大日本帝國
Dai Nippon Teikoku
Drapeau de l'empire du Japon (A partir de 1870) |
Emblème |
En vert foncé : territoire japonais (–).
En vert : acquisitions (–).
En vert clair : occupation et États satellites (–).
Statut |
Monarchie absolue de droit divin (–) Monarchie constitutionnelle de droit divin (–) Empire militariste et expansionniste (–) |
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Texte fondamental | Constitution de 1889 |
Capitale |
Kyoto (–) Tokyo (à partir de 1869) |
Langue(s) | Japonais |
Religion | Shintoïsme |
Monnaie | Yen [I 1] |
Population (c. 1935) | 97 770 000 |
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Densité (c. 1935) | 144,8 hab./km2 |
Superficie (c. 1935) | 675 000 km2 |
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Restauration Meiji | |
Abolition du système han | |
1re Constitution | |
– | Première guerre sino-japonaise |
– | Guerre russo-japonaise |
– | Seconde guerre sino-japonaise |
– | Guerre du Pacifique (Seconde Guerre mondiale) |
Capitulation | |
Entrée en vigueur d'une nouvelle constitution. Fin officielle de l'empire du Japon. |
– | Meiji |
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– | Taishō |
– | Shōwa |
Chambre haute | Chambre des pairs |
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Chambre basse | Chambre des représentants |
Entités précédentes :
Entités suivantes :
- ↑ Le yen coréen était officiel en Corée depuis 1910 et le yen taïwanais à Taïwan depuis 1896.
L'empire du Japon (en japonais 大日本帝國 (kyūjitai) / 大日本帝国 (shinjitai), prononcé Dai Nippon Teikoku, littéralement « empire du Grand Japon ») est le régime politique du Japon durant la période allant de l'ère Meiji à l'ère Shōwa et englobant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale.
Après deux siècles et demi de shogunat, le Japon connaît une réorganisation politique et adopte sa première constitution en 1889. Le pays se caractérise également par une forte politique expansionniste et impérialiste, qui culmine durant la première partie de l'ère Shōwa et la participation du pays au second conflit mondial aux côtés des puissances de l'Axe.
Par la réalisation du hakkō ichiu, un concept lié au kokka shinto et pouvant se traduire par « la réunion des huit coins du monde sous un même toit », l'empereur Hirohito devient un symbole de l'empire colonial du Japon.
Après la défaite du Japon en 1945 et l'adoption en 1947 de la nouvelle Constitution, le pays est désigné officiellement sous le nom de Nippon ou Nihon, et parfois Nippon-koku ou Nihon-koku (日本国, soit littéralement l’État du Japon) tout en conservant la monarchie en devenant une monarchie constitutionnelle.
Histoire politique
Crises du régime shogunal à la fin de l'ère Edo
Lors de ses trente dernières années d'existence, le shogunat Tokugawa qui dirige le Japon depuis 1603 est confronté à trois séries de crises de différentes natures qui ébranlent ses fondations. La première période est déclenchée par la grande famine Tenpō qui frappe le pays de 1833 à 1837. Aux centaines de milliers de morts enregistrés dans le pays[1] s'ajoute la rébellion de Ōshio Heihachirō en 1837 qui vise à débarrasser le pays des fonctionnaires corrompus, accusés d'avoir aggravé la crise par leur cupidité[2]. Les autorités shogunales promeuvent alors Mizuno Tadakuni qui engage les réformes Tenpō pour répondre au mécontentent de la population[3]. Celles-ci sont un échec, et provoquent au contraire une perte de confiance envers le régime. Dans le même temps, de grands seigneurs locaux tirent leurs épingles du jeu en modernisant efficacement leurs fiefs, notamment les domaines de Satsuma et de Chōshū qui disposent de petites armées équipées d'armes modernes[4].
Une seconde période de crises s'ouvre lors des années 1840 et 1850, dominée par les questions internationales. La défaite de la Chine en 1842, puissance dominante du continent, face au Royaume-Uni lors de la première guerre de l'opium fait prendre conscience aux différentes élites du pays de la menace que représente la puissance des Occidentaux pour le pays[1]. La menace se concrétise en 1853 lorsque l'amiral américain Matthew Perry et ses « navires noirs » arrivent dans la baie d'Edo et réclament l'ouverture de relations diplomatiques et commerciales avec le pays[5]. Des lignes de fractures apparaissent sur la réponse à donner à ces demandes entre les responsables du Shogunat, les grands seigneurs, et la cour impériale, ce qui affaiblit le pouvoir shogunal[6]. Un traité d'amitié est finalement signé en 1854 avec les Américains, puis un traité commercial avec les puissances européennes est signé en 1858[7]. Si la menace militaire occidentale ne se matérialise pas lors de la période[n 1], l'ouverture du marché intérieur aux Occidentaux est à l'origine de plusieurs crises politiques et économiques, alors qu'une inflation galopante frappe le pays[8].
La troisième et dernière période de crises agite les dix dernières années du régime. À la fois économiques, politiques et sociales, elles provoquent la chute du régime[1]. Les responsables du shogunat Tokugawa se divisent entre deux branches, l'une conservatrice dirigée par Ii Naosuke, et l'autre réformiste. Cette dernière branche est frappée par la purge d'Ansei en 1858-1859 avant que l'aile conservatrice ne soit elle aussi victime de l'assassinat de son dirigeant Ii Naosuke lors de l'incident de Sakuradamon en 1860[9]. Les samouraïs issus des couches les plus défavorisées émergent en 1860-1862 comme une force d'opposition politique importante au pouvoir shogunal. En 1867, un courant d'agitation populaire et festif, le Ee ja nai ka (en), réunit cinq à six millions de personnes dans le pays. Le rapport de force entre le shogunat Tokugawa et la maison impériale s'inverse lors de la décennie. L'empereur apparait de plus en plus comme le plus apte à assurer le salut du pays[10]. La mort du shogun Tokugawa Iemochi en 1866 et celle de l'empereur Kōmei en 1867 précipitent la transition politique. Le nouveau shogun Tokugawa Yoshinobu décide de « restituer ses pouvoirs » au nouvel empereur Meiji en . La transition ne se fait pas sans heurts, et les forces des domaines de Satsuma et de Chōshū favorables à l'empereur affrontent les dernières forces shogunales lors de la guerre de Boshin en 1868-1869[11].
Premières réformes du régime (1868-1873)
La première déclaration de l'empereur en 1868 présente une loi fondamentale, le Serment en cinq articles, prélude à une constitution, gage de liberté d'expression, et indique qu'une lutte contre la hausse des prix va être entreprise. Une coalition instable est alors au pouvoir, composée du parti anti-shogunal et centrée sur les leaders du domaine de Satsuma et les nobles de la cour[12]. Le nouveau gouvernement rend aux Tokugawa leur fief amputé cependant des quatre cinquièmes de son revenu et le début de l'ère Meiji est proclamé en . Un conseil honorifique est le premier organe de gouvernement de ce nouveau régime, et celui-ci prend encore en compte les équilibres entre domaines ayant participé au renversement de l'ancien régime et la noblesse de cour[13].
Plusieurs changements d'organisation ont lieu lors des mois suivants, ce qui permet à des personnalités comme Ōkubo Toshimichi, Kido Takayoshi et Iwakura Tomomi d'émerger. Du au 26 décembre sont publiées 34 ordonnances importantes, allant de la suppression des monnaies locales jusqu'à l'interdiction de certains châtiments corporels[14]. Une réforme territoriale remplaçant les anciens domaines par des préfectures est menée à bien au deuxième semestre 1869[15], avec comme conséquence principale une plus grande centralisation de l'État. Un impôt foncier est introduit en 1873 pour garantir une recette publique stable. De 1868 à 1875, de grandes réformes, d'inspiration occidentale et touchant l'éducation, l'armée et le système juridique, sont entreprises, et des experts étrangers sont engagés[16].
Fin 1871, Ōkubo, Kido et Iwakura laissent leur place à la tête du gouvernement pour prendre la direction de la mission Iwakura, mission diplomatique qui doit traverser les États-Unis et l'Europe pour renégocier les traités inégaux, mais aussi s'informer sur les sociétés et technologies occidentales. Ils laissent derrière eux un gouvernement qui doit en théorie se limiter à la gestion des affaires courantes et se tenir à l'écart de décisions politiques trop critiques. Saigō Takamori, Itagaki Taisuke, Ōkuma Shigenobu et Etō Shinpei, qui dirigent ce gouvernement d'intérim, se lancent au contraire dans de grandes réformes : en 1872, la scolarité est rendue obligatoire au primaire, toute forme de trafique d'être humains (travailleurs, prostitués...) est interdit, le calendrier grégorien est adopté, et l'année suivante une nouvelle taxe foncière ainsi que la conscription sont instituées[17]. Dans le même temps, les membres de la mission Iwakura acquièrent au cours de leurs voyages la conviction que le Japon doit se lancer dans une modernisation radicale, pilotée par un État fort, et mise en œuvre de manière progressive. Si les réformes de ce gouvernement d'intérim ne sont pas remises en cause lors du retour de la mission Iwakura, les deux camps vont avoir l'occasion de s'opposer au sujet du Seikanron, projet d'invasion de la Corée en 1873. L'empereur prend le parti d'Iwakura, et repousse le projet[18].
Les soutiens de l'invasion de la Corée mis en minorité, comme Etō Shinpei, Gotō Shōjirō, Saigō Takamori, quittent le gouvernement. Certains comme Etō prennent la tête de rébellions locales (rébellion de Saga en 1874 pour Etō, rébellion Shinpūren en 1876...). Saigō en particulier prend la tête de la rébellion de Satsuma en 1877, dernière grande révolte de samouraïs dont la répression achève d'assoir la légitimité du nouvel État[19].
Atermoiements sur la forme du régime (1873-1890)
L'adoption d'une constitution fait partie des premières promesses faites par le régime, déjà présente dans la Charte du serment de 1868. Celle-ci devient un symbole politique d'entrée dans un nouveau rang civilisationnel. Dès le début des années 1870, des ébauches sont rédigées par le pouvoir, mais ces projets restent sans suite. Dans le même temps, les intellectuels s'emparent du sujet ; celui-ci est très largement discuté dans la presse qui touche alors des millions de lecteurs, et la conférence d'Osaka de 1875 réunit plusieurs responsables d'opposition pour discuter du sujet. Un décret de 1875 réaffirme la promesse d'adoption de constitution, mais sans précision de date ou de délais. En 1881, l'accumulation de crises politiques (dont l'affaire du bureau de colonisation de Hokkaidō cette année-là) cristallise le mécontentement de la population. Pour apaiser les oppositions, le pouvoir décide par décret de la mise en place d'une constitution et d'un parlement dans les dix ans[20].
Les débats s'articulent autour de deux grandes tendances. D'un côté, les personnes à la tête du régime comme Ōkubo (puis Itō Hirobumi) sont favorables à un État autoritaire et fort, mieux à même selon eux de faire aboutir les politiques nécessaires à la modernisation du Japon. Face à eux, les tenants d'une ligne libérale sont favorables à un plus grand droit laissé au peuple, garant d'une plus grande légitimité pour le régime. Cette dernière ligne est défendue par des responsables politiques comme Itagaki ou Ōkuma, et rassemble de nombreux membres au sein du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple[21], puis au sein des partis Rikken Kaishintō et Jiyūtō[22]. Si ces mouvements gagnent rapidement en popularité, et que le gouvernement peine à les contenir, ils sont aussi gagnés par une certaine radicalité. 1884-1885 marque un pic de violence avec des évènements comme les incidents de Chichibu et d'Ōsaka (ja) qui entrainent l'intervention de l'armée. Les plus modérés vont quitter ces partis, qui dès lors perdent en influence[23]. Toujours en 1885, le gouvernement japonais est très largement critiqué par la population pour son manque d'autorité à l'international lors du coup d'État de Gapsin en Corée, lors duquel les intérêts du Japon sont menacés face à ceux de la Chine[24].
Le régime s'oriente alors vers une monarchie laissant le pouvoir suprême à l'empereur[25]. Les institutions qui régissent l'État, modelées sur le régime des codes, sont réformées en 1885 et un système de cabinets ministériels à l'européenne est adopté. À sa tête est placé le cabinet du Premier ministre. Le système des kazoku et des shizoku est réformé de manière à préparer l'instauration d'une chambre haute dont les membres proviendraient d'une aristocratie cooptée[26]. Si les débats s'articulent autour de deux modèles de constitutions européennes, l'une britannique et libérale, et l'autre prussienne et autoritaire, le projet développé reflète le rapport de force entre les soutiens de ces deux modèles. La constitution retenue énumère un certain nombre de droits civils et dote le parlement de deux chambres, dont l'une est élue au suffrage direct et est autorisée à écrire et rédiger des lois, ainsi que de voter le budget. Cependant, c'est à l'empereur que le gouvernement et l'armée répondent[27].
C'est le qu'une constitution est effectivement adoptée et fixe la répartition des pouvoirs[28]. La date est choisie pour correspondre à la date anniversaire de la fondation mythologique du Japon par le premier empereur Jinmu et est présentée comme un cadeau accordé par l'empereur à ses sujets[29].
- Ōkubo Toshimichi, issu du domaine de Satsuma, homme fort des débuts du régime.
- Itō Hirobumi, issu du domaine de Chōshū, supervise la rédaction de la constitution vers le modèle prussien.
- Promulgation de la constitution par l'empereur le .
- Itagaki Taisuke, chef de file du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple puis du Jiyūtō.
- Ōkuma Shigenobu, chef de file du Rikken Kaishintō.
Débuts du parlementarisme japonais (1890 - 1900)
Les premières élections législatives de l'histoire du pays se tiennent en juillet 1890, et placent le Jiyūtō et le Rikken Kaishintō en tête de la représentation nationale, rassemblant à eux deux 170 des 300 sièges de la chambre des représentants[30]. Ces deux partis se placent dans l'opposition aux soutiens de l'oligarchie qui tient toujours le pouvoir dans la chambre des pairs et qui décide de la composition du gouvernement. La puissance réelle du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō est cependant amoindrie par la faiblesse de leurs bases électorales. Du fait de suffrage censitaire, seul 1 % des Japonais dispose du droit de vote lors de cette première élection, ce qui amoindrit la légitimité de ces partis, alors que d'autres mouvements de masses existent mais se retrouvent exclus de la représentation démocratique en raison du suffrage censitaire[31].
