la Saint-Georges un ouvrage intitulé Anthologie d'Art afin qu'il perfectionne son coup de crayon[36]. Comme le souligne l'écrivain Benoît Peeters, « c'est l'une des caractéristiques les plus frappantes de l'œuvre d'Hergé […] que d'avoir été immédiatement publiée. On pourrait même dire qu'elle fut publiée avant d'être publiable. Toute sa formation se fit à découvert : sous les yeux de ses premiers lecteurs »[a 12].
À la fin de ses humanités, Georges Remi n'envisage pas de faire des études supérieures, tout comme ses parents considèrent qu'il est temps pour lui de trouver un métier[a 13]. L'été 1925 marque non seulement la fin des études pour Hergé mais aussi une profonde blessure sentimentale, causée par la rupture avec Marie-Louise van Cutsem, surnommée « Milou ». Les deux adolescents sont amis depuis l'enfance car leurs familles se fréquentent et passent parfois quelques jours de vacances ensemble[a 13], notamment au bord de la mer à Ostende[37]. En , Georges Remi avait notamment croqué dans le cahier de poésie de son amie un dessin à l'encre de Chine et à l'aquarelle représentant un coq qui apostrophe un lapin face à un œuf brisé[38]. Georges et « Milou » entament une relation amoureuse pendant l'été 1924, mais le père de Marie-Louise, un décorateur de renom qui travaille notamment pour Victor Horta, voit cette union d'un mauvais œil. Il s'oppose à leurs fiançailles et exige que sa fille rompe avec un garçon qu'il juge sans avenir[a 13].
Première carrière de dessinateur (1925-1929)
Entrée au Vingtième Siècle, début des aventures de Totor dans Le Boy-Scout (1925-1926)
Ses études secondaires terminées, Hergé cherche désormais du travail. Lors d'une réunion scoute, l'abbé Armand Wathiau, directeur de l'Institut Saint-Boniface, le met en relation avec la direction du Vingtième Siècle qui lui propose un poste d'employé[b 3]. Il est engagé à partir du au service des abonnements du quotidien, et son travail consiste alors surtout à inscrire le nom des nouveaux abonnés sur des formulaires spéciaux et à traiter du courrier[b 3],[39]. Dans le même temps, les parents de Georges Remi, conscients du talent de leur fils, l'inscrivent aux cours de dessin de l'école Saint-Luc, mais il n'assiste cependant qu'à un seul cours[a 14] : « Le plâtre, ça ne m'intéressait pas : je voulais dessiner des bonshommes, moi, des choses vivantes ! Or, à l'époque et dans ce milieu catholique, il était exclu que je fisse du modèle vivant : le nu, c'était Satan, Belzébuth et compagnie[40]. » À cette époque, Hergé pratique également le théâtre avec ses amis Philippe Gérard et José de Launoit, au sein de la troupe des « Gargamacs », née de la fusion de deux groupes d'anciens scouts du collège Saint-Boniface[a 15].
Son travail de « gratte-papier » au Vingtième Siècle le passionne peu[a 15]. Hergé continue de publier en parallèle des planches de gags pour la revue du Boy-Scout. Dans le numéro de , la double page centrale propose les Extraordinaires Aventures de Totor, C. P. des Hannetons, un « grand film comique »[b 4]. Le dessin en noir et blanc est quasiment dépourvu de phylactères, le texte étant placé sous les vignettes[b 4]. La suite des aventures de ce scout débrouillard, souvent reconnu comme l'ancêtre de Tintin, connaît cependant une série d'interruptions. Le dessinateur est appelé au service militaire le : il est affecté à la 4e Compagnie du 1er Régiment de Chasseurs à pied à Mons. Candidat sous-lieutenant de réserve, il doit effectuer deux mois de plus que les simples soldats. La vie de caserne l'ennuie profondément[a 16]. Fin mai, sa compagnie est réquisitionnée pour surveiller l'avion de Charles Lindbergh, en visite en Belgique après son exploit aérien, à l'aérodrome de Bruxelles[41],[42]. Bien qu'en permission ce jour-là, Hergé assiste à l'évènement qui le marque profondément, lui qui se passionne pour ces symboles de la modernité[42],[43].
Totor ne fait son retour dans le Boy-Scout qu'en à partir de la septième planche[44]. La publication est de nouveau interrompue au mois d'avril suivant et ne reprend qu'en dans Le Boy-Scout belge , une nouvelle revue née de la fusion de deux magazines. Pour sa reprise, une douzaine d'illustrations qui résument les premiers épisodes de l'aventure accompagnent les nouvelles planches afin de permettre aux nouveaux lecteurs de comprendre l'histoire[b 4]. Les Aventures de Totor s'achèvent finalement dans le numéro de juin-juillet 1929, après un total de 21 épisodes[b 4].
Dessins pour Le Vingtième Siècle et ses suppléments (1927-1928)
Libéré de ses obligations militaires, Hergé obtient une promotion : il rencontre l'abbé Norbert Wallez, directeur du Vingtième Siècle, qui l'engage au sein de la rédaction du quotidien en qualité de reporter-photographe et dessinateur, à compter du [c 7]. L'ecclésiastique, fervent admirateur de Benito Mussolini et du fascisme, applique à son journal une ligne éditoriale profondément nationaliste et ultracatholique[a 17]. C'est au Vingtième Siècle que le dessinateur fait la connaissance de Germaine Kieckens, embauchée comme secrétaire de Norbert Wallez le [45] et qui ne le laisse pas insensible[a 18]. Il l'invite parfois à faire des promenades en barque et lui rend visite pendant ses vacances[a 18].
Hergé multiplie les contributions pour le journal, même si ses premiers travaux sont plutôt ingrats : réalisation de graphiques, de cartes didactiques ou de frises décoratives[a 17]. Bientôt, il est chargé d'illustrer les pages du supplément culturel du quotidien, intitulé Le Vingtième Siècle Artistique et Littéraire, ce dont il profite pour expérimenter de nouveaux instruments et de nouvelles techniques[46]. Il illustre notamment des récits de Léon Tolstoï, Selma Lagerlöf, Maurice Genevoix, Felix Salten ou Guido Milanesi[a 19]. Il se perfectionne également dans le lettrage et la composition[a 19]. En parallèle, Hergé accepte la proposition d'illustrer le récit de René Verhaegen, Une petite araignée voyage, publié dans la rubrique « Le Coin des petits » du quotidien entre le et le [b 5]. Les deux hommes poursuivent leur collaboration avec deux autres récits, Popokabaka, l'histoire du voyage d'un souverain d'un petit peuple congolais, qui parait du au , puis La Rainette, une histoire publiée du au de la même année[47],[b 5].
Création du Petit Vingtième (1928-1929)
Satisfait du travail d'Hergé, Norbert Wallez lui confie la responsabilité du supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse que l'abbé veut lancer pour agrandir le nombre de ses lecteurs, Le Petit Vingtième, dont le premier numéro paraît le [b 6]. L'Extraordinaire aventure de Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet, un récit scénarisé par le chroniqueur sportif et judiciaire du Vingtième Siècle, Armand De Smet (qui signe sous le pseudonyme Smettini) et dont Hergé assure la réalisation graphique, occupe les deux pages centrales du supplément[b 6]. L'histoire raconte les aventures de trois jeunes adolescents et d'un cochon gonflable, dont le cerf-volant s'accroche au train d'atterrissage d'un avion parti pour le Congo[b 6]. Elle se déroule sur un fond colonialiste et proclérical, très en vogue à l'époque, en particulier lorsque les enfants, prisonniers dans un village de cannibales, sont sauvés par la bienveillance d'un missionnaire catholique[alpha 7]. La publication de l'aventure s'étale pendant dix semaines, jusqu'au , pour un total de 20 planches[b 6]. Pour l'écrivain Benoît Peeters, « Le texte […] est d'une niaiserie absolue et le scénario […] est d'une désespérante platitude. Et les dessins d'Hergé, du reste non signés, sont aussi maladroits que bâclés[a 20]. » Hergé lui-même qualifie ce récit de « fantaisiste mais consternant », et reconnaît son malaise dans l'exécution d'un travail narratif qui n'est pas le sien : « Je me sentais comme dans un costume mal coupé qui me gênait aux entournures[c 8]. »
Enfin, pour donner plus de clarté à ses dessins, l'artiste abandonne le dessin artisanal du XIXe siècle et adopte la nouvelle technique de la photogravure, technique simple mais efficace (traitement des plaques à l'acide). Pressentant le talent et la personnalité du jeune dessinateur, l'abbé Wallez est le premier à lui donner le coup de pouce décisif : « L'abbé Wallez a eu sur moi une énorme influence, pas du point de vue religieux, mais il m'a fait prendre conscience de moi-même, il m'a fait voir en moi ». Au début des années 1930, Église et anticommunisme se confondaient en Belgique et Tintin, que lui avait commandé l'abbé, devint tout naturellement un jeune reporter catholique sauveur du peuple russe contre la barbarie soviétique[48]. L'ecclésiastique se révéla alors à un jeune garçon qui n'avait aucune assurance et qui s'autocritiquait sans cesse. Plus tard, Hergé avoua que Wallez avait profondément influencé sa philosophie, sa personnalité et même sa vie conjugale puisque c'est lui qui présenta sa secrétaire Germaine Kieckens au dessinateur[48].
Tintin et Milou au Petit Vingtième (1929-1931)
La genèse de Tintin
Parallèlement à ses travaux dans Le Petit Vingtième, Hergé poursuit ses publications dans d'autres revues. C'est dans le numéro du du Sifflet, un hebdomadaire dominical, satirique et catholique, qu'il publie ses deux premières véritables bandes dessinées, c'est-à-dire des histoires qui intègrent de manière récurrente des phylactères en lieu et place de légendes sous le dessin[b 7]. Ces deux histoires prennent chacune la forme de quatre bandes réparties sur une page : Réveillon et La Noël du petit enfant sage[b 8],[a 20],[alpha 8]. Séduit par ces histoires qu'il juge plus vivantes, l'abbé Norbert Wallez propose à Hergé de reprendre les personnages de La Noël du petit enfant sage pour en faire les héros d'un nouveau récit à paraître dans Le Petit Vingtième et dont le dessinateur rédigerait lui-même le scénario[a 20].
Pour sa nouvelle histoire, Hergé affirme avoir créé son personnage principal en cinq minutes[c 9]. Il reprend son personnage de Totor, modifie son nom en Tintin, lui adjoint un petit fox-terrier blanc, Milou[alpha 9] et lui attribue le métier de reporter[a 21]. Selon le dessinateur lui-même, son personnage emprunte le visage, le caractère, le geste et les attitudes de son propre frère cadet, Paul Remi[a 21],[51]. À la demande de l'abbé Wallez, Hergé envoie son héros en URSS, et le récit est ouvertement anticommuniste, suivant ainsi la ligne éditoriale du quotidien[a 21],[c 10]. Il entend ainsi dénoncer les crimes perpétrés par les bolcheviks[52], une idéologie assez largement répandue à l'époque en Belgique[53]. Le sentiment anticommuniste est puissant, comme en témoigne le saccage d'une exposition soviétique organisée à Bruxelles en au cours de manifestations des Jeunesses nationales de Pierre Nothomb, dont Léon Degrelle, futur collaborateur du Vingtième siècle et leader du mouvement rexiste[54]. Hergé lui-même avait fait paraître des caricatures anticommuniste dans Le Sifflet cette même année[a 21]. Dès l'origine, les Aventures de Tintin ont donc une fonction politique[55].
Lancement des Aventures de Tintin
Le , les deux premières planches de Tintin au pays des Soviets paraissent dans Le Petit Vingtième[a 21]. D'emblée, le héros est présenté comme un idéal de journalisme d'investigation[56], au point de défier des bolchéviques prêts à le tuer pour l'empêcher de révéler aux Occidentaux la réalité – selon Hergé – de l'Union soviétique de l'époque. Hergé exécute et livre deux planches par semaine qui enchaînent les gags et les péripéties sans que l'auteur ait encore une idée bien précise de la construction de son récit[57],[52]. D'ailleurs, Hergé n'imagine pas encore que son héros vivra au-delà de cette aventure, décrivant sa naissance comme « une blague entre copains, oubliée le lendemain »[58]. Pour élaborer son récit, Hergé s'inspire d'une source unique, le livre Moscou sans voiles paru sous la plume de Joseph Douillet en 1928 et que lui fournit l'abbé Wallez[a 21]. Les scènes politiques sont cependant assez rares dans l'aventure, qui présente une succession de bagarres et de poursuites à bord d'engins mécaniques que Tintin s'approprie et maîtrise avec une étonnante facilité[a 22]. Comme le souligne Benoît Peeters, Hergé « ne s'embarrasse d'aucun souci de vraisemblance », mais il témoigne déjà d'une grande maîtrise dans la représentation du mouvement[a 22]. Le graphisme du personnage, dont le trait s'affine, évolue lui aussi au fil de la publication[59].
Le sort un numéro spécial qui comprend pour la première fois une couverture de Tintin réalisée par Hergé, mais aussi deux planches imprimées en bichromie[b 9]. La rédaction du journal propose une série d'innovations, comme la publication d'une fausse lettre de la Guépéou prétendument envoyée au Petit Vingtième pour lui demander de mettre un terme à l'activité de son reporter, un mélange de fiction et de réalité qui permet de fidéliser les lecteurs[b 9],[59]. De même, au terme de l'aventure, le retour de Tintin en Belgique est célébré comme si ses aventures avaient réellement eu lieu[60],[b 10]. Le , à la Gare du Nord de Bruxelles, un jeune scout déguisé en Tintin fait une arrivée triomphale devant une foule de lecteurs attirés par la publicité lancée les jours précédents dans les pages du Vingtième siècle[a 23],[b 10]. L'album, édité en , est vendu à 10 000 exemplaires, un succès remarquable à l'échelle de la Belgique francophone[a 23].
Dès sa première aventure, le héros créé par Hergé s'exporte en dehors des frontières de son pays. L'hebdomadaire catholique français Cœurs vaillants reprend en effet l'histoire dès le mois d'octobre 1930[b 11], mais son directeur l'abbé Gaston Courtois, qui juge les phylactères insuffisants, fait adapter le récit en y ajoutant des textes explicatifs sous le dessin, sans en avertir Hergé[b 11],[c 11]. Après les plaintes du dessinateur, l'hebdomadaire cesse cependant ces retouches[b 11].
Quick et Flupke et Tintin au Congo (1930-1931)
Le , Le Petit Vingtième lance une nouvelle série créée par Hergé : Quick et Flupke[a 24],[b 9],[alpha 10]. Cette bande dessinée paraît dans les pages de l'hebdomadaire de façon continue jusqu'en 1935, tous les jeudis, puis de façon plus irrégulière jusqu'en 1940[b 12], le plus souvent sous la forme d'un gag en deux planches[a 24]. Les Exploits de Quick et Flupke renoncent à l'exotisme et mettent en scène deux enfants intrépides de Bruxelles qui se jouent de l'autorité, si bien qu'ils s'affirment d'emblée comme le parfait contrepoint des Aventures de Tintin[a 24],[61]. Cette nouvelle série connaît elle aussi le succès : la Radio Catholique Belge organise quelques émissions improvisant une interview fictive des deux gamins de Bruxelles[62].
Le tirage du Petit Vingtième s'accroit fortement, étant multiplié par six le jour où paraît Tintin[63]. Pour faire face à la charge de travail que représente sa préparation, l'équipe du périodique s'agrandit. Après le recrutement d'Eugène van Nijverseel, dit Evany, au début de l'année 1929, Paul Jamin est engagé comme collaborateur d'Hergé en [a 25],[alpha 11]
Malgré le succès de Quick et Flupke, Tintin reste le personnage phare du périodique et Norbert Wallez souhaite que ses aventures se poursuivent[a 26]. Dans un premier temps, Hergé veut envoyer son héros aux États-Unis pour évoquer la culture amérindienne qui le fascine[64],[65], mais l'abbé Wallez s'y oppose et lui demande de l'envoyer dans la colonie belge du Congo, notamment pour faire naître une vocation coloniale chez les jeunes lecteurs[66]. Au début des années 1930, le Congo belge est confronté à une pénurie de main-d'œuvre européenne qui menace son développement[a 26]. Le récit est aussi l'occasion d'exalter l'œuvre d'évangélisation et d'enseignement auprès des Noirs des missionnaires[67]. L'histoire débute dans les colonnes du Petit Vingtième le [b 13]. Pour établir son histoire, Hergé s'est surtout documenté par le biais du musée royal de l'Afrique centrale où se trouve la célèbre statue de l'Aniota à peau de léopard représentant un membre d'une secte secrète indigène, ce qui donne lieu, dans l'album, à un épisode dramatique dont Tintin sort indemne. Au total, 118 planches se succèdent jusqu'au [b 13]. Malgré le peu d'enthousiasme du dessinateur[a 26], la seconde aventure du reporter du Petit Vingtième est encore un succès : le retour triomphal de Tintin et Milou à la gare du Nord de Bruxelles est à nouveau mis en scène devant une foule en liesse[63],[b 13].