Les premiers gouvernements formés par l'oligarchie continuent de relever du rapport de forces déjà présent au sein du pouvoir. Les représentants des clans de Satsuma (Matsukata Masayoshi...) et de Chōshū (Yamagata Aritomo, Itō Hirobumi...) se repartissent les postes avec une grande régularité[32]. La chambre des représentants s'oppose régulièrement à ces gouvernements, nommés par l'empereur, dans le but d'obtenir plus de pouvoir pour leur assemblée. L'obstruction passe notamment par le refus de vote du budget tel que présenté par le gouvernement plusieurs années de suite, aspect sur lequel la chambre des représentants dispose de prérogatives[30]. Le gouvernement dispose lui du droit de dissoudre la chambre des représentants, ce qu'il fait à plusieurs reprises, mais sans parvenir à faire évoluer le rapport de force. Les mêmes personnes sont réélues élection après élection, et la composition de la chambre des représentants évoluent peu[33]. Le manque d'assise du gouvernent au sein des assemblées le rend faible et instable, sa composition ouverte aux évolutions des rapports de force au sein de l'oligarchie[34].
Le déclenchement de la guerre sino-japonaise en Corée en 1894 suspend provisoirement l'opposition de la chambre des représentants au gouvernement, dans une forme d'union sacrée autour de la figure de l'empereur. En , la contestation par les puissances occidentales de certains points du traité de Shimonoseki mettant fin à la guerre contre la Chine favorise les échanges entre membres de l'oligarchie et responsables de partis de la chambre des représentants[30]. Au sein de l'oligarchie se manifeste une prise de conscience que sans les partis de la chambre des représentants aucune stabilité institutionnelle n'est possible, et au sein des partis de la chambre des représentants c'est la prise de conscience que sans accès au gouvernement aucun accès au pouvoir n'est réalisable. Les deux camps commencent ainsi à passer des alliances ponctuelles de manière à pouvoir étendre respectivement leurs zones de pouvoir[35].
Le premier gouvernement reposant sur une alliance entre oligarchie et un parti de la chambre des représentants est instauré en . Le Premier ministre Itō Hirobumi intègre alors le président du Jiyūtō, Itagaki Taisuke, comme ministre de l'Intérieur en . La recherche d'alliances entre oligarchie et partis de la chambre des représentants est renouvelée quatre fois entre 1895 et 1900, et aboutit à la formation de trois gouvernements de ce type[36]. Un premier gouvernement reposant exclusivement sur une alliance des partis de la chambre des représentants voit le jour en 1898. Le Kenseitō, parti issu de la fusion du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō, soutient la formation d'un gouvernement avec Ōkuma Shigenobu à sa tête comme Premier ministre. Si le gouvernement ne tient que quatre mois, il inaugure la pratique des gouvernements reposant sur des partis de la chambre des représentants[37].
Le collège électoral de la chambre des représentants connait une évolution importante en 1900. Le seuil de taxes permettant d'être électeur est abaissé, et le nombre d'électeurs passe ainsi de 502 000 en 1898 à 982 000 en 1900. Les circonscriptions électorales sont aussi modifiées et favorisent la population urbaine au détriment des territoires ruraux[38]. Les rapports entre haute-administration et élus sont régulés par une série de décrets autour de 1900. Les hauts fonctionnaires n'ont plus accès aux postes de vice-ministres, et le poste de ministre de la Guerre est limité aux militaires encore actifs les plus gradés. Le système des dépouilles et le pantouflage sont combattus, et le recrutement par concours de la fonction publique est renforcé[39].
- Première législature de la Diète après les élections de 1890.
- Bâtiment utilisé par la Diète de 1891 à 1925.
Ancrage de la pratique parlementaire (1900-1924)
Une recomposition politique des partis politiques s'amorce en 1900 lorsque Itō Hirobumi et Hoshi Tōru se rapprochent pour fonder le parti Rikken Seiyūkai, unissant à la fois des anciens membres de la chambre des représentants issus du Kenseitō et des membres de la chambre des pairs de différentes tendances. Ce nouveau parti domine la politique japonaise lors des deux décennies suivantes[40]. Si ce nouveau parti est majoritaire à la chambre des représentants lors de cette période, il doit y composer avec l'opposition de partis plus faibles comme le Kensei Hontō (en). Ces derniers partis peuvent eux compter sur une alliance avec la faction menée par Yamagata Aritomo à la chambre des pairs où elle domine. Ce rapport de force entre ces deux groupes perdurent jusqu'à la fin de l'ère Meiji en 1912[41] Ce fonctionnement gouvernemental et parlementaire s'ancre dans la pratique politique japonaise et, lors de la décennie suivante, de 1901 à 1913, Katsura Tarō et Saionji Kinmochi occupent de façon alternée le poste de Premier ministre pour le compte de ces deux familles politiques[42].
En 1913, un an après le décès de l'empereur Meiji, la crise politique Taishō met fin à cette répartition du pouvoir et ouvre l'époque de la démocratie Taishō[42]. Suite à un conflit avec les dirigeants militaires, le premier ministre Saionji Kinmochi est contraint de démissionner. Il souhaite alors baisser les dépenses de l'armée pour faire baisser les impôts, mais se heurte au refus des militaires de participer au gouvernement[n 2]. C'est Katsura Tarō, un ancien militaire et membre de l'oligarchie, qui lui succède. Il prend la décision de maintenir le budget de l'armée, et prend appuis sur des personnalités de l'oligarchie et proches des anciens clans Satsuma et Chōshū. Katsura doit alors faire face à un mouvement d'opposition mené par des députés d'oppositions. Efficacement relayé par des journalistes issus de l'université Keiō, cette opposition rencontre un échos important dans l'opinion publique, ce qui entraine des émeutes, et des journaux pro-Katsura sont pris pour cibles et mis à sac[43]. L'armée doit reculer, et accepte de participer à un gouvernement sans avoir de garantie sur son budget[44].
Après la crise politique Taishō de 1913 commence une période d'une quinzaine d'années pendant laquelle se renouvelle la culture parlementaire, avec à la clef une ouverture démocratique. La montée en puissance des classes moyennes et du milieu ouvrier favorise l'éclosion de discours critiques sur l'autoritarisme de l'État[44]. De 1900 à 1920, s'opère un recul des factions politiques liées aux anciens clans du Sud-Ouest, à la bureaucratie et aux hauts fonctionnaires. Cet affaiblissement profite aux diplômés de plusieurs universités qui s'imposent dans certains secteurs : la haute fonction publique, la magistrature, et les banques accueillent ceux de l'université impériale de Tokyo, le monde de la presse et celui des affaires ceux de l'université Waseda, et la médecine ceux de l'université Keiō[43]. Une presse libérale s'épanouit et exprime une certaine sympathie envers les revendications chinoises et coréennes lorsque ces pays subissent la répression de l'armée japonaise[45].
La fin des années 1910 sont marquées par plusieurs vagues d'agitations qui vont marquer le régime. Des émeutes du riz éclatent en 1918 qui provoquent la chute du premier ministre Terauchi Masatake[44]. Hara Takashi qui lui succède organise le premier gouvernement duquel ne sont plus présent des représentants de l'oligarchie. Il pousse plusieurs réformes pour faire baisser l'influence de ce groupe, comme le retrait de la gestion des colonies par les militaires[45]. L'agitation sociales prends plusieurs formes. Un premier congrès national des syndicats se tient en , et réclame la semaine de 8 heures et le suffrage universel[44]. Un premier syndicat agricole se structure lui en 1922, et le nombre de conflit entre propriétaires terriens et exploitants agricoles se multiplient[46]. Un premier Parti communiste japonais est créé en 1922, mais est aussitôt interdit par les autorités[45]. En 1925 est votée une loi visant à stopper la montée de l'extrême gauche[47] qui compte huit élus au parlement en 1928, à l'issue de la première élection au suffrage universel. Une police politique est mise en place dans chaque préfecture, et certaines activités politiques deviennent passibles de la peine de mort[48].
L'ère des chefs de partis, instauration du bipartisme, instabilité sur les questions internationales (1924-1932)
La gestion de la reconstruction après le séisme qui ravage la région de Tōkyō en 1923 et une tentative d'attentat contre l'empereur la même année ont raison du gouvernent de Yamamoto Gonnohyōe qui démissionne en [49]. Contrairement à la pratique qui commence à s'installer, c'est à Kiyoura Keigo, chef du Conseil privé, que revient la charge de former un gouvernement. Bien que ce gouvernement comporte quelques membres de la chambre des représentants, la majorité des membres provient de la chambre des pairs. Poussé dans une confrontation avec la chambre des représentants, Kiyoura Keigo dissout l'assemblée et appelle à de nouvelles élections. Celle-ci place les représentants de la chambre des représentants en position de force, et c'est le chef du Rikken Seiyūkai, Katō Takaaki qui accède au poste de premier ministre. Dès lors, la pratique de nommer premier ministre le chef du parti dominant à la chambre des représentants s'impose, et est appliquée jusqu'en 1932[50].
Le gouvernement de Katō Takaaki fait aboutir plusieurs réformes importantes. La Loi sur les élections législatives de 1925 instaure le suffrage universel masculin, et la base électorale passe ainsi de 3,3 millions d'électeurs à 12,5 millions d'électeurs. Il doit cependant concéder une série de Lois de préservation de la paix qui durcie le contrôle politique de certains groupes politiques jugés dangereux pour le régime. Les pouvoirs de la chambre des pairs sont aussi un peu amoindris[50]. La première élection législatives organisée selon la nouvelle loi électorale a lieu en 1928. Deux partis s'imposent alors, le Rikken Seiyūkai et le Rikken Minseitō. Ceux vont s'alterner au pouvoir jusqu'en 1940, exerçant au moins en façade la direction du gouvernement[51].
Les gouvernements successifs sont confrontés à des problèmes liés à la situation internationale qui précipitent ou provoquent leurs chutes[52] : la défense des intérêts japonais en Manchourie entraine en juillet 1929 la chute du premier ministre Tanaka Giichi[53], la gestion de la crise économique de 1929 et de la renégotiation du traité naval de Londres font se liguer contre Hamaguchi Osachi une partie de la population et des mouvements nationalistes et abouti à l'attentat qui le prend pour cible en [54]. Wakatsuki Reijirō d'abord opposé à un plus grand engagement militaire en Manchourie est contraint de l'accepter et de le cautionner après un coup de force des militaires lors de l'Incident de Mukden en ; il finit par démissionner lâcher par ses ministres[55].
Les élections législatives japonaises de 1932 ne parviennent pas à enrayer la perte de légitimité des parlementaires face à l'armée. Le chef du Rikken Minseitō Wakatsuki Reijirō est nommé premier ministre, mais son gouvernement ne parvient pas à mettre fin à l'engrenage de l'intervention en Mandchourie et doit démissionner en . Le gouvernement d'Inukai Tsuyoshi du Rikken Seiyūkai qui lui succède achoppe sur le même problème[56]
- Affiche électorale incitant à aller voter lors de l'élection législative de 1928, la première organisée au suffrage universel masculin.
- Résultats de l'élection législative de 1928, le Rikken Seiyūkai et le Rikken Minseitō sont virtuellement en position de bipatisme.
- Tentative d'assassinat du premier ministre Hamaguchi Osachi en .
La politique sous la coupe des militaires (1932-1937)
La crise économique de 1929 et la montée des tensions internationales dans les années 1930 mettent le système politique basé sur les partis sous pression[47]. L'entretien d'une armée importante devient un lourd fardeau alors que la situation économique s'aggrave. La montée du communisme aux frontières du pays fait peur à la classe moyenne, et les conservateurs sont perçus comme étant trop proches des conglomérats industriels pour apparaître comme une alternative possible. L'armée a contrario continue d'être perçue comme le moyen d'une ascension sociale, et son discours impérialiste est jugé crédible par certains pour faire face aux difficultés économiques[57]. Dans ce contexte, un courant nationaliste radical, dont les tenants sont souvent issus des rangs de l'armée, fait son chemin en s'opposant au milieu politique en place, qu'il juge trop faible. Ce courant met en place une « stratégie de la tension », et plusieurs coups d'État sont perpétrés à partir de 1931. Le , une tentative de putsch conduit à l'assassinat du premier ministre Inukai Tsuyoshi. Son remplacement par un militaire, Saitō Makoto, met fin au régime des partis existant depuis 1918[58].
Les grands partis politiques que sont le Rikken Seiyūkai et le Rikken Minseitō perdent en influence au sein de la vie politique du pays à partir de 1932, et ne sont plus vus comme des lieux de passages imposés pour avoir accès au pouvoir. Les anciens militaires ou haut fonctionnaires, de même que les personnalités issues des milieux économiques sont de moins en moins nombreux à passer dans les rangs de ces partis. Au sein du Rikken Minseitō, le nombre d'anciens hauts-fonctionnaires élus à la chambre des représentants passe entre 1928 à 1936 de 41 à 27, celui des militaires passe de 4 à aucun sur la même période, et celui des personnalités liées aux milieux économiques passe de 97 à 72. Dans le même temps le nombre de candidats indépendants réussissant à se faire élire à la chambre des représentants s'accroit rapidement, passant de 4 % en 1932 à 24 % en 1937. Cette perte d'attractivités des partis politiques se mue en une perte d'influence au sein du système politique[59]. Les deux grands partis peinent à trouver une posture pertinente face aux militaires qui commencent à s'installer au poste de premier ministre. Après l'ancien amiral Saitō Makoto qui est en poste de 1932 à 1934, c'est Keisuke Okada, un autre ancien amiral, qui lui succède à ce poste de 1934 à 1936[60]. Si le Rikken Minseitō parvient à regagner la majorité à la chambre des représentants lors des législatives de 1936, son président ne parvient pas à faire aboutir sa candidature au poste de premier ministre[61].
Le pouvoir nationaliste émergeant est alors traversé par deux tendances : la faction du contrôle se compose de militaires alliés à la bureaucratie, souhaitant orienter l'État vers une économie de guerre en augmentant les dépenses militaires, et la faction de la voie impériale, plus radicale, visant à mettre fin à la domination des partis politiques et des conglomérats industriels sur le pays. Cette dernière faction est à l'origine, le , d'une nouvelle tentative de coup d'État pendant laquelle plusieurs ministres sont assassinés. La partie de l'armée restée loyale au pouvoir tire avantage de l'échec de l'opération en imposant ses vues au sommet de l'État[62]. Kōki Hirota devient premier ministre à partir de et pour , mais doit composer avec les éléments les plus engagées de l'armée[63]. Ceux-ci poussent pour une réorganisation poussée de l'État, et pour une hausse dramatique du budget de l'armée. Malgré de nombreuses intimidations et des menaces de nouvelle tentative de coup d'État, les responsables militaires ne parviennent pas à obtenir la mise en œuvre de ces politiques, ce qui pousse Kōki Hirota à la démission en [64]. L'ancien général qui lui succède, Senjūrō Hayashi parvient en jouant de modération à faire converger les intérêts des milieux économiques et des militaires. L'ancien banquier Toyotarō Yūki rentre ainsi au gouvernement comme ministre des finances puis comme gouverneur de la Banque du Japon, poste qu'il occupe jusqu'à la fin de la guerre. Les conservateurs du Rikken Minseitō perdent ainsi leurs soutiens dans les milieux financiers, alors que les militaires parviennent à obtenir la mise en œuvre de plans de développement pluri-annuels de l'armée[64]. Les élections législatives de 1937 sonne comme un désaveux pour le premier ministre Senjūrō Hayashi, avec les résultats du Rikken Seiyūkai et du Rikken Minseitō qui réaffirment leurs places comme puissances dominantes au sein de la chambre des représentants. Le prince Konoe lui succède au poste de premier ministre, et adopte une position plus modérés. Deux membres de partis politiques de la chambre basse intègre ce gouvernement qui prend la forme d'un gouvernement d'union nationale, qui compte par ailleurs de nombreux hauts-fonctionnaires, et accorde une place plus limitées au militaires[65].
- Article du journal Tokyo Asahi Shimbun sur l'incident du 15 mai 1932, qui aboutit à l'assassinat du premier ministre Inukai Tsuyoshi.
- Troupes occupant le quartier de Nagatachō, siège de nombreux ministères, lors de l'incident du 26 février 1936 lors duquel plusieurs ministres et responsables politiques sont assassinés.
- Résultats des élections législatives japonaises de 1937, le Rikken Seiyūkai comme le Rikken Minseitō parviennent à conserver leurs prééminence à la chambre basse malgré leurs marginalisation au sein des nouveaux gouvernements.
- Photo du gouvernement du prince Konoe en .
Des gouvernements de guerre (1937-1945)
La guerre qui éclate contre la Chine en surprend le gouvernement et les responsables politiques. L'escalade du conflit est rapide passant d'un incident isolé à Pékin à une invasion totale du pays en six semaines. Politiquement la guerre permet de légitimer le gouvernement. L'armée cesse pour un temps pour pousser pour des réformes plus profondes, la chambre des représentants se range derrière le gouvernement et soutiens ce qui va dans l'intérêt des troupes engagées en Chine, et la population prend plus aisement pour cible de son mécontentement la Chine que son propre gouvernent[66]. Cependant, l'enlisement du conflit va rapidement saper cet union sacré et au contraire exacerber les tentions qui traverses l'appareil politique japonais. Si le gouvernement du prince Konoe parvient à faire voter une loi de mobilisation générale de l'État en , c'est au prix de concessions avec la chambre des représentants, notamment le fait de ne la mettre en œuvre qu'une fois la paix avec la Chine revenue et la situation économique plus propice. Or, en plus de l'enlisement militaire, les États-Unis décident en d'un embargo économique qui prive le pays de plusieurs ressources stratégiques[67]. Mis en difficulté sur l'enlisement en Chine, le prince Konoe démissionne en . Hiranuma Kiichirō, figure des mouvements nationalistes japonais, qui lui succède ne parvient à se maintenir au pouvoir que quelques mois, son gouvernement achoppant sur la question des alliances internationales[68]. L'ancien général Nobuyuki Abe qui est premier ministre de à chute lui aussi sur la question de la gestion des conséquences de la guerre contre la Chine[68]. Pour la troisième trois fois en trois ans un gouvernement tombe en raison d'une opposition forte au sein de la chambre des représentants. Ceci fait prendre conscience aux pouvoirs militaires que sans une maitrise de cette chambre, aucune réforme favorable à l'armée ne peut passer[69].
Dès les premières semaines d'activité du gouvernement de l'amiral Mitsumasa Yonai en , les responsables de l'armée commencent à manœuvrer pour faire émerger un parti unique au sein de la chambre des représentants[70]. Les dirigeants du Rikken Seiyūkai et du Rikken Minseitō sont régulièrement pris à parti à la Diète[71]. C'est finalement autour du prince Konoe que ce parti unitaire, l'Association de soutien à l'autorité impériale est constitué en . Les militaires y voit l'outils indispensable pour faire passer leurs réformes à la Diète, les responsables politique qui s'y rallient l'analyse comme la possibilité pour la Diète de peser sur le gouvernement[72]. Jusqu'en , l'association sert de relais efficace du gouvernement au sein de la population[73]. La montée des tensions avec les États-Unis sont favorables aux responsables de la Marine impériale qui envisagent de plus en plus concrètement de frapper les intérêts américains dans le Pacifique. Le premier ministre Konoe tente de s'y opposer, mais mis en minorité il démissionne en . Le général Hideki Tōjō lui succède, favorable à cette nouvelle guerre que la Marine impériale estime pouvoir gagner en 18 mois ; le Japon rentre en guerre dans le Pacifique contre les Alliés le mois suivant[74].
Hideki Tōjō reste au pouvoir jusqu'en . Il ne parvient pas à soumettre totalement les oppositions présentes au sein de la bureaucratie et de la Diète. Si élections législatives de 1942 font la part belle aux candidats soutenus par l'association de soutien à l'autorité impériale, l'ampleur de leur victoire n'est pas suffisante pour museuler les opposants au sein de cette assemblée, qui dès lors peut être utiliser comme tribune[75]. Au sein des ministères, l'allocation des ressources matérielles entre les civils et les militaires reste l'object d'importantes tractations pendant tout le conflit[74]. La justice parvient à conserver une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir militaire[76], mais la presse subit une importante censure, et les opposants au régime comme les libéraux, les socialistes, les journalistes ou les professeurs d'université sont intimidés ou arrêtés[77]. Derrière l'apparence de l'unité nationale, les conflits politiques restent intenses ce qui ne permet pas l'instauration d'un nouvel ordre politique totalitaire comme souhaité par certains responsables militaires, et pour aboutir à des compromis de nombreuses tractations sont nécessaires. Même lors de la décisions de capitulation du pays, les discussions au sein du conseil suprême de guerre montre de nombreuses lignes de fractures au sein du pouvoir[78].
- Réunion des cadres de l'Association de soutien à l'autorité impériale en
- Lors des élections législatives de 1942, l'Association de soutien à l'autorité impériale obtient la plupart des sièges.
- Affiche électorale de 1942 favorable à la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale.
- Premier cabinet de Hideki Tōjō en .
L'occupation américaine et la démocratisation du pays
Allocuation de l'empereur du Japon annonçant la reddition sans condition du pays. | |
Discours du président américain Harry Truman annonçant la victoire des forces alliées contre le Japon. | |
Le , l'empereur Hirohito annonce lors d'une allocution radiophonique la capitulation du pays[79]. Le 17, le prince Naruhiko Higashikuni est chargé de former un gouvernement transitoire afin de gérer le pays en attendant l'arrivée des troupes alliées. Le 2 septembre, Hirohito signe la reddition du pays et des troupes japonaises à bord du cuirassé USS Missouri, et le 8, Douglas MacArthur qui est responsable de l'administration de l'occupation américaine installe son administration à Tokyo, face au palais impérial. Environ 400 000 soldats américains débarquent dans le pays jusqu'à la fin du mois d'octobre de la même année[80]. Dès le 19 septembre, 40 hauts cadres de l'armée dont Hideki Tōjō sont arrêtés, et le 4 octobre, l'occupant se porte garant des libertés civiles des Japonais[81] : près de 2 500 prisonniers politiques sont libérés, le droit de vote est accordé aux femmes, son âge légal est fixé à vingt ans[82].
Un nouveau système politique se met en place. Alors que la question de son abdication et celle de son inculpation se posent, l'empereur Hirohito annonce au qu'il renonce à sa nature de « divinité à forme humaine »[82]. Les législatives organisées en avril 1946 débouchent sur un renouvellement profond de la représentation nationale[83], et Yoshida devient le premier premier ministre de ce nouveau régime politique[84]. Une nouvelle constitution est annoncée en , votée le 3 novembre, et entre en vigueur le : si l'empereur garde une place symbolique, le parlement détient l'essentiel du pouvoir, et les droits de l'homme sont garantis. Son article 9 proclame le renoncement du Japon à la guerre[85]. Début 1946, environ 200 000 personnes sont déclarées inéligibles par l'occupant en raison de leurs liens avec le régime précédent[83]. Les procès de Tokyo jugent de à les anciens responsables du régime[85] ; sur 50 000 inculpés, 10 % sont condamnés, dont 984 à des peines capitales. À l'occasion de ces procès, l'opinion publique japonaise prend connaissance des crimes commis par son armée, comme à Nankin ou à Bataan[86].
C'est dans un climat international tendu, que s'ouvrent les négociations du traité de paix. Malgré l'opposition de gauche qui tente d'obtenir la neutralité du pays, et la droite conservatrice de Hatoyama et Kishi qui envisage de reconstituer une armée sitôt l'indépendance recouvrée, le premier ministre Yoshida accepte les conditions américaines qui prévoient l'instauration de bases militaires permanentes dans le pays[87]. Le , 49 États ratifient par écrit le traité de paix avec le Japon[88].
- Bâtiment de la Diète au fond, avec les bâtiments du quartier des ministères en ruine après les bombardements alliés.
- Bâtiment du Commandement suprême des forces alliées à Tokyo, siège de l'occupant américain.
- Le général Douglas MacArthur, responsable de forces d'occupations alliée au Japon aux côtés de l'empereur Hirohito.
- Les premières femmes sont élues au parlement lors des élections législatives japonaises de 1946.
- Le premier cabinet formé par le premier ministre Yoshida après les législatives organisées en avril 1946
Relations internationales
Un Japon objet de l'intérêt des puissances occidentales à la fin de l'époque d'Edo
Le Japon de l'époque d'Edo entretient des relations avec l'occidentaux au travers des hollandais, seuls pays autorisé par le pouvoir à commercer avec le pays, en vertu d'une politique de contrôle stricte des frontières. La Hollande bénéficie d'un statu de partenaire privilégié dans d'autres secteurs que le commerce, et conseille régulièrement le pouvoir shogunal pour mieux analyser les demandes des autres puissances occidentales. Il sert aussi d'intermédiaire pour introduire de nouveaux savoirs dans le pays. C'est la Hollande qui fournit le premier navire école moderne au Japon et qui forme ses officiers à la guerre moderne au centre centre d'entraînement naval de Nagasaki en 1855, un an après l'arrivée des américains dans le pays. Les japonais prennent conscience que la Hollande n'est plus une puissance majeure vers la fin de l'époque d'Edo et qu'ils ne peuvent pas être d'une aide importante en cas de conflit[89]. La Russes est elle présente dans l'environnement immédiat du Japon dès la fin du XVIIIe siècle au nord, où les deux pays se croisent sur l'ile de Sakhaline. La Russie cherche aussi à négocier auprès du pouvoir shogunal un bail de 99 ans sur l'île Tsushima pour y établir une base militaire. Ces avancées russes sont perçues comme menaçantes par le pouvoir shogunal en place[90].
L'arrivée de l'amiral américain Perry en 1853 dans la baie d'Edo signe la fin de la politique d'isolement du pays[9], qui dès lors va devoir composer avec la présence des puissances occidentales. En 1858, le tairō Ii Naosuke est contraint de signer une série de traités inégaux avec les puissances occidentales, ce provoque la dernière grande crise du régime[8]. Tandis qu'il s'efforce d'éviter une guerre avec des puissances étrangères en engageant des négociations, il doit faire face à une opposition qui souhaite expulser les étrangers du pays[9]. Une agitation gagne alors plusieurs régions du pays[91]. L'opposition se radicalise lorsque l'empereur régnant, pour la première fois depuis plusieurs siècles, intervient publiquement et manifeste sa désapprobation à l'égard de l'action du gouvernement shogunal. En 1863, l'empereur Kōmei signe l'ordre d'expulser les barbares[9]. Il s'en suit une série de heurts avec les occidentaux qui culminent avec le Bombardement de Shimonoseki en 1864. Dans le même temps le Japon devient l'objet d'un affrontement diplomatique à distance entre la France et le Royaume-Uni. Si la France obtient de moderniser les troupes du pouvoir shogunal, le Royaume-Uni soutient lui au contraire la rébellion des clans du sud, qui vont finalement l'emporter et renverser le régime. Le Royaume-Uni remporte ainsi une victoire diplomatique dans le pays qu'il va pouvoir exploiter par la suite[90].