Autres travaux, illustration de romans et de publicités (1929-1931)
Pendant l'année 1929, Hergé publie quelques bandes dessinées pour Le Sifflet, raillant notamment les députés socialistes belges Jean-Baptiste Schinler et Émile Vandervelde[68],[b 8].
Au début des années 1930, il participe peu au supplément Votre Vingtième, Madame, y réalisant des couvertures d'esprit « Art déco » assez étonnantes. C'est l'image de la femme libérée de l'entre-deux-guerres qui transparaît ici, influencée par les années folles venues tout droit des États-Unis. Le dessinateur dresse des portraits de femmes faisant du sport, pilotant une automobile ou encore un bateau[69]. À partir de la fin des années 1920, Georges Remi officie comme illustrateur pour plusieurs romans, bien souvent dans le sillage du scoutisme catholique. Le premier d'entre eux est L'Âme de la mer (1927) de Pierre Dark, un ancien compagnon de scoutisme. L'année suivante, il illustre Mile, histoire d'un membre de patronage de Maurice Schmitz, un ouvrage à succès. Enfin, il s'associe à l'édition de l'Histoire de la guerre scolaire (1932) de Léon Degrelle[70].
En parallèle de ces activités, Hergé réalise des centaines de publicités : le lettrage et la composition sont toujours au rendez-vous. Parmi elles figurent une affiche de 1928, la « Grande Fancy-Fair : organisée au profit des écoles libres de la paroisse Saint-Boniface », mais aussi des illustrations pour des marques d'amplificateurs (Modulophone, 1930), de tapisseries (J. Lannoy fils, 1928), de magasins de jouets (L'Innovation, 1931)… Ce travail en parallèle d'illustrateur renforce davantage sa technique et sa précision dans la composition de ses bandes dessinées[71].
Début d'une industrie (1931-1936)
Année de l'Amérique (1931-1932)
En , Hergé et le dessinateur Paul Jamin (qui deviendra, après la guerre, le brillant dessinateur caricaturiste de l'hebdomadaire Pan) se rendent à Paris où ils rendent visite à Alain Saint-Ogan pour se perfectionner et demander des conseils. Le Français témoigne : « J'avais oublié cette visite. Mon Dieu ! Qu'avais-je pu dire alors à celui qui devait devenir le créateur de Tintin, célèbre dans le monde entier ? Grâce au Ciel, paraît-il, je ne l'avais pas découragé[72]. Saint-Ogan offre à Hergé une planche originale dédicacée de Zig et Puce. »
Après avoir convaincu l'abbé Wallez qu'il fallait dénoncer la pègre de Chicago, l'artiste se décide enfin à envoyer son héros au pays des cow-boys et des indiens, milieu qu'il affectionne tout particulièrement. Déjà, sur les dernières planches de Tintin au Congo, il avait fait figurer des gangsters américains qui devaient annoncer le prochain scénario, un peu comme si l'auteur avait hâte de passer à l'aventure suivante. Les premières planches des « Aventures de Tintin, reporter à Chicago » apparaissent le toujours dans le Petit-Vingtième[73]. Pour la première fois, Georges Remi intègre dans le récit un personnage réel : Al Capone (1899-1947). Il se documente sur les États-Unis à travers une revue, Le Crapouillot mais aussi des ouvrages, Scènes de la vie future de Georges Duhamel ou encore L'Histoire des Peaux-Rouges de Paul Coze. Contrairement aux deux histoires précédentes, le scénario propose non plus une succession d'épisodes mais un grand mouvement général structurant[73]. Le , quelques jours à peine après l'apparition de Tintin en Amérique, le dessinateur propose une série publicitaire intitulée Tim l'écureuil, héros du Far West publiée dans un petit journal de quatre pages et distribué dans le magasin bruxellois L'Innovation. Quelques années plus tard, l'aventure sera remaniée dans Le Petit Vingtième sous le nom de Popol et Virginie au Far West (février 1934). Ce sont les seules histoires d'Hergé mettant en scène des animaux anthropomorphes[74] : « J'ai essayé de mettre en scène des animaux, et j'ai vu rapidement que ça ne me menait nulle part. J'en suis donc revenu à des personnages humains. »
Au tournant de l'année 1931-1932, le dessinateur signe un contrat avec l'éditeur tournaisien Casterman qui aura, après avoir « indemnisé » Wallez, le privilège d'éditer tous les albums de l'auteur en langue française[c 12]. Le , Hergé épouse Germaine Kieckens (1906-1995) avec la bénédiction de l'abbé Wallez qui célèbre le mariage dans une église bruxelloise. Les jeunes mariés s'installent le mois suivant au 18 rue Knapen à Schaerbeek[75]. L'aventure en Amérique s'achève le , Casterman sort le premier album à la fin de la même année[74]. L'éditeur tournaisien propose à Hergé de percer dans le marché français très prometteur courant [76].
Plein cap sur l'Orient (1932-1933)
Le , apparaissent dans Le Petit Vingtième les premières planches des « Aventures de Tintin reporter en Orient » (version ancienne des Cigares du pharaon). Pour la première fois Hergé fait de cette aventure une sorte de roman policier dans lequel on trouve le paramètre « mystère ». Selon B. Peeters, « Les Cigares du pharaon représentent la quintessence du récit feuilletonesque. On y retrouve […] la mystérieuse malédiction, la redoutable société secrète, l'indémasquable génie du Mal […], le poison qui rend fou[77]. » Durant les épisodes du feuilleton, l'artiste joue avec ses lecteurs chaque semaine en proposant la rubrique « Le Mystère Tintin » au sein de laquelle le public doit proposer des solutions pour sortir le héros d'affaire. La malédiction égyptienne est, au début des années 1930, dans l'air du temps. En effet, l'opinion publique avait été frappée, quelques années plus tôt, par la mystérieuse affaire du tombeau de Toutânkhamon et les morts successives des savants qui avaient ouvert la tombe de ce pharaon. Mais surtout, ce qui fait le nœud gordien de l'histoire n'est pas l'égyptologie mais le trafic (armes et drogue), particulièrement actif à l'époque dans la région de la mer Rouge. D'ailleurs Hergé s'inspire du récit autobiographique de Henry de Monfreid, Les Secrets de la mer Rouge (1931), qu'il représente dans l'aventure[78]. Dès les premières planches du feuilleton, deux nouveaux personnages apparaissent, des policiers en civil nommés X 33 et X 33 bis (futurs Dupond et Dupont). Au terme des 124 planches, Les Cigares du pharaon sont achevés le . Au début des années 1930, Hergé réalise un certain nombre de bandes dessinées à caractère publicitaire. L'une des plus célèbres est Cet aimable M. Mops, composée de huit planches parues dans un agenda édité par un grand magasin bruxellois (1932)[79] ou encore Les Mésaventures de Jef Debakker (quatre planches) pour les Briquettes Union (vers 1934)[80].
Tchang Tchong-Jen : bouleversement dans l'œuvre d'Hergé (1933-1934)
Les quatre premières aventures de Tintin restaient maladroites, parfois un peu bâclées et truffées de préjugés. Hergé témoigna sur son rythme de travail : « C'était réellement du travail à la petite semaine. Je ne considérais pas cela comme un véritable travail, mais comme un jeu, comme une farce. Tintin était un jeu pour moi jusqu'au Lotus bleu[81]. »
Durant le printemps 1934, après avoir installé avec deux collaborateurs (José De Launoit et Adrien Jacquemotte) « l'Atelier Hergé » à Bruxelles, Georges Remi annonce à la rédaction du Petit Vingtième qu'il souhaite faire la suite des Cigares du pharaon en envoyant le jeune reporter en Extrême-Orient, plus exactement en Chine. Jamin s'empresse de brosser un tableau du pays dans lequel Tintin doit prochainement partir dans Le Petit Vingtième. À la lecture de cet avant-goût, certains lecteurs craignent que le reporter soit tué par les Chinois[82] ! Après avoir lu les stéréotypes effrayants annoncés par le collaborateur d'Hergé, l'abbé Gosset, aumônier des étudiants chinois à l'université de Louvain, lui recommande au travers d'une lettre de se documenter sérieusement sur la Chine. C'est ainsi qu'Hergé fait la connaissance d'un jeune Chinois étudiant à l'Académie des beaux-arts de Bruxelles : Tchang Tchong-Jen (1907-1998)[83]. Ce dernier fournit une mine d'informations à Hergé dans de nombreux domaines (histoire, géographie, langue, art, littérature et philosophie). Avant cette rencontre, l'artiste belge imaginait encore le mythe du « Jaune » qui mangeait des nids d'hirondelle, portait une natte et jetait les petits enfants dans les rivières comme l'avait écrit Jamin quelques jours plus tôt : « C'est à partir de ce moment-là que je me suis mis à rechercher de la documentation, à m'intéresser vraiment aux gens et aux pays vers lesquels j'envoyais Tintin, par souci d'honnêteté vis-à-vis des lecteurs qui me lisaient. »
Tchang deviendra un personnage-clé de l'œuvre d'Hergé, sauvé de la noyade par Tintin, l'un des vrais amis qu'il se fera au cours de ses aventures. Pourtant, Le Lotus bleu est plus un message politique qu'une histoire pour les enfants. La cinquième aventure de Tintin est l'une des plus engagées de la carrière d'Hergé. Depuis 1931, le Japon cherche à coloniser la Chine pour développer sa puissance économique. L'invasion de la Mandchourie (province chinoise septentrionale) démarre à la suite de la section d'une voie ferrée japonaise dans cette région (près de Moukden). Cet attentat fut probablement planifié par les Japonais eux-mêmes, leur donnant le prétexte d'une invasion immédiate de la province. Hergé fait figurer dans l'aventure le « faux attentat » sur la voie ferrée[84]. Hergé se tient au courant des événements sino-japonais en 1934-1935 grâce aux informations pourtant pro-japonaises des médias européens : l'une des planches de l'aventure représente Tintin allant au cinéma pour visionner les actualités mondiales. L'aventure se termine le au bout de 124 planches[85]. Le Lotus bleu devient dans les années 1936-1939 un véritable succès en Chine mais pas pour Tokyo puisque l'ambassadeur japonais à Bruxelles est irrité de la position de l'histoire vis-à-vis de son pays[alpha 12]. Durant ces années, le père de Tintin poursuit la réalisation de couvertures de livres ou de publicités. Ainsi, il offre ses services à Paul Werrie, auteur de la Légende d'Albert Ier roi des Belges qui vient de décéder d'une chute lors d'une escalade des rochers de Marche-les-Dames, en bord de Meuse ()[86].
Tintin, Milou et les autres (1934-1935)
Après Le Lotus bleu, Hergé revient à l'aventure débridée avec L'Oreille cassée, qui démarre le dans Le Petit Vingtième. Ce choix est en grande partie dû aux pressions subies par l'auteur à l'issue du Lotus bleu. Au milieu des années 1930, l'Amérique latine est dans l'air du temps, comme en témoignent l'expédition d'Henri Lavachery au Pérou et à l'île de Pâques, les récits d'Antonin Artaud au Mexique et la disparition du colonel Percy Fawcett dans la jungle brésilienne dix ans auparavant[87]. Avec cette sixième histoire, le dessinateur rompt pour un temps avec le réalisme géographique et historique, puisqu'il plante son décor dans des pays imaginaires et que, surtout, il donne pour enjeu aux actions de ses personnages un simple objet, le fétiche arumbaya. Le mystère réapparaît, au grand bonheur des lecteurs : qui a tué Monsieur Balthazar ? L'action se déroule en Europe puis au San Theodoros et au Nuevo Rico, deux territoires inventés par Hergé mais où sont réunies les principales caractéristiques de l'Amérique latine des années 1930 : les coups d'État à répétition, la forte présence militaire, le libérateur latino-américain à la Simón Bolívar[88]… Comme pour Le Lotus bleu, il dresse le tableau d'une guerre contemporaine, celle du Gran Chaco (renommée « Gran Chapo »), opposant la Bolivie et le Paraguay (1932-1935) à propos de concessions pétrolières. Sa principale source d'inspiration est encore une fois, la revue Le Crapouillot. Avec L'Oreille cassée on passe définitivement « du feuilleton au récit bouclé »[88].
Jusqu'en 1935, Les Exploits de Quick et Flupke continuent de paraître en parallèle des aventures de Tintin dans Le Petit Vingtième. Après cette date, les apparitions se font de plus en plus rares jusqu'à disparaître définitivement : « J'ai abandonné ces garnements-là parce qu'ils me donnaient beaucoup de soucis alors que Tintin me mobilisait de plus en plus. »
Pourtant, à travers les deux gamins de Bruxelles, Hergé avait bouleversé la bande dessinée. Les codes traditionnels se sont trouvés modifiés : Quick et Flupke peuvent prendre à parti un Hergé qui s'est représenté lui-même à l'intérieur de la planche, ils peuvent se cogner contre le bord des cases en faisant du ski, parodier Hitler et Mussolini, ou gommer les éléments du dessin qui leur déplaisent, « le tout, note Benoît Peeters, dans un esprit d'absolue liberté »[61]. En décembre 1935, Gaston Courtois, de la direction de Cœurs vaillants, adresse une lettre à Hergé en lui commandant des personnages qui soient plus réalistes que ceux de Tintin : « Ne pourriez-vous pas créer un petit personnage dont le papa travaille, qui a une maman, une petite sœur, un petit animal de compagnie[89] ? » Déjà très occupé par l'univers grandissant de Tintin, Hergé n'est pas très enthousiaste à l'idée de devoir construire de toutes pièces un nouvel univers. Quatre épisodes et demi de Jo, Zette et Jocko sont réalisés en bichromie à partir de , puis abandonnés à leur tour (le cinquième sera achevé après la guerre par les studios Hergé)[90]. Tintin devient une vedette internationale, puisque, après avoir conquis la Belgique, la France et la Suisse, ses aventures arrivent au Portugal : les planches colorisées de Tintin en Amérique sont publiées dans O Papagaio en , constituant la première traduction étrangère d'une œuvre d'Hergé[91].
Dates | Nombre de gags | Sujets et contextes |
---|---|---|
1930 | 46 | La vie quotidienne de rue. |
1931 | 51 | La vie quotidienne de rue. |
1932 | 47 | Le Far-West, la SDN, le football, le yoyo et l'irréalisme. |
1933 | 24 | Les obus, Hergé, le cauchemar, la politique internationale et les sports d'hiver. |
1934 | 41 | Le Loch Ness, l'irréalisme, Hitler et Mussolini et la politique internationale. |
1935 | 35 | Les automobiles, Hergé et les sports d'hiver. |
1936 | 9 | L'irréalisme, Mussolini et la politique internationale. |
1939 | 7 | Le service militaire, l'art contemporain et l'irréalisme. |
1940 | 3 | La vie quotidienne. |
Léon Degrelle (1935-1936)
Entre 1931 et 1936, Hergé réalisa des illustrations pour divers ouvrages. Ses clients provenaient de la mouvance ultracatholique : Raymond de Becker (Le Christ, roi des affaires, 1930, Pour un Ordre nouveau, 1932…) et surtout Léon Degrelle, un journaliste correspondant au Vingtième Siècle et auteur des Grandes farces de Louvain (1930) et d'une Histoire de la guerre scolaire (1932). Degrelle était à l'origine un monarchiste maurrassien et anticommuniste précoce. C'est à son entrée au Vingtième Siècle en 1929 qu'il rencontra Hergé. Après un séjour outre-atlantique, d'où il initia le jeune dessinateur à la bande dessinée américaine. Pour les élections législatives de 1932, Hergé contribua à sa propagande anticommuniste notamment par le biais d'une affiche qu'il réalisa pour le compte du parti catholique : c'était une tête de mort protégée par un masque à gaz et qui s'exclamait : « Contre l'invasion, votez pour les Catholiques ». Après cette campagne, Hergé s'était déclaré « tout prêt à travailler avec Degrelle mais s'agissant de ce dessin comme n'importe quel autre, il n'envisage pas de le signer sans l'avoir méticuleusement revu, achevé et définitivement mis au point. » À partir de 1934, à la tête du mouvement Rex, l'action de Degrelle se montra de plus en plus politique jusqu'à rencontrer Mussolini puis Hitler au cours de l'année 1936. La même année, Degrelle créa son journal politique Le Pays réel au sein duquel il mena une violente campagne antiparlementaire et anticommuniste. Durant cette période, Hergé prit du recul avec le leader rexiste et pendant la guerre il refusa de participer aux planches du Pays réel dont le chef venait d'incorporer la SS. Pourtant d'aucuns (Maxime Benoît-Jeannin, Le Mythe Hergé) notent un rapprochement entre l'œuvre d'Hergé et le mouvement rexiste par le spectre de Rastapopoulos : « Par son nom Rastapopoulos est un concentré de toutes les tares que les mouvements antiparlementaires et antirépublicains stigmatisent dans leurs journaux. Et puis à la fin du XIXe siècle, le mot « rastaquouère » vise les étrangers à la richesse ostentatoire […] »[92]. D'ailleurs sur l'une des dernières planches de Quick et Flupke () concernant une parodie d'un poème de Théophile Gautier, l'artiste représenta une étrange case sur laquelle on voit une allégorie de la mort portant un masque à gaz et accompagnée d'un singe brandissant le message « Rex vaincra ! » Derrière eux, on peut voir des avions de guerre dans le ciel et un diablotin (peut-être communiste) qui asperge l'allégorie d'un insecticide appelé « antirex »[93].
Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale (1936-1944)
Avant-goût du conflit à venir (1936-1939)
Le , Georges Remi et son épouse Germaine déménagent pour élire domicile 12 place de Mai à Woluwe-Saint-Lambert. Désormais, Hergé prend conscience de ses droits d'auteur et s'adjoint les services d'un avocat, maître Dujardin. Les bénéfices des 6 000 exemplaires tirés du Lotus bleu en reviendront à lui seul et non plus à l'abbé Wallez qui perd ses droits. L'artiste rêve d'une boutique Tintin et Milou à Bruxelles où l'on vendrait des produits dérivés du célèbre reporter[94]. En , Hergé dessine les toutes premières planches de Tintin en Angleterre (l'Ile Noire). Pour s'assurer du réalisme de ses croquis, il participe le mois suivant à un voyage scout sur place dans le Sussex. Le scénario est placé sous le signe de l'enquête policière sur fond de traditions écossaises[95]. La septième aventure qui apparaît dans les colonnes du Petit Vingtième le , est la première à mettre en scène la technique : apparition de la télévision, les machines d'impression des faux-monnayeurs, la place centrale des trains ou encore la Jaguar Mark IV du docteur Müller. L'élément principal de l'histoire est bien entendu la « Bête » qui effraie tout le monde (un gorille). Encore une fois, il faut y chercher des éléments contemporains d'Hergé : d'abord le succès au cinéma du film King Kong (1933), une affaire de faux-monnayeurs organisée par un personnage germanophone nommé « Müller » et surtout les témoignages sur l'apparition du monstre du Loch Ness dans un lac d'Écosse (1934). Hergé mélange tous ces éléments pour établir son intrigue[96].
Le , dix jours après le massacre de Nankin, paraît dans Le Petit Vingtième un appel à aider les Chinois :
- « Ne feriez-vous rien pour eux... ? »
- « Des milliers de nos jeunes amis chinois sont les innocentes victimes de la guerre... »
Cet appel est accompagné d'un dessin d'Hergé, où Tintin désigne au lecteur une famille chinoise dans les ruines d'une maison[97].
Le débutent les premières péripéties de Tintin en Syldavie, pays imaginaire, sous le titre de le Sceptre d'Ottokar. Comme le note B. Peeters, « les signes annonciateurs du second conflit mondial sont […] innombrables. Et ce sont eux que l'auteur va prendre comme point de départ de sa fiction »[98]. Hergé crée pour la seconde fois deux États imaginaires antagonistes, le royaume de Syldavie et la Bordurie, qui empruntent beaucoup de traits à la Yougoslavie : les personnages coiffés de toques, la charrette de foin, les Alpes dinariques, le pélican (très présent au Monténégro), les minarets[99]… En cette année 1938, le contexte international est sensible et Hergé le suit de près. Le 12 mars, les troupes allemandes d'Hitler annexent l'Autriche : c'est l'Anschluss. L'artiste reprend dans l'aventure cet événement qu'il transforme en un « Anschluss raté » : la dictature de Bordurie tente de s'emparer, via les moyens que possèdent ces régimes totalitaires, de la Syldavie par l'intermédiaire de Müsstler qui est une synthèse de Mussolini et d'Hitler[98]. En faisant de la Syldavie un royaume sympathique et inoffensif, on croit reconnaître comme François Rivière « cette Belgique déguisée en pays slave »[alpha 13]. Cette histoire semble, enfin, emprunter de nouveau à l'histoire familiale d'Hergé : les jumeaux Nestor et Alfred Halambique font sûrement référence à son père et à son oncle (eux-mêmes jumeaux), alors que Bianca Castafiore, inspirée notamment de Renata Tebaldi, pourrait bien être aussi le négatif de la comtesse qui avait recueilli son père et son oncle lorsqu'ils étaient encore des nouveau-nés[100]. X33 et X33 bis apparus en 1934, sont pour la première fois, dans Le Sceptre d'Ottokar, nommés Dupont et Dupond[alpha 14]. Un mois après que les dernières planches sont parues dans Le Petit Vingtième, le , Hitler vient de soumettre la Pologne depuis quelques jours : le second conflit mondial vient de commencer.
Dans la tourmente de la guerre (1939-1940)
Après la démission forcée de l'abbé Wallez au milieu des années 1930 faisant suite à une altercation avec un représentant de l'État, William Ugeux devient le nouveau rédacteur en chef du Vingtième Siècle. À la fin du printemps 1939, Georges et Germaine sont invités au Vélodrome d'Hiver à Paris par Cœurs vaillants pour écouter l'interprétation de la chanson Tintin et Milou[101]. Le , les époux Remi s'installent au 17 avenue Delleur à Watermael-Boitsfort. À la mi-, l'artiste est mobilisé à Herenthout (province d'Anvers) où il est chargé de réquisitionner les bicyclettes des environs. Or durant l'automne il continue à envoyer depuis sa caserne, certes irrégulièrement, les planches de la nouvelle aventure de Tintin au Petit Vingtième : Tintin au pays de l'or noir[102]. Son ancien ami scout Raymond de Becker lance le la revue L'Ouest officiellement neutre mais soutenue, selon M. Benoît-Jeannin, par l'ambassade d'Allemagne à Bruxelles[103]. Pour de Becker, la Belgique doit cesser de s'aligner sur la politique française vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Europe. Entre le 7 et , Hergé dessine pour la nouvelle revue quatre strips de Monsieur Bellum qui s'insurge contre le « bourrage de crâne », dit-il, de la radio belge[104]. Lieutenant de réserve, Georges Remi est ensuite envoyé à Eekeren comme instructeur dans une compagnie d'infanterie d'expression flamande. Durant cette période (hiver 1939-printemps 1940), il continue d'envoyer, pratiquement chaque semaine, deux planches de Tintin au pays de l'or noir. Le , il tombe malade et, déclaré inapte par le médecin de l'hôpital militaire d'Anvers, il est mis en congé sans solde. Hergé termine les deux derniers gags de Quick et Flupke puis il dépose les dernières planches (55 et 56) de l'or noir qui apparaissent pour la dernière fois dans le numéro du [105].
Cependant, cette correspondance s'interrompt définitivement quand le Vingtième Siècle cesse de paraître le . La parution suivante n'aura pas lieu à cause de l'attaque allemande du contre la Belgique[106]. En effet, durant les mois de mai et , l'armée allemande écrase dans une guerre-éclair les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France. L'officier Paul Remi, frère d'Hergé, est alors déporté en Allemagne comme prisonnier de guerre. Après les premiers bombardements, les Remi et leur chat siamois quittent Bruxelles et font une halte à Paris chez une amie (arrivés le ). Deux jours plus tard, ils partent pour le Puy-de-Dôme à Saint-Germain-Lembron où ils trouvent refuge durant un mois dans la demeure du dessinateur Marijac. Le couple belge est de retour à Bruxelles le au moment où le roi Léopold III appelle ses sujets à reprendre le travail[107]. Avec l'arrêt du Petit Vingtième, la situation de Georges Remi se précarise. Depuis la mi-juin, le plus gros tirage belge, Le Soir, réapparaît mais sous contrôle allemand, d'où le surnom Le Soir volé que lui donnent les Résistants. Quelques semaines plus tard, Raymond de Becker un ancien camarade scout d'Hergé et admirateur de Mussolini, est nommé chef des services rédactionnels du quotidien. Après avoir refusé la proposition du Pays réel, l'organe de presse du parti rexiste pro allemand Rex, Hergé accepte celle du Soir. Sa période d'essai débute le durant laquelle il se voit confier la responsabilité d'un supplément hebdomadaire consacré à la jeunesse : Le Soir-Jeunesse[108].
Le dessinateur y retrouve également Paul Jamin (1911-1995) qui dessine aussi pour Le Pays Réel et le Brüsseler Zeitung[109]. Enfin, Hergé rencontre Jacques Van Melkebeke qui devient son principal collaborateur. Jamin, Van Malkebeke et Hergé signent dans Le Soir-Jeunesse des éditoriaux sous le pseudonyme « Monsieur Triplesec »[109].
Le journal ayant été repris en par un groupe de collaborateurs belges, les histoires proposées ne doivent faire référence à aucun sujet brûlant : Hergé reprend un fait divers de trafic de cocaïne sur le yacht d'un certain Miguel Castanesa par le biais de boîtes de crabe[110]. Le commence à paraître, dans le premier numéro du Soir-Jeunesse intitulé « Tintin et Milou sont revenus ! », Le Crabe aux pinces d'or. Mais la pénurie de papier ne tarde pas à réduire les dimensions du supplément qui ne connaitra pas le même succès que Le Petit Vingtième[111].
Habitudes de travail bouleversées (1940-1942)
En cet automne 1940, les affaires semblent repartir pour Hergé. Il accepte l'illustration des Fables de Robert du Bois de Vroylande où figure une histoire intitulée « Les deux Juifs et leur pari »[112]. Puis le plus gros quotidien flamand Laatste Nieuws lui propose la publication dans ses colonnes de Tintin in Kongo en néerlandais[alpha 15]. L'évolution de la neuvième aventure, Le Crabe aux pinces d'or, subit les aléas du conflit. De mois en mois, le supplément Le Soir-Jeunesse s'amenuise : alors qu'en octobre 1940 il occupait huit pages (dont deux pour Les Aventures de Tintin), il ne dispose plus que de quatre pages en mai 1941, jusqu'à disparaître le 23 septembre. Dès lors, c'est en minuscules strips quotidiens que l'aventure continue d'être publiée. Cette dernière est avant tout célèbre parce qu'elle fait apparaître le capitaine Haddock, qui deviendra une figure-phare des aventures. Selon Hergé, le nom de ce personnage lui serait venu alors que son épouse cuisinait du Haddock, le nom d'un poisson devenu familier aux Belges à l'époque des restrictions de viande due au rationnement alimentaire pendant l'occupation allemande[alpha 16]. Après quelques planches envoyées au journal, Hergé abandonne définitivement les Exploits de Quick et Flupke. Durant ces années d'occupation, les sujets traitent de « littérature d'évasion ». Les 98 planches du « Crabe » sont bouclées le [113]. Entre-temps, la troupe du théâtre de la Jeunesse présente aux Galeries de Bruxelles une pièce écrite par Hergé et Jacques Van Melkebeke : Tintin aux Indes ou le Mystère du diamant bleu (). Le décor est planté dans l'Inde des Maharadjahs. On note, outre Tintin, la présence des Dupondt et celle d'un savant sourd, esquisse du futur professeur Tournesol. C'est d'ailleurs au théâtre que Van Melkebeke présente à Hergé son ami Edgar P. Jacobs (1904-1987) qui devient rapidement « décoriste » et coloriste du père de Tintin[114].
En 1936, Charles Lesnes, introducteur d'Hergé chez Casterman, expliquait au dessinateur qu'il fallait de toute évidence et le plus rapidement possible entrer « dans une voie nouvelle : celle de la couleur ». Trois ans plus tard, Hergé et ses collaborateurs s'étaient mis à l'œuvre et les quatre premiers albums, hormis Tintin au pays des Soviets, étaient achevés. Cependant ces refontes ne concernaient que des encarts colorisés hors-texte au sein des albums en noir et blanc[115]. En revanche, l'acquisition par Casterman d'une nouvelle machine offset fait évoluer les choses. Dès , Louis Casterman demande à Hergé d'envisager la possibilité de réduire sensiblement le nombre de pages des futurs Tintin pour qu'ils puissent être imprimés en couleur par le procédé offset. Après avoir longuement hésité, Hergé accepte de mettre en couleurs ses histoires et de respecter le cadre des 62 pages[72] :
Albums | Année de la première édition | Année du premier changement | Année du deuxième changement |
---|---|---|---|
Tintin au Congo | Petit Vingtième en 1931 | Casterman en 1937 | Casterman en 1942 |
Tintin en Amérique | Petit Vingtième en 1932 | Casterman en 1937 | Casterman en 1942 |
Les Cigares du pharaon | Casterman en 1934 | Casterman en 1938 | Casterman en 1942 |
Le Lotus bleu | Casterman en 1936 | Casterman en 1939 | Casterman en 1942 |
L'Oreille cassée | Casterman en 1937 | Casterman en 1942 | Casterman en 1943 |
L'Île Noire | Casterman en 1938 | Casterman en 1942 | Casterman en 1943 |
Le Sceptre d'Ottokar | Casterman en 1939 | Casterman en 1942 | Néant |
Le Crabe aux pinces d'or | Casterman en 1941 | Casterman en 1942 | Casterman en 1943 |
L'Étoile mystérieuse | Casterman en 1942 | Néant | Néant |
La tâche étant immense, Hergé doit être épaulé par des collaborateurs, dont Edgar P. Jacobs, qui entament un important travail de refonte et de mise en couleurs des albums d'avant-guerre. L'artiste annonce à l'éditeur son intention d'organiser « une sorte d'atelier, spécialisé dans ce genre de travail » : Eugène Van Nyverssel, son épouse Germaine, Edgar P. Jacobs, Alice Devos, Guy Dessicy, Franz Jageneau et Monique Laurent forment la première équipe[72]. Pourtant, Hergé ne se limite pas uniquement au coloriage de ses albums : il en profite pour corriger les maladresses de dessin ou de découpage, il réécrit lisiblement les textes, et enfin il supprime ou ajoute des cases. L'Étoile mystérieuse est le premier album à résulter de ce long travail : 176 strips parus dans Le Soir du au sont remaniés en 62 planches.
Les planches de L'Étoile mystérieuse sont alors teintées d'antisémitisme et d'anti-américanisme[116].
Au cœur d'une expédition scientifique en Arctique, Hergé prend soin de mettre en scène des ressortissants de pays neutres ou alliés de l'Allemagne (Suède, Espagne, Allemagne, Suisse et Portugal) et dans la version d'avant 1945, le navire concurrent est américain[117]. L'œuvre d'Hergé souffre peu de la censure allemande : en 1941, les autorisations de réimprimer Tintin en Amérique et L'Île noire demandées par Casterman tardent à venir, mais la réédition aura lieu, et aucun album de Tintin, sauf L'Île Noire à l'été 1943[118], ne sera interdit sous l'Occupation. Le , il est l'un des rares à intervenir, pour la première fois, sur Radio-Bruxelles. À la fin de l'année, L'Île Noire, L'Oreille cassée et Le Crabe aux pinces d'or sont presque terminés[115].
Évasion dans l'aventure (1942-1944)
Sur sa lancée, Hergé poursuit l'écriture de récits d'évasion, un peu comme pour faire oublier le quotidien de l'Occupation. Le , Le Secret de La Licorne, prémices d'une chasse au trésor, commence à paraître dans Le Soir. Voulant éviter la monotonie, l'artiste introduit dans son histoire un maximum de fantaisie et de liberté. Pour la première fois, ce sont les personnages secondaires qui perturbent le bon déroulement de l'histoire[alpha 17]. Après les Peaux-Rouges de Tintin en Amérique, le dessinateur traite ici d'un autre thème mythique de la littérature de jeunesse : les corsaires et les pirates. Pour plonger le lecteur dans cet univers, il l'embarque, fin XVIIe siècle, à bord d'un vaisseau de Louis XIV, « La Licorne », commandé par un ancêtre du capitaine Haddock[alpha 18]. Depuis L'Étoile mystérieuse, Hergé regrettait de ne pas avoir dessiné le navire d'exploration l'Aurore à partir d'une véritable maquette. Pour La Licorne, il procède méthodiquement en reproduisant très fidèlement les caractéristiques des vaisseaux d'époque dont les maquettes étaient visibles au Musée de la Marine de Paris[119]. L'histoire se poursuit dans Le Trésor de Rackham le Rouge (à partir du dans Le Soir). Cet épisode marque l'apparition du professeur Tournesol, personnage haut en couleur, inspiré du physicien suisse Auguste Piccard (1884-1962). Ce dernier fut le concepteur de nombreuses inventions comme le ballon stratosphérique ou le bathyscaphe et réalisa des plongées sous-marines[120]. L'aventure se termine par l'acquisition du château de Moulinsart, au terme de 183 strips en noir et blanc le [alpha 19].