De 1864 à 1882[n 3],[92], les puissances occidentales ne sont concernées que par des enjeux européens, ce qui évite au Japon de devenir un de leurs champs d'affrontements. La Russie, qui cherche à étendre son influence en Asie centrale et dans les Balkans, provoque une réaction du Royaume-Uni. Paris doit faire face à l'échec de sa diplomatie au Mexique, puis à une confrontation militaire avec la Prusse en 1870. De leur côté, les États-Unis sont pris dans la guerre de Sécession jusqu'en 1865 puis occupés à la reconstruction du sud du pays[93]. La poussée coloniale des puissances européennes ne reprend que dans les années 1880, ce qui laisse pour un temps le Japon sans danger immédiat à affronter : les Britanniques colonisent la Birmanie en 1886, les Français l'Indochine de 1884 à 1893[94].
- Image de 1861 illustration la volonté de expulser les étrangers.
- Partenaires historiques du régime, les hollandais participent à la construction du centre d'entraînement naval de Nagasaki pour le pouvoir shogunal en 1855.
- Image japonaise de 1864 montrant l'amiral américain Matthew Perry.
- Les troupes d'élite du shogun sont modernisées par les français à partir de 1867.
Une diplomatie japonaise tournée vers la modernisation du pays à partir de 1868
Dès le début de la Restauration de Meiji en 1868, le nouveau pouvoir fait la promesse via la charte du serment de renforcer la puissance du pays en faisant l'acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies à l'étranger[95]. Plusieurs missions diplomatiques sont envoyer dans ce but, donc la plus importante la Mission Iwakura parcours les États-Unis et l'Europe de 1871 à 1873. Une cinquantaine de hauts responsables dont Tomomi Iwakura et Itō Hirobumi ainsi que de nombreux étudiants rencontrent des responsables politiques, industriels, et intellectuels occidentaux. Ils y acquièrent la conviction que le Japon ne peut limiter sa modernisation à quelques emprunts technologiques, mais doit faire évoluer son organisation politique et social s'il veut pouvoir résister aux occidentaux. L'origine de la puissance occidentale ne provient pas de son armée, mais des responsables civils qui ont permis à celle-ci de se développer[96].
Le système éducatif est modernisé en s'inspirant du système britannique à partir de 1872[97]. L'organisation du sommet de l'armée est emprunté au système prussien à partir de 1878, et des officiers sont envoyés se former dans ce pays. La marine de guerre se développe lors des années 1880 et 1890 en prenant modèle sur la Royal Navy britannique, et sa doctrine navale est inspirée des travaux de l'amiral américain Alfred Mahan. Une fois son système judiciaire réformé et aligné sur le système occidental, le Japon fait valoir cette avancé pour renégocier certains points des traités inégaux : les expatriés au Japon n'ont plus besoin d'une protection particulière, et l'intérêt des clauses d'extraterritorialité devient de fait caduque. Le traité de commerce et de navigation anglo-japonais de 1894 entérine cette avancée, et supprime ces mesures d'extraterritorialité. Des renégociations de traités similaires sont obtenus par le Japon sur les mêmes bases les années suivantes, la modernisation du pays est alors utilisé comme un levier de négociation par la diplomatie japonaise[98].
Des occidentaux de nouveau présents à partir des années 1880, la Corée comme intérêt stratégique
Le Japon observe l'avancée des occidentaux en Chine à partir de la première moitié du XIXe siècle. La France et le Royaume-Uni infligent à l'empire du milieu deux défaites importantes lors de la première guerre de l'opium de 1839 à 1842 puis lors de la seconde guerre de l'opium de 1856 à 1860[99]. Le sac du palais d'été en 1860 impressionne les esprits japonais, et ces deux pays commencent à jouir d'un certain prestige dans l'archipel[90]. Les États-Unis deviennent eux-aussi un acteur important dans le Pacifique à partir des années 1890, ce qui est de plus en plus pris en compte par la diplomatie japonaise : les américains renversent le Royaume d'Hawaï en 1893, ils prennent pieds à Guam et dans les Philippines suite à la Guerre hispano-américaine de 1898, puis aux Samoa en 1899. L'entetien de bonnes relations avec ce pays deviennent un objectif majeur, d'autant plus que c'est un pays d'émigration important pour les japonais, et que ses élites fréquentent en nombre les universités américaine. En vue de l'éclatement possible d'un conflit avec la Russie, le gouvernement japonais cherche par plusieurs moyens à s'attirer la bienveillance des autorités américaines, acteur probable de toute discussion de paix[100].
La Corée devient un enjeu stratégique pour certains hommes politiques japonais à partir de 1873. Un débat connu sous le nom de Seikanron, a lieu cette année-là au sein des dirigeants japonais portant sur la question de l'invasion de la Corée, mais est repoussé en raison de l'insuffisance de la préparation et de la modernisation japonaise. L'Incident de Ganghwa en 1875 marque de début de l'implication japonaise dans le pays. La péninsule ainsi que la région de la Mandchourie en Chine deviennent des objectifs long terme majeurs autour desquels la diplomatie japonaise va se concentrer lors des décennies suivantes[101]. La Corée est d'autant plus vue comme stratégique que la Russie cherche à s'étendre dans la région. Le début de la construction du Transsibérien en 1891 est vue comme une menace pour une extension japonaise dans la région, et une Corée sous influence russe pourrait servir de tête de pont pour une invasion du Japon par la Russie. La Chine continue d'entretenir des relations tributaires avec la Corée, ce qui constitue aussi un obstacle dans les prétentions japonaise sur la péninsule[102]. L'incident d'Imo en 1882 permet aux Japon d'augmenter le nombre de ses troupes dans le pays[103]. Politiquement le Japon est aussi actif pour s'immiscer dans la politique local, notamment auprès des réformateurs coréens, et appuie une tentative de coup d'État en 1884. Si celui-ci est un échec, le traité négocié par la suite en 1885 permet au Japon de supprimer temporairement la présence militaire chinoise en Corée[104]. La Corée est ainsi l'objet de la guerre du Japon contre la Chine en 1894-1895[105]. L'influence de la Chine, battue par le Japon lors de cette guerre, est réduite à néant dans la péninsule après cette date, mais la Russie profite de cette vacances du pouvoir et s'immisce dans les affaires internes de la Corée où elle tente de faire jeu égal avec le Japon les années suivantes[106]. De plus le Japon doit aussi reculer sur ses gains en Chine en raison de l'implication d'autres puissances occidentales par le biais de la Triple intervention en . La France, Le Royaume-Uni, et la Russie font pression sur le Japon pour qu'il revienne sur certains points de son traité de paix avec la Chine, dont son occupation de la péninsule du Liaodong. Ne pouvant faire face à ces puissances, le Japon est contraint de reculer. La Russie parvient à occuper la péninsule du Liaodong dès 1898. Si l'armée japonaise a fait une première démonstration de ses capacités, le Japon a perdu le fruit de ses victoires militaires en raison d'une diplomatie encore inexpérimentée. Cette expérience sera mise à profit, et une préparation diplomatique précédera les conflits suivants[107].
Le Japon accélère sa politique par la suite en Corée, en soutenant le coup d'État de Taewŏn'gun et la mise en place des réformes Kabo en 1894 qui lui donnent une plus grande emprise sur la Corée[108]. L'assassinat de la reine Min en 1895, soutenu par des Japonais, et le regain d'influence de la Russie marquent un relatif reflux temporaire du Japon dans le pays[109]. La Russie fait alors jeu égal avec le Japon en termes d'influence entre 1895 et 1905[110]. En 1896 le général Yamagata tente de ménager les russes en leur proposant de se répartir la Corée autour du 38e parallèle, ce qu'ils refusent alors. La proposition est renouvelée par la diplomatie japonaise auprès du pouvoir russe en 1898, après que les russes aient obtenue la concession de Port-Arthur dans la péninsule du Liaodong, mais est de nouveau repoussé. La question russe devient d'importance majeure à l'issue de la révolte des Boxers en 1900 et à l'issue de laquelle les russes obtiennent de nombreuses concessions en Mandchourie. Plusieurs propositions sont alors formulées les années suivantes au pouvoir russe, de manière à obtenir des zones d'influences exclusives : la Manchourie pour les russes, et la Corée pour les japonais. De nouveau ces propositions sont repoussée, la Russie visant toujours intégrer la Corée à sa sphère d'influence[106]. L'intransigeance de la Russie sur cette question convainc les responsables japonais qu'une guerre contre ce pays est inévitable. De manière à éviter les déconvenue diplomatiques de la guerre contre la Chine quelques années plus tôt, le Japon prend soin au préalable de nouer l'alliance anglo-japonaise en 1902 afin de pouvoir compter sur des soutiens lors de futures négociations de paix[111]. La défaite russe lors de la guerre russo-japonaise de 1905 finit d'asseoir la domination japonaise sur la péninsule. Le traité d'Eulsa transforme la Corée en protectorat du Japon, prélude à lannexion du pays en 1910[110].
- Estampe japonaise montrant l'épisode du Seikanron de 1873 lors duquel il est pour la première fois question d'envahir la Corée.
- Nishiki-e de Toshihide Migita montrant la reddition des troupes chinoises aux forces japonaises.
- Poster de propagande russe misant sur une victoire du pays, une incarnation de la Russie fait face et domine les représentants du Japon aux côtés de ceux de la Chine, du Royaume-Uni, et des États-Unis, signe des alliances du moment.
Recherche d'alliances avec les occidentaux jusqu'à la Première Guerre mondiale
Le Japon densifie ses relations avec les puissances occidentales à l'issue de sa victoire contre la Russie en 1905. Son intervention en 1901 au sein de la coalition militaire contre les Boxers lui a déjà permis d'obtenir quelques concessions en Chine et de gagner en influence[112]. Les traités de Shimonoseki en 1895 et de Portsmouth en 1905 octroient au Japon une certaine reconnaissance de son rang de puissance régionale. L'alliance anglo-japonaise négociée en 1902 est reconduite en 1905 et 1907. La Russie noue elle quatre traités entre 1907 et 1916 ; la France en fait de même avec 1908, suivie par les États-Unis en 1908 via les accords Root-Takahira. Le Japon s'intègre ainsi dans le système des puissances déjà en place en Asie sans chercher alors à le remettre en cause. Il se contente de négocier quelques concessions et une d'obtenir une reconnaissance de son rang au sein des puissances internationales[113].
L'éclatement de la révolution chinoise de 1911 fait évoluer les perspectives du Japon, et la situation en Chine devient un point de crispation pour les pouvoirs japonais. Les gouvernements japonais qui se succèdent à l'époque (Saionji, Yamamoto) sont très partagés sur l'attitude à adopter, et son tiraillés par les aspirations incompatibles des plus libéraux et de l'armée. Sun Yat-sen qui s'est réfugié au Japon à partir de 1913 peine à y trouver des soutiens. Cherchant à protéger ses intérêts dans le pays, le gouvernement japonais soumet Vingt et une demandes au gouvernement chinois de Yuan Shikai[114]. Le gouvernement chinois est contraint d'en accepter une partie, et se place alors de fait comme un protectorat du Japon. Cependant, le pouvoir chinois parvient entretemps à trouver du soutien auprès des États-Unis, encore neutre lors la Première Guerre mondiale, qui par la voix de son secrétaire d'État William Jennings Bryan met en garde le Japon contre toute action qui « violerait la souveraineté chinoise ». Le Japon commence ainsi à s'aliéner le gouvernement des États-Unis pour des gains restraints en Chine[115].
L'engagement du Japon pendant la Première Guerre mondiale reste limitée, et essentiellement restreintes aux régions dans lesquels le Japon a alors des intérêts à défendre. Du fait de l'alliance anglo-japonaise, le pays s'engage au côté des alliés. S'il envoi quelques navires légers pour patrouiller en Méditerranée, le Japon est surtout actif en Asie et dans le Pacifique pour combattre les forces allemandes du secteur. La région chinoise du Shandong où les allemands ont une concession est saisi, toute comme leurs colonies des Samoa[114]. Le Japon poursuit son engagement au côté des alliées lors de l'intervention en Sibérie jusqu'en 1922, mais là aussi plus pour la défense de ses intérêts (éviter une propagation du bolchévisme dans la région) que pour des intérêts diplomatiques[116]. Lors de la conférence de paix de 1919, le Japon obtient que le traité de Versailles satisfasse ses revendications sur le Shandong, ce qui conduit le gouvernement chinois à refuser de signer le texte[117] et provoque en Chine un regain d'agitation nationaliste anti-japonaise[112]. Le Japon n'obtient pas que le traité final fasse état d'une égalité entre les races, ce qui rend les responsables japonais méfiants vis-à-vis d'autres concessions qui pourraient leur être demandées[116].
- Affiche électorale britannique ventant le rôle des conservateurs pour la réalisation d'une alliance avec le Japon, vers 1905.
- Assault de troupes japonaises contre les forces allemandes lors du Siège de Tsingtao en 1914.
- Contre-torpilleur Japon à Salonique pendant la Première Guerre mondiale.
- Le Maréchal Joffre au Japon en 1922 visitant le sanctuaire Yasukuni.
- Lithographie japonaise présentant l'engagement du pays lors de l'intervention en Sibérie.
D'une guerre à l'autre au sein de la Société des Nations
Le Japon prends part à la création de la Société des Nations en 1919, espace qui devient après la Première Guerre mondiale le principal lieu d'exercice de la diplomatie japonaise. Membre influent, un japonais, Nitobe Inazō, est nommé secrétaire-général adjoint[118]. Cependant ni les États-Unis ni l'Union soviétique n'y sont présents ; le Japon est la seule nation asiatique représentée, ce qui limite l'intérêts de cette organisation pour intervenir dans les problématiques de l'Asie. Les relations bilatérales montrent elles aussi leurs limites. L'alliance anglo-japonaise doit être renouvelée en 1922, mais la grande proximité que le Royaume-Uni entretient avec les États-Unis rend l'intérêt de l'alliance faible. Celle-ci n'est donc pas renouvelée, et c'est dans un traité des quatre puissances que le Japon s'engage, aux côtés de la France, du Royaume-Uni, et des États-Unis. De portée plus limité, il vise à satisfaire le Statu quo existant en Asie et dans le Pacifique[119].