Au tournant du Trésor de Rackham le Rouge et des Sept Boules de cristal, Hergé introduit le château de Moulinsart et son serviteur Nestor. Il s'agit alors de la demeure historique de la famille Haddock qui est rachetée pour le capitaine par Tournesol grâce aux fonds qu'il a gagné en vendant au gouvernement le brevet de son sous-marin : c'est la fin du « nomadisme » des personnages[121]. Les Sept Boules de cristal commencent d'ailleurs le dans ce nouveau décor somptueux, largement inspiré du château français de Cheverny (privé de ses deux ailes extérieures). Dans la lignée des Cigares du pharaon et de L'Étoile mystérieuse, le dessinateur fait de la malédiction d'une momie inca l'énigme centrale de son histoire. À l'époque, aidé par son collaborateur Edgar P. Jacobs, Hergé s'attache de plus en plus au réalisme des décors. Aussi Jacobs repère-t-il dans la banlieue bruxelloise une villa qui servira de modèle pour la maison du professeur Bergamotte : « Jacobs avait découvert exactement le genre de villa qui convenait, pas très loin de chez moi, toujours à Boitsfort. Et nous voilà postés devant cette maison, amassant des croquis sans nous inquiéter […]. Notre travail terminé, nous repartons paisiblement. Surgissent à ce moment deux autos grises […] qui stoppent devant la villa : celle-ci était réquisitionnée et occupée par des SS[122] ! »
Cette aventure est probablement celle où l'évolution sera la plus soumise aux aléas de la guerre : la progression est ralentie pour être totalement interrompue avec la Libération de Bruxelles par la Division britannique des Guards, au matin du . L'interruption correspond approximativement à la séquence où Tintin effectue une visite à l'hôpital[123].
Retour sur le devant de la scène (1944-1952)
Années difficiles (1944-1946)
À partir de 1943, des tensions apparaissent au sein du Soir. De Becker se brouille avec la hiérarchie allemande et devient progressivement anti-nazi. Il est démis de ses fonctions et placé en résidence surveillée en Bavière jusqu'à la fin de la guerre.
Le , Hergé fête la Libération avec Jacobs et deux soldats britanniques chez lui. Or, trois jours plus tard, son domicile est perquisitionné par la police judiciaire. Mais le monde d'Hergé s'écroule. Durant l'automne 1944, plusieurs de ses amis proches, dont Jacques Van Malkebeke, Paul Jamin et l'abbé Wallez, sont arrêtés et jugés pour leur rôle de collaborateurs ou leur proximité supposée avec l'idéologie nazie. L'ecclésiastique, comme les autres, est condamné à mort avant que la peine ne soit commuée en quelques années de prison.
Le , le Haut Commandement Interallié ordonne l'interdiction momentanée de l'exercice de tous les journalistes ayant collaboré à la rédaction d'un journal pendant l'Occupation[124]. Après la Libération de Bruxelles, les milices de la Résistance effectuent une vague d'arrestations dans le milieu journalistique[125]. Bien que n'y ayant jamais rédigé d'articles politiques, Hergé avait en effet travaillé pour Le Soir entre 1940 et 1944. Hergé est arrêté par quatre fois et passe une nuit en prison :
« Plus personne ne vous connaît ni même les éditeurs, plus personne ! »
— Interview d'Hergé[48].
« J'ai été arrêté quatre fois, chaque fois par des services différents, mais je n'ai passé qu'une nuit en prison ; le lendemain on m'a relâché. Je n'ai cependant pas figuré au procès des collaborateurs du Soir, j'y étais en spectateur… Un des avocats de la défense a d'ailleurs demandé : « Pourquoi n'a-t-on pas aussi arrêté Hergé ? », ce à quoi l'Auditeur militaire a répondu : « Mais je me serais couvert de ridicule ! »
— Interview d'Hergé[126].
En effet, quelques semaines auparavant, le substitut chargé de constituer le dossier des journalistes du « Soir volé » explique que « ce serait de nature à ridiculiser la justice que de s'en prendre à l'auteur d'inoffensifs dessins pour enfants », même si, reconnaît-il plus loin, il allait devoir « poursuivre des chroniqueurs littéraires, sportifs, etc. » dont les écrits personnels ne sont pourtant pas sujets à critique[127]. Le dessinateur est donc l'objet d'une certaine clémence qu'il doit au résistant belge William Ugeux. Ce dernier donne son avis sur le cas Hergé :
« Quelqu'un qui s'est bien conduit à titre personnel, mais qui n'en est pas moins demeuré un anglophobe évoluant toujours dans la mouvance rexiste. Il illustrait bien la passerelle qui reliait l'esprit scout primaire et la mentalité élémentaire des rexistes : goût du chef, du défilé, de l'uniforme… Un maladroit plutôt qu'un traître. Et candide sur le plan politique. »
— William Ugeux, décembre 1945[128].
Ainsi, le , le dossier d'Hergé est classé sans suite et, un an plus tard, il obtient l'autorisation de publier de nouveau (). Entre-temps, les milieux résistants avaient fait paraître, dans l'hebdomadaire La Patrie, la Galerie des traîtres, un fascicule injuriant les collaborateurs, la parodie « Tintin au pays des Nazis », dans laquelle on peut lire :
« Élève Tintin, vous avez aidé l'élève Nazi à faire ce devoir ! Vous êtes un sale collaborateur, élève Tintin ! Je dirais même plus un sale Kollaborateur ! »
— Extrait de la violente parodie « Tintin au pays des Nazis », 1944[129].
Hergé eut un souvenir amer de l'Épuration et garda une certaine rancune vis-à-vis de la Résistance :
« Je détestais le genre Résistant. On m'a proposé quelquefois d'en faire partie, mais je trouvais cela contraire aux lois de la guerre. Je savais que pour chaque acte de la résistance, on allait arrêter des otages et les fusiller. »
— Interview d'Hergé[103].
Entre fin 1944 et fin 1946, Georges Remi est interdit de publication. De nombreuses rumeurs circulent alors sur son compte. Certains avancent qu'il est devenu fou et d'autres même qu'il est mort. En réalité, le dessinateur travaille sur certains de ses albums d'avant-guerre[130]. En juin 1945, Paul Remi rentre de captivité en Belgique mais cela n'arrange pas l'état de santé de sa mère. De son côté, Hergé améliore l'efficacité narrative des images de Tintin en Amérique. De nombreuses planches de l'ancienne édition (version 1932), où certaines maladresses apparaissaient, sont corrigées. L'album est colorisé et calibré en 62 pages. Tintin au Congo est le second album à subir une refonte totale. L'auteur prend soin de modifier certaines séquences de la version en noir et blanc qui pourraient être embarrassantes à une époque sensible. Ce sont les détails colonialistes qui sont « adoucis », comme la célèbre leçon de géographie à des Congolais où Tintin s'exclamait : « Votre patrie la Belgique » (version 1930), qui devient une leçon de mathématiques : « Deux plus deux égalent ? » (version 1946)[131]. Casterman lui réclame les planches originales du Sceptre d'Ottokar pour les coloriser, mais celles-ci sont restées dans les locaux de Cœurs Vaillants pendant l'Occupation et ont disparu[132]. Enfin, dernier album concerné, Le Lotus bleu, dans l'ensemble peu modifié exceptés la colorisation, le calibrage paginal et quelques enrichissements de décor (version 1946). À la même période, Hergé lance avec Edgar P. Jacobs des planches de bandes dessinées sous le pseudonyme de « Olav »[111].
Le Journal de Tintin (1946-1947)
Le , Élisabeth Remi, la mère d'Hergé, décède dans un hôpital psychiatrique (banlieue nord-est de Bruxelles). Au cours de l'été, l'ancien résistant Raymond Leblanc (1915-2008) propose à Hergé d'obtenir pour lui l'autorisation de créer un journal. Leblanc fonde Le Journal de Tintin et Hergé devient le directeur artistique des bureaux situés au 55 rue du Lombard à Bruxelles. De nombreux dessinateurs coopèrent dont Edgar P. Jacobs, Jacques Van Melkebeke et Jacques Laudy. Le premier numéro de l'hebdomadaire paraît le [133]. Les conditions de travail ne sont plus celles de l'Occupation, ce qui améliore considérablement la qualité du dessin (format à l'italienne, finesse des couleurs, taille des images…). Après deux ans d'interruption, la suite des Sept Boules de cristal apparaît dans le premier numéro du Journal sous le titre « Le Temple du Soleil ». Le tournant entre les deux albums s'effectue le . Envoyant ses héros au Pérou, la documentation amassée, avec l'aide d'Edgar P. Jacobs, pour l'occasion est considérable. Outre les croquis et les photos, la source de référence du dessinateur est l'ouvrage de Charles Wiener, Pérou et Bolivie (1880). En parallèle du récit de l'aventure, les planches doubles du Journal permettent l'impression en bas de page de documents renseignant le lecteur sur les civilisations précolombiennes[134].
Après avoir contribué à la documentation et au coloriage du Temple du Soleil, Edgar P. Jacobs continue son chemin en se consacrant aux aventures de ses propres héros Blake et Mortimer à partir de . La période est particulièrement difficile pour Hergé. Une querelle éclate au printemps entre son agent Bernard Thièry et lui. Accusé d'escroquerie, ce dernier menace le dessinateur de divulguer le passé collaborationniste de Van Melkebeke, qui était interdit de publication depuis la Libération. L'abbé Wallez, quant à lui, est condamné à quatre années de prison le [135].
Première remise en question (1947-1949)
Comme il le souligne dans l'une de ses lettres, le dessinateur est « las » :
« Quand je dis que je suis blasé, c'est fatigué que je devrais dire. Je suis las de ces éloges ; je suis las de refaire pour la ixième fois le même gag […]. Ce que je fais ne répond plus à une nécessité. Je ne dessine plus comme je respire, comme c'était le cas il n'y a pas tellement longtemps. Tintin, ce n'est plus moi […]. »
— Lettre d'Hergé à sa femme (11 juin 1947)[136].
Pour se changer les idées, le couple Remi part en Suisse durant une grande partie de l'été 1947. À leur retour, ils caressent le projet de s'établir en Amérique du Sud, loin des problèmes de la Belgique d'après-guerre[137]. Au printemps 1948, l'artiste belge qui rêve d'adapter Tintin au cinéma envoie une lettre à Walt Disney pour lui demander son appui, en vain. Durant l'été, Georges et sa femme reprennent la direction de la Suisse accompagnés de Rosana, âgée de 18 ans et fille d'une amie de Germaine. Durant le séjour, l'homme et la jeune fille entretiennent une courte liaison amoureuse sitôt avouée[138]. Entre-temps, d'autres collaborateurs essentiels apparaissent dans le sillage d'Hergé : Bob de Moor (1925-1992) ou Guy Dessicy[139]. Le , Hergé reprend une publication avortée de 56 planches en du fait de la disparition du Petit Vingtième : Tintin au pays de l'or noir. Le scénario avait débuté avant guerre avec l'attentat d'Haïfa survenu durant l'été 1938 à l'encontre de l'occupant britannique[140].
Cette aventure est celle qui connaît le plus de fluctuations. En une décennie, l'histoire fut arrêtée trois fois : en (occupation de Bruxelles), en (première déprime d'Hergé) et enfin en (seconde déprime)[141]. Avant de compléter la suite de l'histoire, Georges Remi procède à certaines adaptations par rapport aux planches de 1939-1940 : il intègre ainsi le capitaine Haddock et le château de Moulinsart. Comme l'exprime B. Peeters : « Véritable fantôme se glissant dans un récit qui n'avait pas été prévu pour lui, Haddock apporte à cet album une note de bizarrerie presque surréaliste[142]. » Apparaissent au cours de cette aventure, l'émir Ben Kalish Ezab et son fils Abdallah inspiré de Fayçal II, fils de Ghazi Ier le roi d'Irak. D'un point de vue politique, c'est le témoignage des tensions qui subsistent pour l'indépendance sur fond de concessions pétrolières durant les années 1940 et 1950 dans le royaume d'Irak. L'épilogue est publié le . Depuis le , les Remi ont fait l'acquisition d'une ferme dont l'origine remonte au XVIe - XVIIe siècle, époque de la domination espagnole, ancienne propriété Labouverie, dans le village de Céroux-Mousty, rue de Ferrières, au sud de Bruxelles, dans le Brabant wallon[143].
Lancement des Studios Hergé (1949-1952)
Depuis 1950, Hergé a le projet d'envoyer ses héros sur la Lune. L'idée lui en est venue à la lecture d'un livre d'Alexandre Ananoff intitulé L'Astronautique[144] et il se met en rapport épistolaire avec l'auteur pour en obtenir des précisions sur l'aménagement d'une fusée habitable et sur les commandes et instruments de contrôle de celle-ci. L'ampleur du projet nécessite, par sa masse de documentation et de travail, une équipe autour d'Hergé et une organisation digne d'une véritable entreprise. Le , Me Willocx, notaire à Saint-Gilles, signe l'acte de la société anonyme Studios Hergé[alpha 20]. Bob de Moor, second depuis le départ d'Edgar P. Jacobs, est rejoint par Jacques Martin, Roger Leloup et d'autres. Pour calmer le chagrin de son père devenu veuf, Hergé le nomme responsable des archives. Dans le contexte international de l'époque, une partie du monde est entrée dans la guerre froide. Le sujet de la nouvelle aventure de Tintin a pour toile de fond tantôt le rêve mythique de Jules Verne De la Terre à la Lune (1865) tantôt le contexte d'après-guerre d'utilisation des missiles et fusées. Entre 1948 et 1950, le bloc occidental reprend à son profit la technologie des V2 allemands (fusée Véronique mise au point en 1948)[145]. Afin d'être lavé de tout soupçon, Hergé plante son action dans l'un de ses pays imaginaires, la Syldavie. Le , les premières planches de On a marché sur la Lune apparaissent dans le Journal de Tintin.
D'autre part, les Studios Hergé amassent une documentation énorme auprès du docteur Bernard Heuvelmans (une connaissance du groupe), spécialiste de la cryptozoologie. Le fruit de cette collaboration donne naissance à une première planche, écrite par Hergé et Jacques Van Melkebeke (le rédacteur en chef du Journal de Tintin) qui se déroule aux États-Unis avec la participation des professeurs Tournesol et Calys. Jugée médiocre, Hergé l'abandonne tout en continuant la collaboration avec Heuvelmans[146].
Mais le projet astronautique continue et une maquette de la fusée est conçue — dans laquelle on trouve l'influence des dessins et schémas d'Ananoff — pour permettre au décorateur-en-chef d'Objectif Lune (Bob de Moor) de rendre les scènes techniquement plus réalistes. Afin d'éviter la lourdeur documentaire du sujet, Hergé introduit une ligne humoristique au travers du capitaine Haddock, pour rendre l'histoire plus légère. L'aventure se termine le au terme de 117 planches parues. L'ensemble est scindé en deux albums distincts : Objectif Lune (Casterman, 1953) et On a marché sur la Lune (Casterman, 1954). À la fin des deux épisodes Hergé dresse un jugement sévère : d'une part il est insatisfait de la fin tragique de l'ingénieur Wolff :
« Il fallait sortir de cette impasse et j'ai fini par céder, et par écrire cette sottise : « Peut-être par miracle me permettra-t-il d'en réchapper. […] » Il n'y a pas de miracle possible : Wolff est condamné sans appel, et il le sait mieux que quiconque. »
— Interview d'Hergé, 1970[147].
D'autre part, l'auteur estime que le sujet extraterrestre est étroit et qu'il a, selon lui, fait le tour pour ne plus y revenir :
« Que voulez-vous qu'il se passe sur Mars ou sur Vénus ? Le voyage interplanétaire, pour moi, est un sujet vidé. »
— Interview d'Hergé, 1970[148].
L'évolution de la conquête spatiale par les Soviétiques et les Américains et l'apparition du « mythe » des OVNI ne changeront rien à cette opinion, en tout cas quant aux projets d'Hergé dans la bande dessinée.
Quelques semaines plus tard, le dessinateur achète un étage d'appartement, avenue Louise à Bruxelles, pour y installer les Studios Hergé. Casterman commande à Hergé les planches d'avant-guerre (1935-1939) revisitées et en couleurs de Jo, Zette et Jocko. Les collaborateurs du dessinateur se mettent au travail et cinq albums sont proposés : Le Testament de M. Pump et Destination New-York (1951) reprennent les planches du Stratonef, Le Manitoba ne répond plus et L'Éruption du Karamako (1952), reprennent Le Rayon du mystère et enfin La Vallée des Cobras (1956). Sur les instructions d'Hergé, Jacques Martin s'est personnellement occupé de ce dernier album à l'origine inachevé[149].