Les négociations lors de la conférence navale de Washington qui doit fixer la taille des flottes militaires de chaque pays qui se tient en 1921-1922 est pour le Japon d'obtenir une certaine force de reconnaissance international. Il cherche à obtenir le droit de disposer d'une flotte égale à 70 % des flottes britanniques ou américaines, mais n'obtient qu'un 60 %. Le pays obtient cependant qu'aucune nouvelle base ne soit crée ou agrandie dans le Pacifique, à l'exception de celles présentes à Hawaii, à Singapour, et au Japon. Il obtient aussi que les porte-avions soient exclu de l'accord, ce qui lui permet de reconvertir certains de ses navires amiraux tout en développant cet aspect de sa flotte. Le pays s'engage de plus dans le traité des neuf puissances (en) qui vise à garantir l'intégrité territoriale de la Chine. Le Japon rétrocède ainsi le territoire du Shandong au pays, ce qui permet de normaliser les relations avec les États-Unis. Sur le front soviétique le même effort de normalisation des relations est opéré par Gotō Shinpei, et le pays se retire de Sibérie ainsi que de la partie nord de Sakhaline. Une convention de reconnaissance réciproque est signée en 1925. Bien que ces différents traités internationaux soient diversement reçus par l'opinion politique et les militaires[n 4], ils sont suivis à la lettre par le Japon et permettent de figer la situation internationale dans la région pour une dizaine d'années[120].
Sous l'impulsion de Kijūrō Shidehara, ministre des affaires étrangères à plusieurs reprises entre 1924 et 1931, une « doctrine Shidehara » voit le jour qui encadre les actions du Japon sur la scène internationale. Le Japon s'engage dans une dynamique de collaboration avec les autres nations au sein de la SDN, et en coopérant en particulier avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis[121]. Dans le domaine économique la doctrine vise à un développement pacifique, en renonçant à toute forme de pression militaires pour sécuriser l'accès à certains marchés ou à certaines ressources. La doctrine vise aussi à arrêter toute forme d'ingérence dans les affaires internes de la Chine, tout en soutenant l'abolition de l'extraterritorialité qui s'applique encore dans certains domaines en Chine. Le Japon a l'occasion de faire la démonstration de ses engagements lors de l'Incident de Nankin en 1927. Bien que les anglosaxon poussent pour une intervention militaire pour soutenir leurs intérêts économiques, le Japon refuse de prendre part à une intervention et pousse pour une résolution du problème par les autorités chinoises. Perçue comme faible, cette politique est à l'origine de l'éviction du gouvernement de Shidehara la même année[122].
Tanaka Giichi qui succède en 1927 à Shidehara procède à une réorientation complète de la politique étrangère du Japon. Celle-ci vise alors à intervenir en Manchourie et en Mongolie pour les séparer de la Chine en évitant que les troubles chinois ne s'y étendent. Elle proclame aussi que des troupes militaires seront envoyées partout où des citoyens ou des intérêts japonais sont menacés en Chine[123]. La réponse chinoise est rapide et hostile. Un boycott des projets japonais touche le pays, et l'Incident de Jinan en marque le renouveau des interventions militaires japonaises en Chine. Cette mauvaise gestion de la question chinoise cause la chute du gouvernement de Tanaka Giichi en 1929. À l'issue de cette séquence diplomatique, les relations se sont envenimées avec le pouvoir chinois, mais aussi avec les anglosaxons qui entretemps se sont accordés pour revoir leurs politique en Chine[124].
Le retour aux affaires de Kijūrō Shidehara dès engage une nouvelle dynamique pour la diplomacie japonaise. Si un nouveau traité naval est signé à Londres en 1930 et permet de réchauffer les relations avec les anglo-saxons, les prétentions du pouvoir chinois en Mandchourie ne permettent pas de pacifier les relations avec la Chine. De plus, la faiblesse perçue de cette politique par les responsables militaires et l'opinion publique au Japon est responsables d'un rejet croissants des responsables politiques par la population. Au sein de l'armée certains commencent à envisager des actions pour forcer l'action du gouvernement en Manchourie[125]. L'Incident de Mukden en , perpétré dans ce but par un lieutenant japonais, fait basculer la situation[126].
- Nitobe Inazō (à droite) secrétaire-général adjoint de la Société des Nations pendant un travail en commission.
- Délégations japonaise à la conférence navale de Washington en 1921.
- Le croiseur Akagi transformé en porte-avion pour contourner le Traité naval de Washington. Il prend part à l'Attaque de Pearl Harbor en 1941.
- Reijirō Wakatsuki signant le Traité naval de Londres en 1930.
La guerre de quinze ans
Invasion et enlisement en Chine, retrait de la SDN et recherche de nouvelles alliances
L'Incident de Mukden en date relancent les tensions diplomatiques. L'Armée japonaise du Guandong assure rapidement la domination japonaise sur la Mandchourie en dehors de tout cadre politique. Le coup de force de quelques dirigeants militaires locaux met à mal le gouvernement de Wakatsuki qui chute en décembre. Inukai Tsuyoshi qui lui succède comme premier ministre prend le parti de reconnaitre ce coup de force et de reconnaitre l'occupation de la Mandchourie par le Japon. En Chine, le dirigeant Tchang Kaï-chek prend le parti d'éviter d'engager l'armée chinoise face à l'armée japonaise et de s'en remettre à la Société des Nations. Cependant aucune des autres puissances ne souhaitent s'engager : le Royaume-Uni et les États-Unis sont occupés par les effets de la Grande Dépression[126], et l'Union soviétique est en pleine reconstruction économique, à peine sortie des luttes entre Staline et Trotski. Non seulement le Royaume-Uni cherche à ménager le Japon pour contrebalancer l'Union soviétique , mais l'Union soviétique rentre dans une phase de désengagement de la région[n 5]. Le Japon est libre de mettre en place un État fantoche, le Mandchoukouo, qu'il est le seul à reconnaitre officiellement[127]. Une mission internationale mandatée par la SDN, la commission Lytton, est envoyé sur place pour enquêter sur l'Incident de Mukden. Le Rapport Lytton qui ressort de cette enquête impute les faits au Japon qui en profite pour sortir de la SDN en et signe de protestation, ce qui le fait sortir du « système de Versailles »[127].
Le pouvoir chinois reste indécit sur les suites à prendre. La souveraineté de la Chine sur la Mandchourie ne fait pas l'unanimité, et il y a dans un premier temps une reconnaissance tacite de la position du Japon en Manchourie. Le dirigeant chinois Tchang Kaï-chek est occupé à réprimer les communistes en Chine, la question mandchourienne passe au second plan. Les accord de He-Umezu de 1935 entérinent la situation, le Japon et la Chine s'accordant sur la levée du boycott des produits japonais, une reconnaissance de l'État Mandchoukouo, et la lutte contre le communisme[128]. Si des militaires japonais continuent de tenter des coups de forces localement, l'Incident du 26 février à Tokyo a pour effet de purger l'armée des éléments les plus radicaux[129].
Une nouvelle phase d'expansion en Chine commence en lorsque la guerre sino-japonaise éclate suite à l'Incident du pont Marco-Polo. Attaquant au nord, et à partir de Shanghai, les troupes nippones se heurtent à celles de Tchang Kaï-chek. Nankin, la capitale du régime nationaliste chinois, est prise le , ce qui donne lieu à des massacres de populations pendant lesquels environ 200 000 personnes sont tuées[130]. Le conflit s'enlise dès le printemps 1938, alors que les Chinois continuent de résister[131]. Dans le même temps le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, et l'Union soviétique prennent le parti de la Chine et y envois de l'aide militaire[132].
De manière à éviter un isolement diplomatique après sa sortie de la Société des Nations en 1933 et du traité naval de Londres en 1936, le Japon cherche de nouveaux alliés. Il se tourne alors vers l'Allemagne nazie et signe avec ce pays et l'Italie fasciste le Pacte anti-Komintern en qui vise à combattre la montée du communisme. L'armée japonaise incite le gouvernement à élargir les contours du traité pour en faire une alliance militaire, ce que repousse la marine impériale[133]. La réponse américaine qui prend la forme du Discours de la quarantaine en reste dans la forme d'une dénonciation symbolique[134]. L'Union soviétique en particulier augmente son soutien militaire à la Chine dès la signature du Pacte anti-Komintern ; elle y voit la possibilité d'éloigner le spectre d'un conflit sur deux fronts contre l'Allemagne et le Japon en fixant les armées japonaises en Chine[135]. Le Japon a aussi des échanges avec la Turquie sur la même période de manière à pouvoir envisager une fermeture du détroit du Bosphore à la flotte russe ; si aucun traité formel ne sort de ces discussion, la Turquie commande néanmoins 11 croiseurs à des chantiers japonais en 1934[136].
Face à l'enlisement du conflit en Chine dès 1938, les militaires japonais envisagent deux options. Par idéologie anti-communiste, certains chefs militaires favorisent une « option nord », qui consisterait à attaquer l'URSS de façon à sécuriser leurs possessions au nord. D'autres, tenants d'une « option sud », souhaitent couper les voies d'approvisionnement des nationalistes chinois, et s'en prendre aux colonies européennes (Indochine française, Birmanie britannique, Indes orientales néerlandaises...). Les tenants de la première option ont d'abord gain de cause, et une première série d'escarmouches oppose troupes japonaises et soviétiques à l'été 1938. L'année suivante, les troupes soviétiques surclassent les forces japonaises à la bataille de Khalkhin Gol[137].
La signature du Pacte germano-soviétique le les ayant apparemment privés du soutien potentiel de l'Allemagne nazie, les Japonais renoncent dès l'automne de la même année à attaquer de nouveau l'URSS. Les victoires allemandes en Europe de l'Ouest, qui entraînent un affaiblissement des puissances coloniales européennes en Asie, ouvrent la voie en 1940 à la réalisation de l'« option sud »[138]. Le Tonkin est envahi en septembre 1940. Le Pacte tripartite est signé le même mois entre le Japon, l'Allemagne, et l'Italie, scellant l'Axe Rome-Berlin-Tokyo. Ces développements sont perçus négativement par les États-Unis qui restreignent leurs exportations de fer et de pétrole vers le Japon[139]. En signant ce pacte, le Japon vise ainsi à dissuader les États-Unis d'intervenir militairement en Asie. Le pays a aussi l'illusion[n 6] après le Pacte germano-soviétique qu'un élargissement du pacte est possible, ce qui couperait l'approvisionnement à la Chine[135]. C'est dans cette optique que le pacte nippo-soviétique de non-agression est signé le , toujours en visant la coupure de l'approvisionnement étranger aux troupes chinoises. Les russes visent eux au contraire à détourner d'eux l'attention des japonais, en les poussant ainsi à attaquer des États-Unis[140]. Les troupes japonaises prennent pied dans le Sud de l'Indochine française en , profitant de l'effondrement de la France sur le front européen l'année précédente, ce qui place leur aviation à portée des possessions anglaises (Malaisie) et américaine (Philippines). En représailles, les États-Unis décrètent un embargo total vis-à-vis du pétrole exporté vers le Japon. Or, ce dernier a besoin de carburant pour mener sa guerre contre la république de Chine. Dans l'espoir de ramener les Américains à la table des négociations, une guerre maritime éclair contre eux est envisagée par les militaires japonais[141].
- La commission Lytton enquêtant à Mudken
- Les troupes japonaises massacrent environ 200 000 Chinois lors du massacre de Nankin.
- Couverture du magazine japonais Shashin Shuho de 1941 ventant l'Axe Rome-Berlin-Tokyo.
Guerre totale contre les alliés de 1941 à 1945
Le Japon et les États-Unis commencent une série de négociations à partir du printemps 1941 sur la situation en Asie, et en particulier en Chine[135]. Ce dernier pays n'est pas une priorité stratégique pour les États-Unis, et tactiquement une fixation des forces japonaises en Chine est même vue positivement par certains observateurs américains, car elles les éloignent des intérêts américains comme sa colonie des Philippines[134]. Pour les Japonais la menace la plus pressante perçue n'est non plus celle des Anglo-saxons, mais celle de la Russie, ce qui l'a poussé à signer une alliance militaire avec l'Allemagne, puis un pacte de non-agression avec la Russie. En faisant ceci, elle s'est placée du point de vue américain dans le camp des alliés de l'Allemagne[142]. L'entrée en guerre de l'Allemagne nazie contre la Russie en commence à faire craindre au Japon une guerre sur deux fronts[143], et malgré des demandes allemandes répétées, le Japon reste en dehors de ce conflit[144]. Les militaires japonais préparent un plan d'attaque des États-Unis pendant que les négociations entre les deux pays ont lieu. Les demandes des Japonais sont jugées excessives (rétablissement de l'approvisionnement en pétrole, maintient des troupes en Indochine...). La note Hull que les Américains adressent aux diplomates japonais le est elle aussi jugée excessive, et est perçue comme étant un ultimatum par les responsables politiques et militaires japonais. Le jour même la flotte qui avait été constituée pour attaquer Hawaii quitte le port et prend la direction des Kouriles[145].
La guerre du Pacifique commence le [n 7] lorsque les troupes japonaises attaquent simultanément les Britanniques en Malaisie et les Américains à Pearl Harbor. Le conflit mené en Asie par le Japon devient alors partie intégrante de la Seconde Guerre mondiale. Les troupes nippones, qui envahissent dans la foulée les Philippines, Hong Kong, Guam, les Indes orientales néerlandaises, puis la Birmanie, progressent rapidement lors des mois suivants en remportant victoire sur victoire[146]. Dans les pays « libérés », le Japon place des gouvernements fantoches, l'armée japonaise dirigeant de fait ces pays. Le Japon y déploie la rhétorique d'une fraternité asiatique opposée aux puissances colonisatrices occidentales. Dans cette optique est organisée la conférence de la grande Asie orientale en qui réunit à Tokyo les responsables des pays « libérés » qui vise alors à donner corps à la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale. Les engagements sont symboliques, militairement la situation s'est retournée à cette date[147]. En effet dès la mi-1942, la progression du Japon dans région est déjà stoppée, et l'armée japonaise subit ses premiers revers, comme à Midway, en juin[148]. À partir de la fin de la bataille de Guadalcanal en , les Japonais sont contraints à mener une guerre défensive contre les Alliés[149]. La prise de Saipan en place le Japon à portée des bombardiers américains[150]. Un peu moins d'un demi-million de civils japonais seront victimes de ceux-ci au cours des attaques aériennes américaines au-dessus de l'archipel[151]. L'île d'Okinawa est conquise par les Américains entre avril et , mais ceux-ci enregistrent de lourdes pertes[152].