« Tintin superstar » (B. Peeters) (1952-1961)
Crise personnelle (1952-1959)
Durant la conception des deux albums précédents, son épouse Germaine est grièvement blessée lors d'un accident de voiture (). Quelques mois plus tard, Norbert Wallez récemment sorti de prison décède pendant que le dessinateur retrouve son amie d'enfance Marie-Louise van Cutsem lors d'une dédicace d'albums au Palais des Beaux Arts de Bruxelles (). Ces événements n'arrangent en rien la fragilité psychologique d'Hergé[150]. Mais les affaires reprennent l'année suivante et Tintin devient une véritable icône mondiale. Les Studios Hergé font l'acquisition de locaux plus vastes et déménagent le 1er avril 1953 pour l'avenue Louise à Bruxelles. Poussé par Casterman à éditer la dernière aventure de Jo, Zette et Jocko publiée en 1939, Hergé ne parvient pas à mettre la main sur les planches originales laissées à Cœurs Vaillants, qui ne veut pas les lui rendre. Enfin, Raymond Leblanc travaille au projet du premier magasin Tintin à proximité des Studios Hergé, avenue Louise[151].
Le , L'Affaire Tournesol commence à paraître dans le Journal[152]. Après la visite de Séraphin Lampion, les héros sont envoyés en Suisse où Hergé s'était préalablement rendu en repérage. Il croqua et photographia l'hôtel Cornavin à Genève, la demeure du professeur Topolino à Nyon ou les bords du lac Léman[153] :
« Il fallait que je découvre l'endroit exact près de Genève, où une voiture peut quitter la route et tomber dans un lac. »
— Interview d'Hergé[147].
L'Affaire Tournesol est l'aventure par excellence qui rend le mieux compte de l'atmosphère de la guerre froide. Les tensions entre la Syldavie et la Bordurie trahissent les affrontements entre les blocs. Le symbole bordure des moustaches de Plekszy-Gladz est un mélange du brassard nazi et des moustaches de Staline qui vient de mourir (mars 1953). La série se termine le [154]. La même année, Hergé entame une relation extra-conjugale avec l'une de ses coloristes, Fanny Vlamynck, arrivée aux Studios en 1955.
Entre octobre 1956 et janvier 1958, les Studios Hergé réalisent Coke en stock. Cette dix-neuvième aventure est celle du retour d'anciennes connaissances. Ainsi réapparaissent : l'émir ben Kalish Ezab, Abdallah, le général Alcazar, Dawson, le docteur Müller, le lieutenant Allan, Rastapopoulos, Bianca Castafiore, Séraphin Lampion et Oliveira da Figueira. L'intrigue tourne autour du trafic d'armes et surtout d'esclaves qu'Hergé voulait dénoncer. Accompagné de Bob de Moor, l'artiste se rend sur un cargo suédois pour y prendre des clichés qui serviront de décor pour l'aventure[155]. En parallèle, la santé psychique d'Hergé demeure instable, marquée par des rêves de blanc et angoissants. Tintin au Tibet, l'album probablement le plus personnel de son œuvre, reflète bien l'état d'esprit de l'auteur à la fin des années 1950. Pour lutter contre ses démons, le dessinateur débute sa nouvelle aventure le :
« À un certain moment, dans une sorte d'alcôve d'une blancheur immaculée, est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m'attraper. Et à l'instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc. »
— Interview d'Hergé[156].
Il consulte Franz Niklaus Riklin, psychanalyste zurichois[157], disciple de Carl Gustav Jung, qui lui conseille purement et simplement d'arrêter de travailler. Mais Hergé ne tient pas compte de ses recommandations et poursuit la réalisation de l'album. Tintin au Tibet sera tout simplement le remède à cette crise des rêves et du subconscient meurtri de Georges Remi. La vingtième aventure est assez singulière et se démarque particulièrement des autres : pas de personnages secondaires, pas de méchants et un Tintin plus humain que jamais à la recherche de son ami de toujours, Tchang. Le rôle d'Haddock équilibre l'ensemble grâce à son humour décalé et râleur. C'est aussi une documentation précise sur l'Himalaya, Katmandou et surtout le plus d'informations possibles sur le légendaire Yéti. Cet hypothétique abominable homme des neiges dont l'existence fut défendue par le cryptozoologiste belge Bernard Heuvelmans et dont Maurice Herzog pensait que les traces mystérieuses qu'il avait découvertes dans la neige de l'Annapurna, à haute altitude, pourraient être celles de ce primate survivant de la préhistoire[alpha 21]. Plus on progresse vers la fin de l'album, plus la blancheur l'emporte sur les autres couleurs : une couleur pure mais qui hante le dessinateur depuis plusieurs mois. Enfin, le monde du rêve est au centre de l'intrigue : rêve prémonitoire, télépathie, lévitation[158]… L'histoire est terminée le . Libéré de ses démons, Hergé quitte sa femme Germaine, mais sans pour autant pouvoir divorcer car celle-ci ne le lui accordera qu'en 1977.
Succès mondial de Tintin (1959-1960)
Vers la fin des années 1950, Hergé voyage beaucoup : il traverse l'Italie, l'Angleterre, la Suède, la Grèce et le Danemark. Les albums de son héros Tintin voyagent aussi. À partir de 1946, les premières traductions néerlandaises sont commandées : la maison d'édition Casterman édite le Secret de La Licorne dans sa version néerlandaise (Het Geheim van de Eenhoorn), suivi de L'Oreille cassée (Het Gebroken Oor), L'Île Noire (De Zwarte Rotsen) et enfin tous les autres albums[159]. En 1948, Casterman atteint le premier million d'exemplaires vendus.
Album | Édition originale | Première édition étrangère |
---|---|---|
Tintin en Amérique | 1932 (Casterman) | 1936 (portugais)[alpha 22] |
Tintin au Congo | 1931 (Casterman) | 1940 (néerlandais)[alpha 23] |
Le Secret de La Licorne | 1943 (Casterman) | 1946 (néerlandais) |
Le Secret de La Licorne | 1943 (Casterman) | 1952 (anglais britannique) |
Le Trésor de Rackham le Rouge | 1944 (Casterman) | 1952 (allemand) |
Le Secret de La Licorne | 1943 (Casterman) | 1952 (espagnol) |
Le Sceptre d'Ottokar | 1939 (Casterman) | 1959 (anglais américain) |
Le Sceptre d'Ottokar | 1939 (Casterman) | 1960 (danois) |
Le Sceptre d'Ottokar | 1939 (Casterman) | 1960 (suédois) |
Quatre albums vont poser problème aux éditeurs anglophones et ces derniers de réclamer des modifications à Hergé : L'Île Noire, L'Étoile mystérieuse, Le Crabe aux pinces d'or et Tintin au pays de l'or noir.
- L'Étoile mystérieuse : Dans la version originale de L'Étoile mystérieuse, dessinée en pleine Occupation allemande, Hergé avait donné aux ennemis du navire L'Aurore la nationalité américaine comme le montre la case illustrant le canot se dirigeant vers l'aérolithe tombé en mer. À la suite des pressions exercées par les éditeurs anglophones, Hergé remplace en 1954 le drapeau américain par le drapeau fictif du Sao Rico[116].
- Le Crabe aux pinces d'or : Le Crabe aux pinces d'or doit aussi se conformer aux exigences d'outre-Atlantique. Le puritanisme américain réclame entre autres, pour l'édition 1958, le retrait de deux cases dans lesquelles on voit le capitaine Haddock boire du whisky au goulot pour, dit-on, ne pas inciter les jeunes à boire[160]…
- L'Île Noire : En 1965, Methuen insiste pour que soit réalisée une version actualisée et plus réaliste de L'Île Noire à l'intention des lecteurs britanniques. En effet, l'éditeur londonien venait de trouver 131 erreurs de détail dans la précédente édition de 1943. Surchargé de travail, l'artiste dépêche sur place son assistant Bob de Moor qui a pour mission de croquer et de photographier les traces de Tintin en Écosse. Les changements de la nouvelle édition (1966) sont frappants : l'électrification des lignes ferroviaires, le whisky Johnny Walker devient l'insignifiant Loch Lomond, l'automobile de Müller devient une Jaguar (modèle Jaguar Mark X de 1961) ou encore la voiture à bras des pompiers devient un camion moderne[161]…
- Tintin au pays de l'or noir : Enfin, en 1969, Methuen fait redessiner Tintin au pays de l'or noir pour qui la version originale est obsolète :
« L'album ne pouvait paraître en Grande-Bretagne dans sa version originale : il y était question de la lutte des organisations juives contre l'occupant britannique, avant l'indépendance d'Israël. »
— Interview d'Hergé[162].
De son côté, Bob de Moor se rend dans le port d'Anvers pour prendre des clichés d'un pétrolier des années 1940 qui servira de modèle au Speedol Star[163].
Le symbole le plus édifiant de ce succès planétaire est probablement l'inauguration du nouveau siège des éditions du Lombard (éditeur du Journal de Tintin), avenue Spaak à Saint-Gilles (). L'immeuble est surmonté d'une enseigne lumineuse et pivotante représentant Tintin et Milou[164].
Tintin sous toutes les formes (1960-1961)
Après 1945, Hergé ne réalise pratiquement plus d'illustrations. Il se concentre avant tout sur la préparation de ses albums. En revanche, les Studios Hergé vont insérer l'image « Tintin et Milou » sur de nombreux supports.
- Les chromos : En , peu de temps avant la Libération de Bruxelles, Hergé et Edgar P. Jacobs décident de réaliser une série de cartes postales qui constitueraient une encyclopédie sur des thèmes précis. Chaque carte sera accompagnée par le personnage de Tintin vêtu d'un costume approprié. Le projet est reporté à l'automne 1946 au sein du Journal de Tintin et publié dans la rubrique documentaire. Entre 1946 et 1950, apparaissent les Entretiens du Capitaine Haddock sur l'histoire de la marine. À partir de 1950, les éditions du Lombard font éditer des chromos en couleurs indépendamment du journal, offerts en échange de l'achat de « timbres Tintin »[165]. Sept collections sont lancées :
Concepteur | Collection |
---|---|
Edgar P. Jacobs (1946-47) | L'histoire de l'Aérostation[166] |
Edgar P. Jacobs (1947-48) | Le chemin de fer[167] |
Jacques Martin | L'histoire de l'automobile[168] |
Jacques Martin | L'aviation en 1939-1945[169] |
Jacques Martin | L'aviation des origines à 1914[170] |
Jacques Martin | L'histoire de la marine des origines à 1700[171] |
Jacques Martin | L'histoire de la marine de 1700 à 1850[172] |
Une dernière collection sur l'histoire des costumes et des guerriers est envisagée mais le projet est abandonné[173].
- Les cartes postales : Les Studios Hergé publient de nombreuses cartes postales mettant en scène les personnages des Aventures de Tintin. Au cours des années 1940, Hergé envoyait épisodiquement des cartes de vœux aux lecteurs. Par contre, à partir de 1950, chaque nouvel an, une carte de vœux est systématiquement dessinée. Aux cartes de style classique des premières années, les années suivantes se montrent particulièrement inventives : les personnages sont représentés sur une sorte de vitrail médiéval (1967), une mosaïque byzantine (1963) ou encore une fresque égyptienne (1978)[174].
- Le cinéma
Le cinéma a toujours fasciné Hergé. Dès 1926, dans les Aventures de Totor, il inscrivait en surtitre : « United Rovers présente un grand film comique », signé « Hergé moving pictures ». Les premières aventures d'avant-guerre s'inspiraient, elles aussi, des westerns muets des années 1920-1930. Le projet d'une adaptation pour le grand écran apparaît après-guerre. À la fin des années 1940, la compagnie française « les Beaux Films » propose une adaptation de certaines aventures en diapositives. À la même époque, sans plus de succès, Claude Misonne crée un long-métrage du Crabe aux pinces d'or, joué par des poupées (1947)[175]. Il faut attendre une quinzaine d'années pour voir apparaître des propositions de films joués par des comédiens en chair et en os, au grand enthousiasme d'Hergé, qui espère participer à la mise en scène. En 1960, sort en salles Tintin et le Mystère de la Toison d'or, film de Jean-Jacques Vierne, avec Jean-Pierre Talbot dans le rôle de Tintin. Quatre ans plus tard, sort sur les écrans Tintin et les Oranges bleues, de Philippe Condroyer, avec Talbot dans le même rôle. Au grand désespoir d'Hergé, c'est un double échec, les films n'attirent pas les foules[111]. Le projet d'un troisième film aurait même été abandonné en 1967.
Après l'échec des films, Hergé revient au dessin animé classique. En 1955, Raymond Leblanc, le directeur du Journal de Tintin, avait fondé les Studios Belvision dans le but d'adapter Les Aventures de Tintin sur grand écran. Quatre années de travail avaient été nécessaires pour qu'en 1959 sortent des dessins en couleurs pour la télévision en plusieurs séquences de 5 minutes quotidiennes : Objectif Lune, Le Crabe aux pinces d'or, Le Secret de La Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge, L'Étoile mystérieuse, L'Île Noire et L'Affaire Tournesol[176]. C'est un véritable succès. Dix ans plus tard, après plusieurs années de travail aux Studios Hergé, sort en salle Le Temple du Soleil avec l'aide de Greg. Bien que l'histoire d'origine (1949) ait été fortement remaniée, le public est conquis. En 1972, Greg propose à Hergé un scénario original de long métrage qui ne reprend pas une aventure existante de Tintin. Tintin et le Lac aux requins plante le décor en Syldavie avec comme personnages principaux : Tintin, Haddock, Tournesol et Rastapopoulos. Le film est adapté en bande dessinée en 1973 par Casterman en 44 pages. Enfin, intéressé par le sujet, Steven Spielberg demandera en 1982 l'autorisation d'Hergé pour adapter Tintin, projet qu'il mettra près de 30 ans à mûrir avant la sortie en octobre 2011 sur grand écran de Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne.
Dernières années (1961-1983)
Recul de l'auteur (1961-1967)
Toutes les activités accumulées par Hergé depuis les années 1950 (refonte d'albums, confections des cartes de vœux, adaptations au cinéma) en font un homme fatigué qui espace de plus en plus ses nouvelles aventures. Avec sa nouvelle histoire, il veut à la fois camper Tintin chez lui à Moulinsart, sans exotisme, « pour voir si j'étais capable de tenir le lecteur en haleine jusqu'au bout » et d'autre part, bouleverser ses habitudes d'écriture. Les Bijoux de la Castafiore, sorte « d'anti-aventure » paraît à partir du dans le Journal de Tintin.
« Ce côté aventure me paraît à l'heure actuelle un peu infantile. »
— Interview d'Hergé[48].
Le scénario est digne d'une planche de Quick et Flupke : le récit banal est dérangé par des actions extérieures qui viennent à lui dans un cadre limité : la propriété de Moulinsart[177]. Hergé s'amuse à dérégler ses personnages. Tintin est effrayé par une chouette, Haddock passe son temps en fauteuil roulant, les Dupondt ne cessent de se casser la figure et le paroxysme de ce dérèglement est la séance de télévision dans le laboratoire de Tournesol. Au terme des 62 planches, l'aventure se termine le . En 1965, Hergé fait un voyage au Québec pour participer au Salon du livre de Montréal[178].
Quatre ans après la fin des Bijoux de la Castafiore, Hergé entame sa prochaine aventure : c'est le . Ici Tintin et ses amis sont de nouveau projetés à l'étranger (sur une île indonésienne). Dans Vol 714 pour Sydney, destination d'origine des héros, le dessinateur continue dans sa lancée de démythification de la famille de papier en réglant ses comptes avec les « méchants » : Rastapopoulos en est l'exemple frappant : « En cours de récit, je me suis rendu compte qu'en définitive Rastapopoulos et Allan n'étaient que de pauvres types. J'ai découvert ça après avoir habillé Rastapopoulos en cow-boy de luxe […]. D'ailleurs, ainsi déboulonnés, mes affreux me paraissent un peu plus sympathiques : ce sont des forbans, mais de pauvres forbans[179] !… »
Autre point essentiel de l'album, c'est la maquette du Carreidas 160, jet privé du milliardaire Lazlo Carreidas, caricature du constructeur français Marcel Dassault. Le Journal de Tintin présente un « écorché » extrêmement précis de l'avion réalisé par Roger Leloup (1966). Enfin, par le biais du personnage Ezdanitoff (inspiré du journaliste Jacques Bergier), Hergé initie ses lecteurs à la parapsychologie et boucle l'histoire par l'intervention discrète des extraterrestres comme clin d'œil humoristique. La fin est proposée dans le Journal du [180].
Reconnaissance internationale (1967-1975)
Tintin est devenu un héros universel. « Au fond, je n'ai qu'un seul rival international : c'est Tintin » ira jusqu'à dire Charles de Gaulle.
Après la fin de Vol 714 pour Sydney, Hergé décide de mettre de côté Tintin quelques années pour voyager, s'adonner à sa nouvelle passion l'art contemporain et surtout se reposer. Le , Alexis Remi le père de l'artiste, décède à l'âge de 87 ans. Grand fan des Indiens d'Amérique depuis sa jeunesse, Hergé les rencontre pour la première fois, accompagné de sa compagne Fanny Vlamynck dans le Dakota du Sud (1971). La même année, il donne une interview exclusive au jeune journaliste Numa Sadoul qui dure pendant quatre jours. Cette entrevue lui permet de se dévoiler et de brosser un tableau intime de Tintin et de sa vie[48]. Pourtant, c'est durant cette décennie que le dessinateur va se trouver propulsé sur le devant de la scène. En effet, il reçoit de nombreux hommages et des décorations. En 1969, en hommage à son aventure lunaire, Paris Match commande à Hergé une courte bande-dessinée racontant le déroulement de la mission Apollo 12, parue le dans le magazine[181]. En 1973, il est reçu par le gouvernement de Tchang Kaï-chek pour avoir soutenu la cause chinoise en 1935. Trois ans plus tard, après quarante-deux ans de séparation, il retrouve les traces de son ami chinois Tchang Tchong-Jen, le coauteur du Lotus bleu qu'il croyait mort. En 1977, il obtient un divorce de Germaine Kieckens, et se remarie avec Fanny Vlamynck. En 1979, Andy Warhol réalise une série de quatre portraits de l'artiste belge qui resteront mondialement célèbres[182].
Enfin, les années 1970 sont celles de la notoriété internationale d'Hergé gagnée en plusieurs stades progressifs. Durant les années 1930, les ventes éditées par Le Petit Vingtième étaient très modestes (moins de 50 000 exemplaires en Belgique). Une première percée se produisit en 1941 avec la publication du Crabe aux pinces d'or favorisée par l'apparition de l'album en couleur quelques mois plus tard chez Casterman. L'apparition du Journal Tintin en 1946 stimula encore davantage les ventes pour atteindre le million d'exemplaires vendus en 1948. À partir de ce moment, la machine est en marche et il n'est plus possible de l'arrêter : un million d'exemplaires par an (1960), 10 millions d'exemplaires (1961), 26 millions (1970), 81 millions (1980) et jusqu'à 6 millions pour la seule année 1983 ! À la mort du dessinateur, Les Aventures de Tintin étaient traduites en une quarantaine de langues à travers le monde[183].
Dernière œuvre et l'Œuvre inachevée (1975-1983)
Huit ans après la fin de Vol 714 pour Sydney, l'avant-dernière aventure de Tintin apparaît le dans le Journal. Depuis le précédent album, Hergé ne travaille plus que pour son plaisir et il prend son temps pour bâtir l'histoire : « L'idée a mis longtemps à prendre forme ; c'est comme une petite graine, un petit ferment qui prend son temps pour se développer. J'avais un cadre : l'Amérique du Sud […] mais rien ne prit forme avant longtemps : il fallait que vienne un déclic[184]. »
Hergé présente des personnages profondément modifiés d'une part physiquement (port du jean, pratique du yoga, déplacement à cyclomoteur…) et moralement (extrême passivité face aux actions). Suite de L'Oreille cassée, Tintin et les Picaros reprend un certain nombre de personnages déjà connus du public : le général Alcazar, le colonel Sponsz, Pablo, Ridgewell… Des nouveaux interviennent : Peggy Alcazar, le général Tapioca (qui n'était jusqu'alors que mentionné), le colonel Alvarez. L'artiste s'inspire de nouveau du contexte international instable en Amérique Latine marqué, au cours des années 1970, par l'affaire Régis Debray et des coups d'État à répétition : notamment au Chili, le suicide du président Salvador Allende lors du coup d'État militaire du général Pinochet en 1973. Dans Les Picaros, Hergé fait de nouveau intervenir Tintin dans les affaires de l'État fictif du San Theodoros. Enfin, par le prisme de cette bande dessinée, certains y voient le début de la fin : « Malgré les apparences, la fin de Tintin et les Picaros est la plus amère qu'ait jamais dessinée l'auteur. « Eh bien je ne serai pas fâché de me retrouver chez nous, à Moulinsart… » déclare le capitaine Haddock […] « Moi aussi capitaine… » répond laconiquement Tintin. On sent […] que les héros, cette fois, sont bel et bien fatigués[185]. »
Le , Hergé termine Les Picaros. Il a déjà, à cette période, un projet pour le prochain album : « J'ai une idée, ou plutôt, une fois encore, j'ai un lieu, un décor : j'aimerais que tout se passe dans un aéroport, du début à la fin[186]. » En 1978, l'auteur abandonne l'idée de l'aéroport pour le thème de l'art contemporain, sa nouvelle passion depuis les années 1960. Cependant, l'année 1979 est celle du demi-siècle de Tintin, ce qui occupe tout le temps du dessinateur. Par ailleurs, son état de santé se dégrade. Tintin et l'Alph-Art s'esquisse lentement, malgré l'épuisement de l'auteur.
Le , Hergé retrouve Tchang, avec qui il s'était lié d'amitié lors de la réalisation du Lotus bleu. Après plus de 40 années de séparation, leurs retrouvailles sont organisées à Bruxelles, par Gérard Valet, journaliste à la RTBF, et la rencontre est retransmise en direct à la télévision. Hergé apparaît très affaibli et semble extrêmement gêné par cette hyper-médiatisation, à laquelle Tchang semble répondre plus facilement. De plus, leurs opinions sur le Tibet sont diamétralement opposées, Tchang étant d'avis qu'il s'agit d'une affaire interne chinoise, tandis qu'Hergé est acquis à la cause tibétaine. La rencontre est donc une déception, mais Tchang et son fils restent tout de même trois mois chez leur ami[187].
La maladie progresse, Hergé doit s'aliter et subir régulièrement des transfusions sanguines. Courant , il est hospitalisé à la clinique Saint-Luc de Woluwe-Saint-Lambert. Après une semaine passée dans le coma, Georges Remi meurt le , à l'âge de 75 ans. Les médecins pensent qu'il est atteint par la leucémie, mais des théories alternatives proposent une infection par le VIH, encore peu connu à l'époque[188],[189]. La dernière aventure de Tintin est interrompue au niveau de la planche 42. Le défunt est inhumé, à sa demande, au cimetière du Dieweg dans la commune bruxelloise d'Uccle, et cela par dérogation spéciale car cette nécropole est désaffectée. Mais il s'y trouve un certain nombre de monuments remarquables qui plaisaient à Hergé[190].
Postérité
Œuvre actuelle (depuis 1983)
Aventure post-mortem (1984-2010)
Son héritière et veuve Fanny Remi (sa femme depuis 1977) hésite sur le sort à réserver à L'Alph-Art : ses collaborateurs doivent-ils poursuivre l'album ? Hergé avait fait part de sa volonté avant de mourir :
« Il y a certes des quantités de choses que mes collaborateurs peuvent faire sans moi et même beaucoup mieux que moi. Mais faire vivre Tintin, faire vivre Haddock, Tournesol, les Dupondt, tous les autres, je crois que je suis le seul à pouvoir le faire : Tintin c'est moi, exactement comme Flaubert disait « Madame Bovary, c'est moi ! »
— Interview d'Hergé[191].
En 1986, madame Remi dissout les Studios Hergé remplacés par la Fondation Hergé. Elle décide que L'Alph-Art pourra être publié mais dans l'état laissé à la mort de son créateur[192]. Les adaptations se multiplient : en 1984, Johan de Moor et le studio Graphoui avaient entrepris de redonner vie à Quick et Flupke en les adaptant au petit écran. Ainsi 260 dessins animés d'une minute sont réalisés. En parallèle, les planches en noir et blanc des « gamins de Bruxelles », sont reprises, modernisées, colorisées et partagées en onze albums (Casterman 1984-1991)[193]. En 1991 est créée, d'après Les Aventures de Tintin, une série télévisée d'animation franco-canadienne produite par Ellipse et réalisée par Stéphane Bernasconi. Au total il y a 18 épisodes de 45 minutes chacun (hormis Tintin en Amérique). La série reprend tous les albums exceptés Tintin au pays des Soviets (jugé trop ancien et partial), Tintin au Congo (jugé trop colonialiste) et enfin Tintin et l'Alph-Art (car inachevé). Diffusée sur France 3 à partir de , c'est un véritable succès[194]. En 2001, le Musée national de la Marine consacre une exposition à Hergé intitulée Mille sabords ! Tintin, Haddock et les bateaux.
Malgré la volonté de l'auteur, des centaines d'apocryphes vont se développer après sa mort. Leur diffusion se fait de façon confidentielle car ils sont poursuivis farouchement par Fanny Remi et son nouveau mari Nick Rodwell, les héritiers des droits d'auteurs qui exploitent à présent commercialement la marque et ses très nombreux produits dérivés. En 2007, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de l'artiste, Hergé revient au sommet de l'actualité. Un article de Philippe Goddin, un spécialiste de Tintin, affirme qu'il pourrait être mort du SIDA. Bien qu'il soit mort officiellement de la leucémie, Hergé devait changer son sang régulièrement. Or, à cette époque, le VIH était très mal connu et encore moins détectable dans le sang. Le dessinateur aurait donc pu contracter le virus lors d'une transfusion ce qui expliquerait les fréquentes grippes, pneumonies et bronchites qu'il avait à répétition à la fin de sa vie[195]. Au même moment, sa veuve pose la première pierre du futur Musée Hergé de Louvain-la-Neuve au parc de la Source (Belgique). La structure ouvre ses portes en juin 2009[196]. En 2007, Steven Spielberg et Nick Rodwell annoncent la réalisation d'une Trilogie Tintin, prévue pour 2010-2011. La première partie est une adaptation du Secret de La Licorne et Tintin est joué par le britannique Jamie Bell[197], révélé dans Billy Elliot. Le film est relativement bien accueilli par la critique, et est un succès commercial.
Haute surveillance
Après la mort d'Hergé, ses collaborateurs, groupés autour de Bob de Moor, avaient donc espéré faire survivre l'œuvre de leur « patron ». Du vivant de celui-ci, ils avaient entrepris quelques tentatives de réaliser des aventures de Tintin conçues en vue de l'avenir. Mais Hergé jugeait que « ce n'était pas encore ça »[198] et, finalement, il avait décidé que son œuvre s'arrêterait avec lui. La dernière manifestation posthume d'Hergé fut la réalisation par les anciens de son atelier de la fresque décorant les quais de la station Stockel du métro bruxellois. Conçue par l'architecte Jacques Baudon, cette station est consacrée à la déclaration de l'ONU sur la protection de l'enfance. On y voit représentés la plupart des personnages des aventures de Tintin.
Dans les années 2000, à une des entrées de la nouvelle gare du Luxembourg, à Bruxelles, une reproduction photographique en noir et blanc fortement agrandie représente l'entrée de Saint-Nicolas à Bruxelles dessinée par Hergé dans les années 1930. Ce sont les héritiers d'Hergé qui ont autorisé la pose de cette fresque, tout comme des planches agrandies installées à la gare du midi, à Bruxelles, représentant Tintin juché sur une locomotive à vapeur en pleine vitesse extraites de la version en noir et blanc de Tintin en Amérique. Sa veuve étant remariée avec Nick Rodwell, les époux, parfois jugés trop « protectionnistes », gèrent l'héritage artistique d'Hergé au travers de la société anonyme Moulinsart dans le principe d'un respect absolu de l’œuvre. Depuis 1996, les héritiers rachètent les franchises de droits à l'exploitation de Tintin. Désormais, la totalité de la légitimité de l'œuvre originale leur revient. Les produits dérivés, réalisés par des stylistes professionnels de la Fondation Hergé, doivent être réalisés suivant un cahier des charges extrêmement rigoureux : respect des couleurs, du texte, pas de montage… Fanny Rodwell refuse toute association entre l'image de Tintin et des marques d'alcool ou de cigarettes. De nombreux produits de l'univers de Tintin, se vendent uniquement dans les boutiques et espaces réservés à cet effet. Leurs prix, souvent élevés (entre 50 et 800 euros pour une statuette), sont la conséquence d'une production artisanale de qualité[199].
« La société anonyme Moulinsart (162 avenue Louise, 1050 Bruxelles, Belgique) est titulaire exclusive, pour le monde entier, de l’ensemble des droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé, en particulier Les Aventures de Tintin. Le droit d’auteur protège non seulement les albums de bande dessinée et les dessins (cases, strips, planches, dessins hors-textes, couvertures), scénarios, textes, dialogues, gags, mais aussi les décors, les personnages et leurs caractéristiques, les noms, titres et lieux imaginaires, les onomatopées, polices de caractères et autres éléments de l’œuvre d’Hergé. »
— Extrait de la charte Moulinsart[200].
En , une gouache originale réalisée en 1932 par Hergé pour la couverture de Tintin en Amérique a été vendue, aux enchères chez Artcurial à Paris, pour la somme de 780 000 euros. C'est un record pour un original de BD[201].
Ses planches originales deviennent de vrais placements financiers. En 2016, le record est battu par une planche de On a marché sur la Lune, qui est adjugée 1,55 million d'euros[202]. Une autre planche du Sceptre d'Ottokar est vendue 809 600 euros[203]. Le chanteur Renaud vend une double planche pour 1,05 million d'euros[204].
La spéculation sur ses œuvres ne touche pas seulement les planches originales, mais aussi les albums et même les planches de sauvegarde à l'exemple d'une copie de sauvegarde (accidentellement tachée de son sang lors d'une mauvaise manipulation de compas) mise en vente pour plus de 300 000 euros[205].
En 2014, la barre des 100 traductions des Aventures de Tintin est franchie[206], un chiffre en constante augmentation avec plus de 120 langues et dialectes en 2019[207]. En 2020, selon les données de l'Index Translationum, Hergé figure au huitième rang parmi les écrivains d'expression française les plus traduits au monde[208].
Personnalité insaisissable
Collaborateur passif
Quand certains le comparent à Georges Simenon[alpha 24] ou considèrent que c'était un collaborateur passif mais opportuniste[209], d'autres jugent qu'Hergé n'était pas un collaborateur ni un antisémite mais simplement un homme de son époque et que Tintin n'est pas une exception. Par exemple, ils avancent que Jacques Martin, le futur père d'Alix, fut un « produit de Vichy » en participant aux « Chantiers de la Jeunesse » du maréchal Pétain entre 1941 et 1943[210].
Comme le constate Pierre Assouline : « pour Hergé comme pour un certain nombre d'écrivains et d'artistes, l'Occupation a correspondu à un « âge d'or », ainsi qu'en témoignent la qualité, la richesse et l'abondance de leur travail durant cette période[211]. » À partir de l'automne 1941, les albums vendus atteignent la barre des 100 000 exemplaires sur lesquels le dessinateur touche 10 % du prix[c 13]. Son salaire mensuel (10 000 francs belges) pendant les années 1940-1944 sera aussi pointé du doigt, notamment au procès des journalistes du Soir en 1946. Pour certains de ses détracteurs, en passant de la rédaction du Vingtième Siècle à celle du Soir en 1940, Hergé passe d'un journal tiré à 15 000 exemplaires à un autre tiré à 200 000 puis 300 000 ; il ajoutera : « De l'effondrement de 1940, date, il faut s'en souvenir, l'entrée d'Hergé dans le succès et son corollaire, la richesse… Ainsi, Hergé vendit 600 000 albums durant l'Occupation[212]. »
Un jour, sous l'Occupation, le dessinateur reçoit une lettre d'un lecteur du
« Permettez Monsieur, un père de famille nombreuse de vous dire sa tristesse et sa déconvenue de voir Tintin et Milou paraître dans le Nouveau Soir. En marge de vos amusants dessins, on leur infiltrera le venin de la religion néopaïenne d'outre-Rhin. Si vous le pouvez encore faites machine arrière. Excusez de ne pas signer mais les temps sont trop incertains[48]. »
Opinions politiques
Concernant ses opinions politiques, il est incontestable qu'Hergé a longtemps été proche des milieux catholiques d'extrême droite. En revanche, il semble avoir été beaucoup plus réservé vis-à-vis du fascisme et de l'Allemagne nazie. Jamais il n'a exprimé publiquement sa sympathie pour le rexisme et encore moins adhéré au mouvement. Il a en outre dépeint dans Le Sceptre d'Ottokar une Belgique victime d'une tentative d'agression allemande, par l'intermédiaire des États fictifs de la Syldavie et de la Bordurie (une sorte « d'Anschluss raté »). La tentative d'Anschluss que déjoue Tintin est perpétrée par un certain Müsstler (mot-valise construit sur les noms des dictateurs italien (Mussolini) et allemand (Hitler)[213]), chef du parti « La Garde d'acier »[214].