Les Japonais se sont entretemps vus coupés de leurs alliés. L'Italie capitule en septembre 1943, suivie par l'Allemagne en mai 1945. Lorsque le la déclaration de Postdam est adressée au Japon par le Royaume-Uni, les États-Unis, et la Chine et exige une capitulation générale, le pouvoir japonais croit pouvoir prendre appui sur la Russie pour négocier. Le Japon entretient encore un pacte de non-agression avec la Russie, n'est pas intervenu contre elle aux côtés de l'Allemagne, et la Russie n'est pas signataire de cette déclaration. L'absence de réponse à la déclaration de Postdam est analysée comme un refus de s'y soumettre, et les États-Unis comme la Russie appliquent leurs plans respectifs[153]. Alors qu'un plan d'invasion du Japon est mis au point par les Américains, la décision est finalement prise d'utiliser l'arme nucléaire nouvellement développée pour contraindre le pays à la reddition. Hiroshima est bombardée le 6 août, et Nagasaki le 9 août[154]. Les Soviétiques envahissent la Mandchourie le 9 août, au cours d'une offensive qui coûte également au Japon sa colonie coréenne, le Nord de Sakhaline et les îles Kouriles[155]. Le la capitulation est acceptée par les autorités japonaises, et elle est formellement signée le [156].
- Attaque sur Pearl Harbor le .
- Participants de la conférence de la grande Asie orientale. De gauche à droite : Ba Maw (Birmanie), Zhang Jinghui (Mandchoukouo), Wang Jingwei (Chine), Hideki Tōjō (Japon), Wan Waithayakon (Thaïlande), José P. Laurel (Philippines), Subhas Chandra Bose (Inde).
- Explosion atomique à Nagasaki, le 9 août 1945.
- Reddition du Japon aux alliés sur le pont du USS Missouri.
Populations étrangères prises pour cibles et victimes de crimes de guerre
L'armée japonaise fait payer un lourd tribu à la population chinoise lors du conflit en Chine, mais aussi lors des conquête en Asie en s'en prenant à sa diaspora. Lors du massacre de Nankin, au moins 20 000 (et peut-être jusqu'à 80 000) chinoises sont violées, et au moins 200 000 civils chinois désarmés sont exécutés, et des exactions importantes ont aussi lieu à Wuhan et Xuzhou[157]. L'armée japonaise vit sur le pays et commet de nombreux pillages, mais procède aussi à de nombreuses exactions pour intimider les populations locales. Au total entre 1937 et 1945, 95 millions de chinois, soit 26 % de la population, deviennent des réfugiés[158]. Au nord du Vietnam, ces politiques de réquisition de nourriture pour entretenir l'armée participent à une grande famine qui frappe le pays en 1945 et qui cause jusqu'à 2 millions de morts dans la population locale[159]. L'armée, aidée par les expérimentations médicales de l'Unité 731, utilise aussi ponctuellement des gaz de combats et des pathogènes (comme la peste, l'anthrax, le choléra et la fièvre typhoïde) contre des chinois[160]. Pour mettre fin aux activités de résistances, l'armée japonaise suit la politique des Trois Tout en détruisant systématiquement tout village suspecté de soutenir la guérilla anti-japonaise, et d'exécuter tout ses habitants[157]. Lors de l'invasion de Asie du Sud-Est, l'armée japonaise s'en prend aux populations chinoises locales : après la prise de Singapour en 1942, près de 200 000 des 600 000 chinois qui y vivent sont détenus et interrogés (suspectés d'être des soutiens du gouvernement nationaliste ou d'être communistes), et 40 000 sont tués. Lors du reste de la campagne de Malaisie ce sont 60 000 chinois supplémentaires qui sont exécutés dans des conditions similaires. Ces exactions ne se limitent pas aux chinois, et lors de la construction de la Ligne Siam-Birmanie, sur les 200 000 travailleurs venant de Birmanie, d'Indonésie, de Malaisie, d'Inde, de Thailande, et de Chine, plus de 74 000 meurt avant la fin du chantier[161].
L'armée japonaise systématise à partir de 1937 lors des opération en Chine la mise en place de bordels militaires[159]. Environ 100 000 femmes, à 80 % Coréennes, sont recrutées par la force ou par la ruse pour y travailler selon des modalités qui relèvent de l'esclavage sexuel[162]. Les conditions sont particulièrement rudes, chaque femme devant servir jusqu'à une dizaine d'hommes pas jour, chiffre qui peut monter à 30 ou 40 avant les départs pour le front ou au retour d'opération[163]. En 400 de ces structures sont opérées par l'armée, la plupart en Chine mais les nouveaux territoires conquis en possèdent aussi, fonctionnant avec des femmes locales (philippines, indonésiennes, malaisiennes, mais aussi hollandaises capturées lors de la prise des colonies des Pays-Bas). Si le système repose essentiellement sur des coréennes, et vise officiellement à faire baiser les viols dans les populations locales, il ne l'empêche pas[162].
Le Japon impose des conditions de vie extrêmes aux prisonniers de guerre capturés. Sur les 132 134 prisonniers britanniques, américains, australiens, canadiens, néozélandais, et hollandais, 35756 meurt, soit un taux de létalité de 27 % (bien supérieur au chiffre de 4 % enregistrés dans les camps de prisonniers opérés par les alliées). Ce chiffre s'explique par de nombreuses marches de la mort que l'armée japonaise impose à ses prisonniers (comme celle de Bataan ou celle de Sandakan), mais aussi par les travaux forcés, souvent avec peu de nourriture, effectués dans des conditions extrêmes (comme la Ligne Siam-Birmanie passant pas le pont sur la rivière Kwaï). L'armée japonaise procède aussi à des assassinats de prisonniers ennemis, notamment chinois. Les deux pays n'ayant pas formellement procédé à une déclaration de guerre, le Japon considère les personnes qu'il combat comme de simple bandits, et refuse de les reconnaitre comme soldat. Ceci permet de les exécuter sans procéder à des jugements[164].
- Membres de l'Unité 731 en Mandchourie aspergeant un cobaye humain de produits chimiques.
- Concours de décapitation de 100 personnes couverte par la presse nippone en prélude du massacre de Nankin.
- Prisonniers hollandais et australiens affamés lors de la construction de la « voie ferrée de la mort »
Économie
Premières initiatives étatiques au début de l'ère Meiji
L'industrie est modernisée en ayant recours au modèle des manufactures d'État. Des usines sont créées ex nihilo grâce à du matériel acheté à crédit à l'étranger, et des usines plus anciennes créées par des daimyō ou l'administration shogunale sont reprises par l’État[165]. Le développement de Hokkaidō est aussi décidé. Les évolutions sociales rapides sont cependant à l'origine de révoltes parmi les samouraïs, comme en 1874 à Saga, et en 1877 à Satsuma qui font peser sur l'État de nouvelles dépenses[166]. Pour faire face aux déficits budgétaires causés par de nombreuses dépenses, l'état et les banques ont recours à de nombreuses émissions de monnaies, ce qui fait plonger la valeur des billets en circulation face aux pièces d'argents. En 1880 les billets se voient imposer un cours forcé, et la même année un frein est donné aux dépenses visant au développement industriel[25]. Cette crise monétaire fait passer le pays en dépression de 1881 à 1886, que le ministre des fiances Matsukata Masayoshi doit affronter. Les dépenses de l'État sont réduite, et plusieurs impôts instaurés, dont l'impôt sur le revenu en 1887. La Banque du Japon est créée en 1882, ce qui permet d'assurer la conversion des billets émis auparavant en pièces d'argent, et ainsi d'assainir la situation financière[167].
Les entreprises créées par l'État au début de l'ère Meiji sont privatisées dix ans après leurs création, ce qui permet au gouvernement de dégager des liquidités Des conglomérats comme Mitsubishi ou Mitsui se renforcent par ce biais, le plus souvent à très bon compte[168]. Ces entreprises nationales créées dans les années 1870 concentrent leurs activité dans le domaine de la construction navale, les arsenaux, les mines. Des initiatives sont aussi prises par l’État pour construire des usines produisant du ciment, de verre, et des lainages[169].
La production agricole connait quelques gains entre les années 1860 et les années 1890. Bien que la population augmente de près d'un tiers sur la période, le pays reste exportateurs de produits agricoles. La surface cultivée augmente de près de 100 000 hectares de rizières, et de 80 000 hectares de terres agricoles sèches, la moitié de cette dernière surface grâce à la mise en valeur de Hokkaidō. L'amélioration des transports et le déploiement d'entrepôts plus moderne permet aussi de réduire les pertes alimentaires[170].
La production minière est rapidement vue comme une priorité de manière à permettre d'alimenter des nouvelles usines. Sous l'impulsion de personnalités comme Inoue Kaoru, l'état fait l'acquisition de mines de manière à les moderniser. Des écoles dans lesquelles des conseillers étrangers sont employées ouvrent pour former les mineurs. L'usage d'outils modernes comme des pompes à vapeurs ou des explosifs se développe. La production de charbon passe ainsi de 400 000 tonnes dans les années 1860 à 2 600 000 tonnes en 1890. La production de cuivre passe elle de 1 000 tonnes à 29 400 tonnes entre 1860 et 1900[171].
Des infrastructures modernes commencent à être déployées à l'échelle du pays. Plus de 3 000 km de lignes de chemin de fer sont construites en 1895, la plupart à l'initiative d'investisseurs privés. À la même date 6 000 km de lignes télégraphiques parcourt le pays. Le pays développe aussi une marine marchande à partir des années 1870, et qui permet aux japonais de contrôler 14 % des flux rentrants dans les ports du pays[171].
Le pays continue d'être dépendant de l'occident pour plusieurs de ses importations, comme des machines-outils, de l'acier, des l'équipement militaire. Le pays importe aussi de grandes quantité de balles de coton pour ses usines de tissu. Le Japon exporte ensuite ces cotonnades qui représentent 42 % de toutes ses exportations au début des années 1890[169].
Forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji
L'économie japonaise connait une phase de forte croissance dans la seconde moitié du l'ère Meiji. Le revenu national brut connait une croissance de 4% en moyenne par an entre 1880 et 1914. Cette tendance est d'autant plus forte entre 1895 et 1905, la production industrielle doublant lors de cette période. Le secteur textile représente une part importante de cette production, et joue un rôle de moteur pour le reste du secteur industriel. 67 % des ouvriers y travaillent en 1900, et la production du pays étant à la quatrième place mondiale en 1913[172]. L'industrie lourde bénéficie du déclenchement de la guerre russo-japonaise en 1904, mais aussi de l'essor des chemins de fer dans le pays. La production passe de 7 000 tonnes d'acier en 1901 à 70 000 tonnes d'acier en 1906 à 500 000 tonnes en 1919[173]. La part des actifs travaillant pour l'industrie passe de 6% en 1880 à 20% en 1920[172]. En 1918, c'est la part de la production industrielle qui dépasse la part de la production agricole dans le revenu national brut[173].
Le développement de l'industrie lourde japonaise se fait avec quelques particularités. L'import de matières premières de l'étranger (comme le charbon et le fer) comme principales sources d'approvisionnement permet à des aciéries comme celles de Yahata (ouverte en 1901) de propérer au-delà de ce que la production locale permet. Celle-ci est alors approvisionnée essentiellement par des minerais venant de Chine ou de Corée, préfigurant la logistique industrielle qui se met en place par la suite lors de l'exploitation des colonies japonaises[174]. La transition de la machine à vapeur vers l'électricité est aussi rapide au Japon[175]. Dès 1887 une première centrale électrique au charbon ouvre à Tokyo, et la première centrale hydroélectrique ouvre près de Kyoto en 1891. 2,3 millions de foyers ont accès à l'électricité en 1913, et ce chiffre double dès 1917. Toujours en 1917 l'électricité dépasse la vapeur en puissance utilisée dans les usines du pays[176]. L'électricité permet à certaines productions comme celle de fertilisants de se développer, mais aussi permet via la généralisation des ampoules électriques aux usines de fonctionner de nuit[177].
La hausse de la production se fait souvent au détriment des travailleurs des différents secteurs. Dans l'agriculture, près de la moitié des terres sont exploitées par des fermiers qui ne possède pas la terre, et qui doivent reverser parfois près de 60 % à leurs propriétaires. Dans le secteur textile où la mains d’œuvre est principalement féminine, les salaires sont particulièrement bas, et les conditions de travail et d'hébergement le plus souvent insalubre[178]. Les conditions ne sont guère différentes dans le secteur minier, et des sites comme les mine de cuivre d'Ashio jouissent d'une très mauvaise réputation. Face à ces conditions de travail, le recrutement devient de plus en plus difficile, alors que les besoins de production augmentent. De nombreux ouvriers n'hésitent pas à fuir dans les grands centres urbains, ou même à l'étranger au Brésil ou à Hawaii[179].
Un mouvement ouvrier se constitue à la même époque, réclamant la mise en œuvre d'un droit du travail, et une amélioration des rémunérations et des conditions de travail. Des grèves éclatent dans le secteur de la métallurgie (1897) et des chemins de fer (1898), et un premier syndicat clandestin est créé en 1898 dans le secteur de l'imprimerie[179]. La réponse des autorités est initialement violente. Des lois sont passées en 1900 pour restreindre les possibilité de manifester et de se regrouper, et l'armée et les Yakuza sont régulièrement utilisés pour réprimer les grèves. La situation se tend en particulier après l'Incident de haute trahison en 1911 qui voit une douzaine d'anarchistes tenter d'assassiner l'empereur[180]. Ce n'est qu'à partir de 1916 qu'une législation du travail est appliquée (votée en 1912). Celle-ci met l'accent sur les conditions de travail plus que sur les salaires, et vise par ce biais à développer par ce biais la fidélité de l'ouvrier envers son employeur, dans une optique confucéenne[181]. On fixe alors à 12 ans l'âge minimum pour travailler, et à 12 heures la durée maximale du travail journalier pour les femmes et les enfants[182].