Il semble aussi qu'Hergé se soit inspiré des uniformes de la Wehrmacht pour dessiner ceux de l'armée bordure (dont les avions militaires sont des Heinkels, comme l'atteste le nom écrit sur le fuselage dans la première version de 1939[217], et comme le lui fera sèchement remarquer un officier-censier allemand pendant la guerre[218],[alpha 25]). L'album est réédité en 1942, sous l'Occupation allemande : le nom de « Müsstler » est conservé dans cette version.
Pour M. Benoît-Jannin, « À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, Hergé […] appartient à un groupe informel d'individus venant de l'Action catholique belge ou de nulle part, qui va servir l'Ordre nouveau. C'est l'effondrement de 1940 […] qui permettra à cette poignée d'idéologues fascisants et d'opportunistes de tenir tout à coup le haut du pavé. »[219]
Pour Philippe Goddin : « Hergé était un homme de droite imprégné de catholicisme et de scoutisme. Mais un homme de droite anticonformiste qui, dans son dernier album, Tintin et les Picaros, renverra fascistes et révolutionnaires dos à dos[220]. »
Accusation de racisme
Au cours des années 1930 en Europe, réapparaît la vague d'antisémitisme qui s'était déjà déclarée au tournant du XXe siècle au temps de l'affaire Dreyfus. En France et en Belgique, sans parler de l'Allemagne et de l'Italie, les milieux catholiques d'extrême droite gagnent du terrain. Or, c'est précisément dans ce milieu qu'Hergé est né et qu'il s'épanouira. Dans l'édition originale de L'Oreille cassée (1936), on retrouve, à la 117e planche, le premier croquis d'un Juif. C'est un antiquaire à qui Tintin s'adresse pour obtenir un fétiche arumbaya[221]. Cependant, c'est L'Étoile mystérieuse qui suscite toutes les interrogations. Contrairement à l'album précédent, celui-ci est dessiné pendant l'Occupation allemande entre et . Dans l'édition du Soir-Jeunesse, on trouvait d'abord une planche qui représentait deux Juifs au nez crochu et à la bouche lippue s'exclamer ainsi : « Tu as entendu, Isaac ?… La fin du monde ! Si c'était vrai ?.. – Hé hé !.. Ce serait une bonne bedide avaire, Salomon !.. Che tois 50 000 francs à mes vournizeurs… Gomme za che ne tefrais bas bayer… » Puis l'histoire se montre comme une vision manichéenne : d'un côté le groupe du « Bien » des pays neutres ou alliés à l'Allemagne avec Tintin en tête qui combat d'un autre côté le groupe du « Mal » dirigé par un banquier américain juif du nom de Blumenstein. Pour l'édition en album couleurs (1943), Casterman exigea le retrait de la première planche, le changement du nom du banquier en « Bohlwinkel » et le retrait du drapeau américain planté sur le canot ennemi[222]. Ainsi, pour M. Benoît-Jeannin L'Étoile mystérieuse est une « complaisance antisémite », d'autant plus probable que Le Soir-Jeunesse avait une rubrique qui encourageait les lecteurs à envoyer des histoires juives[220]. Hergé est revenu sur ces détails en des termes qui n'ont rien d'antisémite :
« J'ai effectivement représenté un financier antipathique sous les apparences sémites, avec un nom juif : le Blumenstein de L'Étoile mystérieuse. Mais cela signifie-t-il antisémitisme ?… Il me semble que, dans ma panoplie d'affreux bonshommes, il y a de tout : j'ai montré pas mal de « mauvais » de diverses origines, sans faire un sort particulier à telle ou telle race. On a toujours raconté des histoires juives, des histoires marseillaises, des histoires écossaises. Ce qui, en soi, n'a rien de bien méchant. Mais qui aurait prévu que les histoires juives, elles, allaient se terminer, de la façon que l'on sait, dans les camps de la mort de Treblinka et d'Auschwitz ?… À un moment donné, j'ai d'ailleurs supprimé le nom Blumenstein et je l'ai remplacé par un autre nom qui signifie, en bruxellois, une petite boutique de confiserie : bollewinkel. Pour faire plus « exotique » je l'ai orthographié Bohlwinkel. Et puis, plus tard, j'ai appris que ce nom était, lui aussi, un véritable patronyme israélite ! »
— Interview d'Hergé[223].
Fin 1941, les massacres n'avaient pas encore touché l'Europe de l'Ouest, mais en Belgique depuis , les Juifs étaient déjà exclus des universités, des écoles et de l'administration.
D'ailleurs le dessinateur n'a jamais émis publiquement d'excuses au sujet de son rôle durant la guerre, mais il confiera en privé trente ans après les faits :
« C'est vrai que certains dessins, je n'en suis pas fier. Mais vous pouvez me croire : si j'avais su à l'époque la nature des persécutions et la « Solution finale », je ne les aurais pas faits. Je ne savais pas. Ou alors, comme tant d'autres, je me suis peut-être arrangé pour ne pas savoir »
— Témoignage d'H. Roanne-Rosenblatt à P. Assouline[128]
Sur la question de l'antisémitisme ou du racisme supposé d'Hergé les exemples et contre-exemples abondent dans son œuvre. Comme le note Marc Angenot, Hergé se comporte en « medium, imprudent mais inconscient, du discours social de son temps, dépourvu de doctrine et, jusqu’à un certain point, de mauvaises intentions délibérées » tout en exploitant volontiers « une imagologie xénophobe comme source élémentaire inépuisable de comique[224]. »
Concernant les Juifs, leur image n'est pas systématiquement négative[225]. En effet, lorsqu'il dépeint des activistes de l'Irgoun luttant contre les Britanniques en Palestine dans la première version (inachevée) de Tintin au pays de l'or noir en 1939, il ne tombe pas dans la caricature. Le riche Juif américain Samuel Goldwood de L'Oreille cassée, parue deux ans plus tôt, a quant à lui le beau rôle, puisqu'il restitue spontanément à Tintin le fétiche volé à la fin du récit[226].
Dans Les Sept boules de cristal, certains lui ont reproché la grande étoile (étoile de David) qu'il a placée sur la scène du music-hall à une période qui ne s'y prêtait pas (1943-1944). Or, lorsque la première partie de l'histoire parut dans Le Soir, l'étoile ne figurait pas. Elle a été ajoutée après coup[227]. Enfin, dans l'aventure en Amérique, le dessinateur rendit plus humains les Indiens, longtemps considérés comme de « cruels sauvages », en dénonçant notamment les expropriations foncières que pratiquaient les compagnies pétrolières[228].
Finalement, s'interroge Pierre Béguin, Hergé est-il « considéré comme raciste parce qu'il a dessiné des Japonais fourbes ? Non. L'est-il pour avoir réduit Chicago à une ville de gangsters et représenté les Américains comme des affairistes sans scrupules ? Non. L'est-il pour avoir limité sa vision de l'Amérique latine à des bandes de révolutionnaires sanguinaires et avinés[229] ? » D'ailleurs, concernant Tintin au Congo, les Congolais actuels préfèrent en sourire au point de faire de Tintin une icône : « Faux ! Tintin n'était pas raciste, seulement un peu paternaliste ! Comme tous les blancs de l'époque […]. Il montre bien les méfaits de la colonisation, le côté négatif des Blancs, leurs magouilles… Les aventures du petit reporter nous ont permis de sortir de notre isolement […] »[230].
« Affaire Tintin au Congo »
Malgré le rajeunissement donné par Hergé à son deuxième album en 1946, Tintin au Congo connut « à partir de la fin des années 1950, une assez longue période de disgrâce qui […] le laissa fort difficile à dénicher. » Le temps était désormais à la décolonisation. Il aura fallu attendre les années 1970 pour revoir l'album dans les boutiques. L'édition britannique ne fut disponible qu'en 1982[231]. Or, Hergé avait dessiné ces planches en noir et blanc entre 1930 et 1931 lorsqu'il travaillait pour Le Petit Vingtième. En 1927, on venait de fêter le cinquantenaire de la découverte du Congo belge par Stanley et ce fut donc le moment pour envoyer le jeune reporter dans cette contrée lointaine. Comme pour Les Soviets, son rôle était politique : il s'agissait de faire l'éloge d'une colonie qui n'attirait aucun Belge mais qui manquait de main d'œuvre. Pour Hergé, comme c'était le cas avec la série Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet (1928), le missionnaire catholique était toujours l'un des héros des aventures africaines[232].
Le , un Congolais étudiant en Sciences Politiques à Bruxelles porte plainte devant la justice belge contre X et contre la société Moulinsart. Il réclame l'arrêt de la vente de l'album Tintin au Congo et un euro symbolique de dommages et intérêts à l'éditeur.
En parallèle, la commission britannique pour l'égalité des races (CRE) estima que l'album était « délibérément raciste ». Aux États-Unis et à Londres, certaines bibliothèques et librairies ont retiré l'ouvrage des rayons pour enfants pour le placer dans ceux réservés aux adultes[233],[234]. De son côté, la société Moulinsart s'est montrée étonnée « que cette polémique renaisse aujourd’hui. Hergé s’était expliqué, disant qu’il s’agissait d’une œuvre naïve qu’il fallait replacer dans le contexte des années 1930, où tous les Belges pensaient faire du très bon travail en Afrique[233]. »
Le débat est relancé toutes les décennies depuis un demi-siècle. Hergé était-il raciste ? Si le tableau qu'il dresse du Congo et de ses habitants l'est bien, il faut rappeler comme il le souligna lui-même, qu'il vivait à une époque où le colonialisme battait son plein. Bien entendu il y avait des anticolonialistes[alpha 26] mais l'opinion générale y était plutôt favorable : « Pour le Congo, tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : “Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !”, etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique[233]. »
Pour Jean-Claude De la Royère, conservateur au Centre belge de la Bande dessinée : « Faire du politiquement correct avec de l’ancien est impossible. » D'ailleurs finalement, Hergé n'avait-il pas dans beaucoup d'autres aventures insufflé d'incontestables valeurs humanistes ? Le Dalaï-lama n'a-t-il pas déclaré, lors de son passage en Belgique, que « Tintin au Tibet a permis à de très nombreuses personnes de savoir que le Tibet existait[233] » ? Toutefois, les opinions restent partagées sur les valeurs véhiculées dans le numéro.
Œuvre
Théoricien de la « ligne claire »
La manière de dessiner d'Hergé varia considérablement entre les années 1920 et les années 1970. Au début de sa carrière, le jeune dessinateur n'a pas encore son propre style et comme beaucoup de débutants il commence par imiter d'autres artistes. On connaît l'existence de caricatures de souverains français (Louis XIII, Louis XIV et Louis XV) ou de croquis de militaires (Joffre et Foch) qu'il a repris dans le Larousse (vers 1922)[235]. Au cours des années 1920, il est frappé par les techniques de plusieurs artistes comme Benjamin Rabier (1864-1939) célèbre pour ses croquis d'animaux (Fables de La Fontaine, La vache qui rit fondée en 1921) et surtout le personnage Tintin-Lutin qui était vêtu d'un pantalon de golfeur[236] :
« On retrouve son influence au début des Soviets quand mes dessins partent d'une décorative, une ligne en « S ». »
— Interview d'Hergé[81].
À la fin des années 1920, Hergé découvre par l'intermédiaire de Léon Degrelle, correspondant du Vingtième Siècle au Mexique, la bande dessinée américaine « faisant sortir directement les paroles de la bouche des personnages ». Depuis la fin du XIXe siècle le comic strip est très populaire aux États-Unis et s'adresse avant tout aux enfants. Le tournant des années 1930 exporte le genre en Europe occidentale. Les séries américaines les plus célèbres sont Krazy Kat de George Herriman qui paraît dans The New York Evening Journal depuis 1913 ou encore les Katzenjammer Kids de Rudolph Dirks dans le New York Journal depuis 1897. En France, le genre est déjà utilisé depuis peu par le dessinateur des aventures de Zig et Puce (1925), Alain Saint-Ogan. Jusqu'ici, les dessins de l'artiste belge n'étaient que de simples textes mis en images : désormais il va créer une véritable bande dessinée[237].
Ses premières aventures sont marquées par le peu de clarté dans les cases, les contrastes de noir et blanc qu'il commence à maîtriser à la perfection et enfin le milieu cinématographique qui a marqué son enfance[alpha 27]. Au milieu des années 1930, il prend conseil auprès du maître de la bande dessinée française, Alain Saint-Ogan. Les Aventures de Quick et Flupke sont un véritable laboratoire pour Hergé qui se lâche sans contrainte : les lignes vibratoires des notes de musique, les directions, les pirouettes[238]. Un tournant s'amorce dans le dessin de l'artiste avec Le Lotus bleu. En effet, son ami chinois Tchang Tchong-Jen lui apprend l'art de la calligraphie chinoise tout en approfondissant sa philosophie et son observation de la nature : « Cet arbre que tu regardes, il a une âme comme toi[48]. » Le souci principal d'Hergé est de rendre visible, clair, vivant et précis son dessin ce qu'il commence à maîtriser avec le Sceptre d'Ottokar. Pendant la guerre, il travaille beaucoup et selon ses mots dessine deux cases exceptionnelles : la première dans le Crabe aux pinces d'or et la seconde dans le Trésor de Rackham le Rouge[alpha 28].
Après 1945 il renforce progressivement en place sa méthode graphique qu'il approfondit au fil des années. Contrairement à ses débuts (notamment lorsqu'il était illustrateur) il y a une absence d'ombres et de hachures. Pour mettre en page son aventure, le père de Tintin commence par écrire un synopsis de deux ou trois pages avant d'effectuer un découpage sur de petites feuilles où il griffonnera des croquis. Puis il passe aux planches de grand format et enfin il fait un calque de tous les croquis qu'il juge satisfaisants « les plus clairs, qui marquent le plus le mouvement »[239]. La « ligne blanche » est particulièrement bien visible dans les albums de la fin des années 1950 et des années 1960. C'est le temps où les objets, les personnages et les décors sont systématiquement tracés à l'encre de même épaisseur. L'aplat de couleurs est un dégradé de couleurs simples et vives. Durant les années 1960, Hergé commence à se piquer d'art moderne d'abord par Joan Miró puis par Lucio Fontana[238]. Lors de l'exposition Tintin à Rotterdam (1977), le dessinateur Joost Swarte fut le premier à parler du style d'Hergé comme d'une « ligne claire » (Klare lijn). Depuis, le père de Tintin est considéré comme le pionnier et le théoricien de cette nouvelle conception du dessin[240].
Le dessin d'Hergé, rapidement identifiable, tient dans l'intensité des expressions, la précision des mouvements et la justesse des attitudes[241]. Le philosophe Rémi Brague insiste sur l'extrême précision du dessin : « Il suffirait d'ajouter ou retrancher un quart de millimètre à la ligne pour que tout soit gâché ». Cette rigueur permet également au dessinateur de suggérer une infinité de nuances par quelques détails insignifiants[242].
Collectionneur et peintre abstrait
Hergé nourrissait des fortes affinités avec la peinture. Parmi les maîtres anciens, il aimait beaucoup Bosch, Breugel, Holbein et Ingres, dont il admirait les traits et les lignes pures. Il s'intéresse également de près aux artistes contemporains comme Liechtenstein, Warhol ou Miro, au sujet duquel il confiera à son conseiller en art et ami Pierre Sterckx qu'il a provoqué chez lui un véritable choc. Hergé commence à acquérir des œuvres dans les années 1950, principalement des toiles d'expressionnistes flamands. Au début des années soixante, il fréquente la galerie Carrefour de Marcel Stal et, au contact des artistes, critiques, collectionneurs qu'il y croise, entreprend d'acheter des œuvres de Fontana, Poliakoff et bien d'autres.
En 1962, Hergé franchit le pas, il veut peindre. Il va choisir Van Lint, qui était un des peintres abstraits les plus en vue de l'époque et qu'il appréciait beaucoup, pour être son professeur particulier[243]. Durant un an, Hergé apprend, sous la tutelle de Van Lint, et 37 toiles en sortiront, influencées par son professeur, mais aussi par Miro, Poliakoff, Devan ou Klee. Toutefois, Hergé en restera là, ayant senti qu'il ne pouvait plus avancer, qu'il ne pouvait s'exprimer dans cette voie. Ces toiles ont néanmoins atteint une cote élevée, due à l'attraction exercée sur les collectionneurs par tout ce qui concerne Hergé, mais aussi pour leur qualité intrinsèque[244].
Totor (1926)
Totor ou Totor, CP (Chef de Patrouille) des Hannetons, est un héros de bande dessinée créé par Hergé pour le journal Le Boy-Scout belge, en 1926. C'est un chef scout très débrouillard, qui apparaît pour la première fois dans Les extraordinaires aventures de Totor, CP des Hannetons. Dessiné par Hergé à ses débuts, ce personnage est graphiquement très approximatif, et ne durera pas très longtemps, bientôt remplacé par Tintin. On peut ainsi considérer Totor comme l'ancêtre de ce dernier, à la fois graphiquement et historiquement.
Les Aventures de Tintin (1929)
La série est publiée pour la première fois le dans Le Petit Vingtième, supplément pour enfants du journal belge Le Vingtième Siècle. La série est également publiée assez rapidement dans Cœurs vaillants à partir du . Les Aventures de Tintin se déroulent dans un univers reproduisant minutieusement le nôtre, fourmillant de personnages aux traits de caractère bien définis. Cette série est plébiscitée depuis plus de 70 ans par les lecteurs et les critiques.
Le héros de la série est le personnage éponyme Tintin, un jeune reporter et globe-trotter belge. Il est accompagné durant ses aventures par Milou, son fidèle chien. Au fil des Aventures, plusieurs figures récurrentes sont apparues comme le Capitaine Haddock — au point de devenir incontournable — les détectives incompétents Dupond et Dupont, ou encore le professeur Tournesol. Hergé lui-même apparaît dans chacun de ses albums, en tant que personnage secondaire. Cette série à succès, publiée sous la forme d'albums (24 au total, dont un inachevé), est à l'origine d'un magazine à grand tirage (Le Journal de Tintin), et a été adaptée à la fois au cinéma et au théâtre. Les Aventures de Tintin ont été traduites dans environ cinquante langues et vendues à plus de 200 millions d'exemplaires.
Quick et Flupke (1930)
Quick et Flupke est une série d'albums de bande dessinée créée par Hergé. Les séries sont publiées dans les pages du journal Le Petit Vingtième à partir du . Les deux héros sont des enfants des rues de Bruxelles, et sont nommés Quick et Flupke (« Petit Philippe » en brabançon). Les deux garçons causent de sérieux problèmes par accident, ce qui leur amène des ennuis avec leurs parents et la police, en particulier l'Agent 15. Ils aiment fabriquer toutes sortes d'engins aussi inutiles que dangereux comme des avions à roulettes ou des planeurs.
Après la Seconde Guerre mondiale, les planches sont regroupées par séries. Les deux premières sont éditées en , la onzième et dernière série en . Six recueils des mêmes histoires sont ensuite tirés sous le nom Les exploits de Quick et Flupke de 1975 à 1982.
Le Triomphe de l'Aigle Rouge (1930)
Le Triomphe de l'Aigle Rouge est une histoire de Far-West parue en 1930 dans 5 numéros de Cœurs vaillants Les illustrations sont signées Hergé ; le texte a priori également. Elle raconte les aventures de Tim Cobalt et chacun des 5 épisodes est accompagné de une à deux grandes illustrations (12x14 cm).
Popol et Virginie au pays des Lapinos (1934)
Popol et Virginie au pays des Lapinos est un album à part dans l'œuvre d'Hergé, c'est le résultat d'une longue chaîne de transformations. La première mouture de cette histoire est publiée sous le titre Tim l'écureuil au Far West dans un petit journal de quatre pages distribué à l'automne 1931 dans le grand magasin bruxellois L'Innovation. Deux ans plus tard, Les Aventures de Tom et Millie sont publiées dans Pim et Pom, encart jeunesse de Pim - Vie heureuse, le supplément hebdomadaire du journal belge La Meuse. Ensuite en 1934 Les Aventures de Popol et Virginie au Far West sont publiées dans Le Petit Vingtième, avant de finalement reparaître en 1948 dans l'hebdomadaire Le Journal de Tintin sous le titre que nous connaissons aujourd'hui[245].
Jo, Zette et Jocko (1936)
La série Jo, Zette et Jocko est créée en 1936 pour le journal français Cœurs vaillants. Les éditeurs de ce journal catholique, un peu réservés devant le personnage de Tintin, auraient demandé à Hergé de créer de nouveaux héros, avec une famille. 1re planche de Le Rayon du mystère ou Les Aventures de Jo, Zette et Jocko dans le no 3 de Cœurs vaillants du . Publié ensuite dans Le Petit Vingtième, à partir d'.
Les protagonistes sont un frère et une sœur, Jo et Zette, âgés d'une douzaine d'années, et leur singe Jocko. Ils vivent en famille avec leur mère et leur père, l'ingénieur Legrand. Jocko est un chimpanzé apprivoisé, qui les accompagne librement. Très intelligent, il lui arrive de soliloquer, sans pour autant parler aux humains, à la manière de Milou. La particularité des aventures de Jo et Zette Legrand réside dans le fait que l'action se déroule dans le cadre d'une vraie famille avec des personnages ayant un prénom et un nom. On est donc, de ce point de vue, loin de Tintin (du même auteur) qui, lui, n'a pas de parents connus. Si Jo et Zette vivent des aventures peu ordinaires, leur vie de famille reste un thème central dans la série : l'intervention de leurs parents, ou d'autres adultes, est souvent nécessaire pour les aider à échapper aux dangers qui les menacent. Ceci fait d'eux des personnages relativement réalistes, et proches de leurs lecteurs.
Distinctions et décorations
En 1971, il reçoit le prix Adamson du meilleur auteur international, en 1972 le prix Yellow-Kid « Une vie consacrée au cartoon » , en 1973 le grand prix Saint-Michel et le un « Mickey d'honneur » remis par la Walt Disney Company, pour l'ensemble de son œuvre[246].
Après sa mort, il est introduit au Temple de la renommée Jack Kirby (en 1999) et au Temple de la renommée Will Eisner (en 2003).
Hommages
- Un astéroïde de la ceinture principale, découvert le porte son nom : le (1652) Hergé.
- L’avenue Hergé à Bruxelles, créée en 2003[247] dans le cadre du projet des Jardins de la Couronne, un ensemble d'habitations et de bureaux construit la même année sur une partie du terrain jadis occupé par l'hôpital militaire d'Ixelles[248].
Bibliographie
Œuvre d'Hergé
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- Archives Hergé 2. Les exploits de Quick et Flupke, Tournai, Casterman, 1978 (ISBN 978-90-303-2997-8).
- Archives Hergé 3. Les Cigares du pharaon (1932), Le Lotus bleu (1934) et L'Oreille cassée (1935), Tournai, Casterman, 1978 (ISBN 978-2-203-00503-7).
- Archives Hergé 4. L'Île Noire (1937), Le Sceptre d'Ottokar (1938), Le Crabe aux pinces d'or (1940), Tournai, Casterman, 1978, (ISBN 978-2-203-00504-4).
- Les Aventures de Jo, Zette et Jocko, Tournai, Casterman, 2008 (ISBN 978-2-203-01611-8).
- Popol et Virginie au pays des Lapinos, Tournai, Casterman, 2008 (ISBN 978-2-203-01449-7).
- Tout Tintin, l'intégrale des aventures de Tintin, Tournai, Casterman, 2008 (ISBN 978-2-203-01928-7).
- Tintin et l'Alph-art, Tournai, Casterman, 2004, (ISBN 978-2-203-00132-9).
Ouvrages
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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Revues
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Filmographie et documentaires
Adaptation
- Les Aventures de Tintin, d'après Hergé, 102 épisodes par dessin animé de Ray Goossens pour Belvision, 1959-1964.
- Tintin et le Mystère de La Toison d'or , film de Jean-Jacques Vierne, 1961.
- L'Affaire Tournesol, film de Ray Goossens pour Belvision, 1964.
- Tintin et les Oranges bleues, film de Philippe Condroyer, 1964.
- Tintin et le Temple du Soleil, film de Raymond Leblanc pour Belvision, 1969.
- Tintin et le Lac aux requins, film de Raymond Leblanc pour Belvision, 1972.
- Les Exploits de Quick et Flupke, adaptation par Johan De Moor, 1984-1985.
- Les Aventures de Tintin, 39 épisodes en adaptation par Stéphane Bernasconi, 1991-1992.
- Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, Film 3D de Steven Spielberg, 2011
Documentaire et Rencontre télévisée
- Premier Plan - Hergé animé par Judith Jasmin (1962)
- Apostrophes, de Bernard Pivot :'Quand les arts s'invitent en littérature'(197-)
- Moi, Tintin, d'Henri Roanne et Gérard Valet, 1976.
- Tintin et moi, de Anders Østergaard, Production Angels, 2003.
- Hergé, Les Aventures de Tintin, Court-métrage d'Olivier Boillot, 2004.
- Hergé à l'ombre de Tintin, Documentaire d'Hugues Nancy, 2016
Rétrospectives
- Hergé, centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, organisée par le CNAC en collaboration avec le musée Hergé, 2006.
- Hergé, galeries nationales du Grand Palais, organisée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais en collaboration avec le musée Hergé, 2016.
Notes et références
Notes
- ↑ prononcer /ʁə.mi/, comme dans « demi ».
- ↑ Devenu aujourd'hui le no 33 rue Philippe Baucq à Etterbeek.
- ↑ L'un des biographes d'Hergé, Benoît Peeters, affirme que Léonie Dewigne entre au service de la comtesse en 1888. Voir Peeters 2011, p. 23.
- ↑ Serge Tisseron voit dans la création des jumeaux Dupont et Dupond (orthographe différente) le reflet du mystère entourant la généalogie de son père et de son oncle[10],[11].
- ↑ Benoît Peeters appuie cette thèse de plusieurs sources familiales, mais reconnaît « qu'en l'absence de documents ou de témoignages directs, la prudence doit rester de mise ». Il estime cependant que le refoulement d'un tel traumatisme expliquerait le sentiment de dégoût qu'Hergé attribuait à son enfance, de même que le caractère asexué et antifamilial de son œuvre. Voir Peeters 2011, p. 44-45.
- ↑ Le Jamais Assez est créé par l'abbé Helsen le 8 février 1921, c'est au départ un bimensuel de quatre pages dont l'en-tête est réalisé par le dessinateur Pierre Ickx. On possède des croquis des camps, de personnes qu'il rencontre sur place, de paysages alpestres signés Georges Remi. Voir Peeters 1987, p. 12-17.
- ↑ On fête en 1927 le cinquantième anniversaire de la découverte du Congo par Stanley à l'occasion d'un raid aérien Belgique-Congo par Edmond Thieffry. Cette histoire ressemble étrangement au cadre de Tintin au Congo réalisé deux ans plus tard.
- ↑ Le héros de ce récit dépose une assiette auprès du poêle en espérant que le Père Noël n'oublie pas d'apporter du pain d'épices. Son chien découvre plus tard le cadeau attendu en s'exclamant contrapétiquement « Joie ! Une pisse d'epain ! ». Après l'avoir mangé, il éprouve un besoin pressant, et ne pouvant faire sur le tapis, se soulage dans l'assiette. Son maître découvre au matin, stupéfait, « le crime du chien ». On remarquera que le personnage de cette histoire ressemble étrangement à Totor et au futur Tintin, la houppe en moins, et que le chien est un fox-terrier blanc semblable à ce que sera Milou. L'auteur cachera autant qu'il le pourra l'existence de ces récits politiquement incorrects qui ne seront exhumés qu'en 1994[49],[50]
- ↑ Selon de nombreux spécialistes, il est ainsi nommé en référence à Marie-Louise van Cutsem, l'amour de jeunesse du dessinateur, dont c'était le surnom.
- ↑ Seul Quick apparaît dans ce premier gag, de même que sur la couverture. Flupke n'apparaît que trois semaines plus tard. Voir Peeters 2011, p. 95.
- ↑ Paul Jamin sera plus tard connu en tant que caricaturiste du journal satirique bruxellois Pan sous le pseudonyme d'Alidor.
- ↑ En chinois, Tin signifie « courageux » et Mi-lou « celui qui a perdu son chemin ». Goddin 2007, p. 190 et 207.
- ↑ Le nom de Müssler rappelle aussi celui d'Anton Mussert, chef d'une organisation fasciste puis nazie aux Pays-Bas qui voulait justement mettre la main sur la Belgique.
- ↑ Planches 78 et 79 du 6 avril 1939 dans le Petit Vingtième, Planches du 6 avril 1939.
- ↑ Le néerlandais est la seconde langue dans laquelle Les Aventures de Tintin sont traduites après le portugais quatre ans auparavant. Quelques semaines plus tard, Het Algemeen Nieuws proposera la version néerlandophone de Quick et Flupke. Goddin 2007, p. 264 et 270
- ↑ Selon Philippe Godin, ce nom est inspiré par le titre d'un film franco-allemand, le capitaine Craddock de Hanns Schwarz et Max de Vaucorbeil (1931) P. Goddin, op. cit., p. 272.
- ↑ Le Secret de La Licorne était considéré par son auteur comme l'un de ses albums préférés. Peeters 1983, p. 73-74
- ↑ Le pirate Rackham le Rouge est quant à lui inspiré à la fois de John Rackham, un corsaire des Antilles mort en 1720, et d'un pirate haïtien fictif nommé Lerouge. « Une galerie de portraits tout à fait ressemblants », Géo hors-série, 2000, p. 36.
- ↑ Moulinsart est un lieu inventé par Hergé à partir d'un véritable village brabançon nommé Sart-Moulin. Goddin 2007, p. 292.
- ↑ Parmi les sept actionnaires il y a Alexis Remi, la mère de Germaine Kieckens, Marcel Dehaye et Hergé lui-même. Goddin 2007, p. 484
- ↑ Hergé avait rencontré Maurice Herzog, vainqueur de l'Annapurna, témoin de traces mystérieuses dans la neige.
- ↑ Apparition régulière dans la revue O Papagaio.
- ↑ Apparition régulière dans le quotidien flamand Laatste Nieuws à l'automne 1940.
- ↑ Écrivain belge contemporain d'Hergé, particulièrement raciste au travers de ses ouvrages comme Le Cercle de la soif (1927) ou Le Sous-Marin dans la forêt (1928) dans lesquels il compara les « nègres » à des singes. Paradoxalement, André Gide était particulièrement ébloui par l'auteur.
- ↑ Dans la version couleur de 1946, l'avion devient un Messerschmitt Bf 109
- ↑ André Gide (Voyage au Congo, 1927) et Albert Londres (Terre d'ébène, 1930) remirent en cause le système colonial avant l'époque de Tintin au Congo. P. Assouline (1996), op. cit., p. 53.
- ↑ Après la Première Guerre mondiale, sa mère l'emmenait au cinéma voir les films de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton. P. Assouline (1996), op. cit., p. 21.
- ↑ La première fait référence à la case où sont représentés dans le désert une colonne de Touareg qui, affolés par les injures du capitaine Haddock, se lèvent les uns après les autres et s'enfuient. La seconde fait référence à l'échouage de la barque sur l'île déserte : Haddock en avant, Tintin et les Dupondt en arrière (triangle parfait). N. Sadoul (2003), op. cit.
Références
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- ↑ L'avenue Hergé - 1050 Ixelles, sur Ebru.be
- ↑ Avenue Hergé, sur Reflexcity.net
Voir aussi
Articles connexes
- Tintin, présentation de la série
- La ligne claire
- Musée Hergé à Louvain-la-Neuve (Belgique)
Vidéos en ligne
- Interview d'Hergé (Radio-Canada, 1960)
- Le secret du succès de Tintin par Hergé (TSR, 1960)
- Tintin et son père (1960)
- Hergé sur Tintin, le plagiat et les décors (1978)
- Hergé chez Bernard Pivot (1979)
- Mort d'Hergé (1983)
- Hergé et le secret de la ligne claire
- Hergé sur la politique dans Tintin et les Picaros (1971)
Liens externes
- « Hergé », sur le site officiel de Tintin
- Site du Musée Hergé
- Axel Gryspeerdt, « Georges Remi, dessinateur de Laszlo Carreidas et amateur de répliques », sur le site de la Fondation Collectiana, 2012.
- Philippe Garbit, « Hergé sur la création de Tintin : "Sans réfléchir, j’ai fait un rond et j’ai mis un petit accent pour la mèche" » [audio], émission Les Nuits de France Culture (54 min), France Culture.fr ; entretien enregistré en 1979 avec Michèle Cédric sur la RTB, 29 octobre 2016 (première diffusion le 21 juillet 1993).
- Jean-Noël Jeanneney, « Pérennité d'Hergé : Tintin immortel ? » [audio], émission Concordance des temps (58 min), France Culture.fr ; entretien avec Pierre Assouline, 12 novembre 2022 (première diffusion le 31 janvier 2009).
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