- Aciéries à Yahata vers 1910.
- Grue électrique d'un chantier naval construite en Écosse et opérée par Mitsubishi à Nagasaki vers 1910.
- Mine de cuivre d'Ashio vers 1895.
- Usine textile vers 1910.
Des crises de l'ère Taishō à la crise de 1929
Le Japon bénéficie économiquement de la Première Guerre mondiale, en fournissant du matériel aux alliés, notamment des bateaux (le chiffre d'affaires des constructeurs est multiplié par dix entre 1914 et 1919), mais aussi en captant de nouveaux marchés internationaux jusque-là dominés par les occidentaux (fournitures de cotonnades en Chine et en Inde notamment). Le produit national brut augmente ainsi globalement de 20 % entre 1917 et 1920[183]. La balance commerciale du pays devient momentanément bénéficière ; elle passe ainsi d'un déficit d'un milliards de yens en 1913 à un excédent de deux milliards de yens en 1920. Sitôt le choc du conflit absorbé par les puissance occidentales, la balance commerciale du Japon redevient déficitaire[184], et un certain marasme consécutif à dépression de 1920-1921 s'installe. Les prix de certaines denrées comme le riz, les cotons, et la soie s'effondrent sur les marchés, ce qui entraine des faillites, et fragilise les zaibatsu les plus petits comme Furukawa Group (en). Lorsque la situation économique japonaise se stabilise en 1922, plusieurs incidents financiers éclatent, comme la faillite d'une douzaine de banques locales et la ruine du spéculateur Sadashichi Ishii (ja), ce qui prolonge une certaine tension sur les marchés[185].
Cet essor rapide pendant la Première Guerre mondiale se fait cependant au détriment de la population. L'inflation augmente rapidement les prix des produits alimentaires, comme le riz qui double pendant l'été 1918, ce qui est à l'origine de quelques 497 émeutes du riz dans tout le pays[186]. Cette agitation qui mobilise jusqu'à un million de personne dynamise les premiers syndicats japonais d'ampleur nationale, qui ont commencé à se structurer dans la clandestinité dès 1916 ; un premier congrès national de ces syndicats est organisés en , qui relait divers revendications, de la reconnaissance officielle des syndicats jusqu'à la journée de 8 heures[44]. Un premier syndicat ouvrier officiel est ainsi créé en 1922, la fédération générale des travailleurs japonais (ja) (ou Sōdōmei), alors que le mouvement ouvrier commence à être parcouru pour une division entre réformistes et révolutionnaires. Un syndicat de fermiers est constitué lui aussi en 1922 alors que les conflits entre propriétaires et fermiers se multiplient[46].
Le séisme du Kantō de 1923 qui ravage Tokyo plonge le pays dans la crise économique. Pour financer la reconstruction, des « bons d'obligation du séisme » sont émis par la banque du Japon[187]. La chute des exportations provoquées par ces destructions conjuguées à la hausse des importations rendues nécessaires pour assurer la reconstruction de la capitale provoque une chute du taux de change de la monnaie. Lorsque le gouvernement doit emprunter sur les marchés étrangers en 1924, les taux d'intérêts négociés auprès de banques américaines et britanniques sont très importants[188]. Le remboursement de ceux-ci provoque indirectement en 1927 la faillite d'une banque de Kōbe, dont l'effondrement va provoquer la faillite d'une quarantaine de banques régionales[187] et de trois banques majeures, ainsi que la chute du gouvernement Wakatsuki. Une panique bancaire gagne alors le pays (près de 11 % de tous les dépôts sont retirés), et le gouvernement doit imposer un moratoire des paiements pendant 20 jours. L'éclatement de cette crise financière Shōwa va marquer durablement le pays et affaiblir ses finances juste après l'éclatement de la crise mondiale de 1929[189]. Une loi sur les banques est passée en 1927 qui contraint les banques les plus petites à fusionner, leur nombre passe ainsi de 1 575 en 1926 à 651 en 1932. Si de nombreuses petites entreprises sont affaiblies ou périclitent, les plus gros zaibatsu comme Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo et Yasuda en profitent pour se lancer de nombreuses acquisitions et sont alors au sommet de leurs influences[190].
Pendant cette période les gouvernements successifs se montrent assez souvent interventionnistes et protectionnistes . Ainsi lorsque des entreprises textiles se constituent en cartels en 1920 pour racheter et détruite les invendus de manière à stabiliser les prix, le gouvernement consent à des prêts à très faible intérêt. Le gouvernement intervient directement sur le marché du riz en 1921 en achetant et vendant des grandes quantités de la production pour stabiliser le marché. Le parti Rikken Seiyūkai qui est au pouvoir de 1918 à 1922 va de plus lancer une vague d'investissements dans les infrastructures dans les régions périphériques du pays, sous l'impulsion du ministre des finances Takahashi Korekiyo, ce qui lui permet d'y renforcer son poids politique. Lorsque le parti d'opposition Kenseikai arrive au pouvoir en 1924, cette politique d'investissement dans les régions est maintenue, bien que le parti fait alors la promotion de l'équilibre des dépenses[191]. Ces investissements permettent de faire émerger de grande régions d'industries lourdes entre Tokyo et Yokohama et entre Ōsaka et Kōbe, bénéficiant notamment de la généralisation de la fourniture d'électricité (aciéries, productions d'engrais...)[192]. En 1935, 89 % des foyers japonais ont ainsi accès à l'électricité, contre 68 % des foyers américains, et 44 des foyers britanniques[193].
- Première célébration du Premier mai en 1920.
- Panique bancaire en 1927.
- Usine hydroélectrique inaugurée en 1929 dans la préfecture de Toyama.
Des crises de 1929 et 1930 à la reprise économique
La convertibilité du yen en or, abandonnée lors de la Première Guerre mondiale, fait l'objet de plusieurs tentatives infructueuses de réinstauration lors des années 1920. Les nombreuses maisons de négoce en particulier font pression sur les gouvernements successifs dans ce sens, un yen fort leur permettant d'acheter à moindre coût à l'étranger[53]. Les conséquences du krach de 1929 sont encore mal identifiées, et le ministre de l'économie Junnosuke Inoue prend la décision de réinstaurer la convertibilité du yen en or en . L'économie japonaise doit alors faire face à un double choc à partir de 1930 : perte de compétitivité de ses industries en raison de sa monnaie, et perte de débouchés en raison de la dépression économique qui touche plusieurs de ses marchés extérieurs. L'industrie minière licencie jusqu'à 40 % des mineurs, et dans l'industrie textile des baisses de salaire pouvant atteindre les 40 % provoquent de nombreuses grèves[194]. La production agricole enregistre aussi des baisses des prix de vente importantes : jusqu'à 66 % pour le coton, et jusqu'à 50 % pour le riz[195]. Pour faire face à cette double crise, le gouvernement opte pour laisser l'industrie se réguler d'elle-même ; des cartels se forment alors pour réduire la production et maintenir les prix, favorisés en ce sens par une loi en 1931[194]. Il adopte aussi une très grande rigueur budgétaire et réduit fortement les dépenses de l'État. Ces politiques très impopulaires au sein de la population causent de nombreux troubles. Le parti Rikken Minseitō perd définitivement le pouvoir lors des élections législatives de 1932, et le Rikken Seiyūkai forme une nouvelle coalition[196].
Takahashi Korekiyo est ministre de l'économie pour l'essentiel de la période 1931-1936, et instaure une politique proche du keynésianisme articulée autour d'une baisse des taux d'intérêt et des taux de change, ainsi qu'une hausse de la dépense publique[197]. Il laisse le yen se dévaluer face au dollar, le taux de change passant de 100 yens pour 50 dollars à 100 yens pour 20 dollars fin 1932. Les taux d'intérêt accordés aux banques passent eux de 6,6 % à 3,7 % de 1932 à 1933. Les dépenses de l'État passent elles de 1 480 milliards de yen en 1931 à 2 250 milliards de yen en 1933 et se stabilisent à ce niveau les années suivantes ; l'armée et les dépenses ciblant les campagnes sont favorisées par cette hausse[198].
Ces « politiques Takahashi » permettent de dynamiser les exportations japonaises, notamment dans le secteur textile, mais ceci provoque la mise en place de nombreuses mesures protectionnistes à l'étranger vis-à-vis de produits japonais[197]. La baisse du taux de change rend lui les importations plus chères, ce qui permet à certaines industries nationales comme l'industrie chimique et l'industrie lourde de redevenir compétitives dans le pays. Des industries en profitent pour se moderniser et atteindre les meilleurs standards internationaux dans plusieurs domaines : la production de viscose pour Toyo Rayon ou Asahi Bemberg, les machines-outils électriques pour Toshiba et Hitachi, ou encore la production aéronautique grâce à des financements de l'armée[199].
Une nouvelle génération de zaibatsu s'affirme lors de cette période, comportant des firmes comme Nissan, Shōwa Denkō, Nippon Soda (en), ou encore Nakajima[199]. Ils ont en commun d'être constitués autour des nouvelles technologies de l'époque, et d'être dirigés non pas par des gestionnaires mais par des ingénieurs ou des militaires[200]. Sans lien avec les zaibatsu plus anciens, et donc sans leurs accès aux financements des banques, ils bénéficient pour leurs développement de nombreux prêts de l'État[201]. De nombreux cartels voient le jour entre 1932 et 1933 dans de nombreux domaines comme l'industrie papetière, la production électrique, la finance, les brasseries... S'ils permettent d'augmenter les prix de vente et donc de consolider financièrement ces entreprises, leurs situations monopolistiques attirent de nombreuses critiques, ce qui pousse le gouvernement à faire voter en 1936 une loi pour les dissoudre[202].
Une économie de guerre à partir de 1936
L'assassinat du ministre de l'économie Takahashi Korekiyo et d'une partie du gouvernement le 26 février 1936 par des militaires de la Kōdōha fait évoluer drastiquement la politique économique du gouvernement japonais. Takahashi était parvenu à maintenir sous contrôle les dépenses militaires depuis 1934 ; ses successeurs, sans possibilité de s'opposer au nouveau pouvoir militaire, vont augmenter les dépenses militaires en votant des plans d'armements pluriannuels. Dès 1937 les dépenses de l'État augmentent de près de 40 %[202]. Lorsque Konoe devient premier ministre en 1937, trois priorités économiques sont arrêtées : équilibre de la balance des paiements, essor des dépenses militaires, et la régulation de l'offre et la demande des biens de consommation en fixant des limites aux importations et exportation de certaines ressources. Dès le déclenchement de la Seconde guerre sino-japonaise en un contrôle drastique de l'ensemble de l'économie s'enclenche[203]. Dès lors l'ensemble de l'économie nationale est organisée pour satisfaire aux besoins de l'armée, et les pénuries de certaines ressources comme le pétrole commencent à toucher le pays[204].
La loi de mobilisation générale de l'État votée par la Diète en permet aux gouvernements de nationaliser les entreprises et les mines, de décider des allocations de ressources financières et de matières premières aux entreprises, ainsi que de pouvoir recruter de force la mains d'œuvre et de décider comme bon lui semble les conditions de travail[204]. Le Japon rentre ainsi rapidement dans une économie de guerre. Un rationnement du riz et du sucre est décrété en 1940 ; des prix fixes sont décrétés, mais ne font que stimuler le marché noir[205]. Les entreprises japonaises implantées en Mandchourie et dans le nord de la Chine sont largement mise à contribution pour fournir les matériaux nécessaires à la machine de guerre japonaise. Des pénuries apparaissent dans les chaines d'approvisionnement. En 1939 le traité commerciale entre la Japon et les États-Unis est abrogé par ce dernier, ce qui permet à son gouvernent de décider d'embargo sur certaines matières premières critiques (fer et acier en 1940, pétrole en 1941). Le déclenchement de la guerre en Europe la même année perturbe l'approvisionnement de certains biens. Enfin, les stocks d'or et de devises étrangères que possède encore la banque du Japon sont presque épuisés en 1940, ce qui empêche le pays d'acheter des ressources en dehors de sa zone d'influence économique. L'effondrement de plusieurs puissances coloniales européennes comme les Pays-Bas et la France rends leurs colonies asiatiques vulnérables, et les militaires commencent à préparer des plans d'invasions dans le but d'accéder à certaines ressources (pétrole, caoutchouc, et étain dans les Indes orientales néerlandaises notamment)[206].
Les succès que rencontre dans un premier temps le Japon contre les occidentaux en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique à partir de la fin-1941 retarde la mise en œuvre de mesures économiques plus drastiques. Par excès d'optimisme, les dirigeants japonais pensent pouvoir matérialiser la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale et s'en servir pour combler leurs besoins. Ce n'est qu'à l'automne 1942 que des mesures supplémentaires sont prises. La production en armes et équipement militaires devient la principales priorité. La production d'avions passe de 6 174 unités en 1941 à 26 507 unités en 1944, et la production de bateaux passe elle de 201 000 à 408 000 tonnes sur la même période. À partir de l'été 1944 et la défaite de la bataille de Saipan l'approvisionnement depuis le sud-est asiatique cesse, et le Japon ne peut plus compter que sur le nord de la Chine, la Mandchourie et la Corée pour son approvisionnement[207]. Le besoin en matériaux est tels que des équipements non prioritaires sont sacrifiés pour faire face à la demande : des rails de tramway ou des cloches de temples sont fondus pour en faire des munitions, et des machines d'usines textiles reconvertis pour les produire[208]. Les ouvriers des usines qui ne peuvent plus fonctionner sont réquisitionnés pour travailler dans les mines et les usines d'armements, et à partir de 1944 les étudiants et les lycéens sont eux aussi mis au travail pour soutenir l'effort de guerre[209].
La production agricole vacille dès 1937. Du fait des réquisitions de main d'œuvre, la population agricole baisse de 7,4 % entre 1937 et 1939, baisse touchant en particulier les hommes de 16 à 35 ans, et continue de baisser tout au long de la guerre. Le manque d'équipements agricoles, de fertilisants chimiques, ainsi que de pétrole contribuent grandement à faire chuter la production[210]. La Corée est elle touchée par une série de sécheresses à partir de 1940 et les importations de riz depuis cette colonie sont divisées par deux. Le gouvernement japonais voit alors dans le développement de la Manchourie la solution à ses problèmes d'approvisionnement, mais là aussi la production agricole baisse en dépit de plusieurs plans de développement[211]. La famine touche à la fois la population de l'archipel, mais aussi celles des pays occupés. Plus d'un million de Vietnamiens meurt de famine en 1945, et les soldats japonais meurent davantage de malnutrition que du fait des combats[212].
Les conquêtes du Japon sont exploitées de différentes manières. Les mines de fer de Malaisie sont remises en activité dès décembre 1941, mais elles ne produisent en 1942 plus que le dixième de le production d'avant guerre. Les puits de pétrole de Sumatra sont eux relancés avec un certain succès, mais les problèmes de logistique ne permettent pas d'en faire profiter le Japon. Le population locale est aussi utilisée comme main d'œuvre, dans des conditions qui peuvent être très dures. Plus du tiers des 400 000 mineurs travaillant à l'extraction de charbon au Japon à la fin de la guerre sont coréens, chinois, ou prisonniers de guerre, la plupart gravement sous-alimentés et soumis à des conditions très rudes[213].
Les derniers mois de la guerre mettent à mal l'ensemble de l'appareil de production. Les bombardements américains touchent l'archipel massivement à partir de mi-1944. Complexes industriels et centres urbains connaissent des destructions importantes. L'invasion soviétique de la Mandchourie en coupe le Japon d'un important centre d'approvisionnement. 80 % d ela flotte maritime japonaise est perdue à la fin de la guerre, tout comme 25 % de l'ensemble de ses bâtiments, et 34 % de ses outils de production industrielle. Plus largement le Japon est coupé de toute ses sources d'approvisionnement en nourriture et en matière premières sur lesquelles il a batti son modèle économique depuis le début de la période impériale[214].
- Usine de construction d'avion de guerre près de Nagoya.
- Aciérie japonaise en Mandchourie.
- Mine de charbon à ciel ouvert en Mandchourie.
- Ouvrière taïwannaise dans une usine au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, image de propagande.
- Prisionniers de guerre Australiens travaillant dans la mine Asō.
L'empire et ses limites : Aires d'influences, colonies, marges, migrations
Intégration des marges : Hokkaidō et Okinawa
Dès le début de l'ère Meiji le Japon cherche à renforcer sa position dans des territoires proches de ses îles principales, mais encore insuffisamment intégrés. Poussée par les prétentions occidentales dans la région, Hokkaidō et l'archipel des Ryūkyū font l'objets de plusieurs politiques d'intégration. La souveraineté du Japon sur Hokkaidō est confirmée par le traité russo-japonais de 1875, tout comme sa souveraineté sur les îles Kouriles[215]. Au sud le royaume de Ryūkyū, déjà tributaire du domaine de Satsuma, fait l'objet d'un accord entre la Chine et le Japon. Le royaume devient un protectorat en 1875 avant d'être intégré au reste du Japon comme préfecture d'Okinawa en 1879[216]. Si en théorie les populations locales natives (aïnous à Hokkaidō et okinawaïens dans les Ryūkyū) jouissent des mêmes droits que les autres japonais, la mise en œuvre très lentes de ces droits en font des citoyens à part. Le Koseki (livret de famille) sert à séparer les japonais des autres préfectures des populations locales. La conscription obligatoire dans le reste du pays ne concerne Hokkaidō et Okinawa qu'à partir de 1898[217].
L'administration de ces territoires diffère du reste du pays. À Hokkaidō, l'île est dirigée politiquement et économiquement comme une colonie. À Okinawa l'opposition des élites locales est plus fortes, et la métropole renonce à toucher à certaines coutumes. L'ancienne relation tributaire liant l'archipel au domaine de Satsuma est même virtuellement prolongée en recrutant essentiellement dans les préfectures de Kagoshima et de Nagasaki des personnels administratifs et de police[217]. Le droit de vote des populations locales n'est aussi accordé qu'avec beaucoup de retard comparé au reste du pays. Une assemblée préfectorale n'est accordée à Hokkaidō qu'en 1901, et le droit de vote aux élections législatives n'est accordé qu'en 1903. À Okinawa ces droits ne sont accordés qu'en 1909 et 1912, alors que dans les autres préfectures ces droits sont accordés en 1871 et 1889[218].
Des politiques d'assimilation par l'éducation sont instaurées et visent les aïnous et les okinawaïens[219]. Des écoles primaires sont ouvertes et des professeurs sont recrutés exclusivement dans les autres préfectures. L'objectif premier est de supprimer leurs langues pour imposer un japonais standard[220] (via l'utilisation de symboles par exemple[221]), mais aussi leurs coutumes (interdiction des cheveux longs et des habits traditionnels à Okinawa). Si à Okinawa les écoles peuvent inclurent des japonais des autres préfectures, les aïnous sont éduqués jusqu'en 1922 dans des écoles ségrégées, principalement pour des motifs racialistes[220]. Malgré un certain volontarisme dans les élites d'Okinawa pour l'assimilation, Les okinawaïens font assez largement l'objet de discriminations par les autres japonais, au Japon comme dans ses colonies, et partagent souvent le sort des migrants coréens[222].
L'économie de ces territoires est développée de manière diverse. À Hokkaidō, le gouvernement traite l'île comme un territoire vierge et bureau de colonisation est créé pour la développer. D'anciens samurai et soldats sont incités à s'y installer pour mettre les terres en valeur en les cultivant[223]. À Okinawa les gouvernement met en œuvre une réforme foncière, ce qui permet de lever plus d'impôts, mais les infrastructures y sont peu développées par l'État. La culture du sucre s'étend dans l'archipel, mais est aux mains de marchants d'autres préfectures (principalement celles de Kagoshima et d'Ōsaka), et les bénéfices sont rarement réinvestis dans l'archipel. Cette industrie sucrière comme à décliner à Okinawa après l'intégration de Taiwan comme colonie. Ceci pousse de nombreuses populations locales à émigrer dans le reste du Japon ou dans les colonies[224].
Les colonies
Mise en place des colonies et administration
L'empire du Japon se constitue en quelques années, de 1895 à 1922 un empire colonial. Le pays connait une phase de croissance en intégrant des territoires proches avant cette date, comme l'archipel Ogasawara, les îles Ryūkyū, et Karafuto (actuelle Sakhaline), mais ces conquêtes restent limitées. Si la Corée est le premier territoire que le Japon cherche à intégrer (des discussions ont lieu dès 1873 au sein du pouvoir japonais), c'est Taiwan qui devient la première colonie du pays en 1895. À la faveur d'une guerre contre la Chine au sujet de la Corée, le traité de Shimonoseki qui fixe cette année-là les conditions de la paix entre les deux pays octroi la souveraineté de l'île aux japonais[225]. La mains mise sur la Corée est plus progressive, et le Japon doit d'abord vaincre militairement la Chine en 1895 puis la Russie en 1905[226] avant de pouvoir transformer la Corée en protectorat en 1905 puis de l'intégrer comme colonie en 1910. Le Japon intègre enfin dès 1914 les colonies allemandes du Pacifique à l'occasion du déclenchement de la première Guerre Mondiale[227].
La pacification de ces territoires est obtenue de manière variable. À Taiwan, la résistance à la colonisation par le Japon (en) nécessite une campagne militaire de cinq mois, couteuse en hommes (7 000 morts coté japonais) et en matériel, à laquelle s'ajoute plusieurs décennies de révoltes et d'incidents sporadiques. L'île étant devenue presque par accident une colonie japonaise, les autorités n'ont pas de plan précis pour son administration ou son développement, situation qui dure jusqu'à la nomination du général Kodama Gentarō comme gouverneur général de l'île[228]. En Corée la période de protectorat est mise à profit par le Japon pour s'imposer dans l'appareil d'État existant, et pour placer des japonais aux postes clefs, en particulier concernant ceux liés à la police, à l'armée, aux communications, aux transports, et à la justice. La mise en œuvre de l'administration coloniale est assurée assez brutalement par le général Terauchi Masatake de 1910 à 1916 qui agit alors comme gouverneur-général de Corée[229]. La situation est plus nuancée dans les autres territoires colonisés. À Sakhaline la colonisation apparait plus comme un prolongement de la politique menée à Hokkaidō. La plupoart des colons sont japonais en dehors de quelques Aïnous disséminés sur l'île. Dans le Liadong le statu incertain du territoire complique son administration, qui se heurte à de nombreux problèmes financiers jusqu'à son intégration au sein du Mandchoukouo[230]. Dans les territoires du Pacifique, l'administration civile japonaise ne prend pas immédiatement la suite de l'administration allemande, et l'armée gère pour un temps ces îles. Dès 1922 la situation est régularisée et la population subit rapidement une dynamique d'acculturation en faveur du Japon[231].
Le Japon fait le choix de mettre en œuvre une politique coloniale et des institutions locales similaires aux modèles occidentaux de la même époque[232]. Les soutiens japonais de la colonisation développent eux aussi un discours raciste se voulant scientifique, reflet des politiques occidentales contemporaines[233]. Dans les faits la gestion des populations locales est le plus souvent paternaliste, et adopte un ton humanitaire dans sa forme, à la manière de la mission civilisatrice en France ou Le Fardeau de l'homme blanc au Royaume-Uni[234]. Le Japon se distingue de ses modèles occidentaux en y rajoutant une dimension pan-asianisque dans laquelle le Japon serait appelé à servir de modèle pour unifier les différents peuples d'Asie, ceux-ci devant adopter ses mœurs et sa culture pour s'élever à son niveau[235]. Dès le début des années 1920, dans l'atmosphère libérale qui caractérise la période de la démocratie Taishō, des gouvernements civils prennent la place des gouverneurs militaires dans toutes les colonies, sauf en Corée pour des raison stratégique, et en raison de l'ampleur du Mouvement du 1er mars 1919[232]. Quelques mesures modestes y sont cependant décidées pour permettre à quelques coréens de monter dans la hiérarchie de l'administration coloniale, et pour octroyer quelques libertés dans le domaine culturel[236]. L'idée est alors non pas d'accorder des possibilités d'autonomie aux colonies, mais au contraire de viser à les intégrer au sein de l'appareil politique japonais[237]. La parenthèse libérale des années 1920 dans les colonies japonaise est cependant rapidement remise en cause par le tournant militariste du régime dans les années 1930, puis par la période de guerre totale au début des années 1940[238]. Le but n'est alors plus de faire acquérir les mêmes droits aux populations locales des colonies, mais de les soumettre aux même obligations, notamement militaires, que les japonais[239].
Les gouvernements locaux des colonies sont pour l'essentiel similaires entre eux. Un gouverneur nommé par décret impérial les dirige. Elles comportent trois niveaux de gouvernement (colonial, régional, et municipal). Si à Taiwan les japonais occupent les postes à tous les niveaux (comme à Sakhaline et dans les colonies du pacifique), en Corée (et dans le Liadong) le niveau municipal est souvent largement fourni en locaux. Des bureaux consultatifs chargés de réceptionner les suggestions des locaux existes, mais restent consultatifs, et ses membres sont nommés, ce qui assure de leurs biais pro-japonais[240]. L'administration est en général efficace, et assurée par des fonctionnaires issus des plus grandes universités impériales[241]. Le Japon y stationne de plus des forces armées importantes, notamment comparé aux moyens militaires que les puissances coloniales occidentales stationnent dans leurs propres colonies[242]. Enfin, pour s'assurer de la loyauté des colonisés, le pouvoir japonais n'hésite pas à adapter son discours en fonction des colonies pour mieux manipuler les populations et les soumettre à son autorité. Ainsi à Taiwan le système Baojia qui soumet traditionnellement les différentes communautés locales à un système de responsabilités collectives est exploité par les japonais, alors qu'en Corée c'est le modèle néoconfucéen qui prône la loyauté des administrés au souverain qui est mis en avant[243].
- Carte de 1918 figurant le Japon et ses colonies.
- Carte Postale de propagande figurant le Japon et la Corée.
- Bâtiment du gouverneur-général de Taiwan, actuel Palais présidentiel.
Développement et exploitation économique
Si l'acquisition de colonies par le Japon est avant tout motivée par des critères stratégiques, le pays cherche rapidement à tirer des bénéfices économiques de celles-ci. L'administration colonial y met en place de nombreuses politiques visant à développer ces territoires qui restent beaucoup plus ruraux que la métropole[244]. Ces politiques sont le plus souvent issues de l'expérience acquise par le Japon lors de sa propre modernisation lors de l'ère Meiji. À Taiwan l'administration coloniale doit développer en priorité les secteurs les plus aptes à fournir une entrée d'argent rapide, ne pouvant pas compter sur une source de revenus déjà en place. En recourant à l'endettement et en plaçant de nombreuses taxes sur les produits agricoles, l'agriculture de l'île est rapidement modernisée. L'industrie sucrière, développée entre 1900 et 1910, est à l'origine de la première manne financière sur laquelle le gouvernement colonial de Taiwan peut compter[245], bientôt suivie par la production de riz qui devient au cours des années 1920 la deuxième importation vers le Japon la plus importante[245].
Cette stratégie de développement basé sur des investissements publics massifs basés sur l'endettement allant de paire avec la création de monopoles semi-publics est reprise par la suite dans d'autres colonies japonaise comme dans les îles du Pacifique, le Liaodong ou à Karafuto. Le but de ces productions n'est pas de répondre à des besoins locaux, mais avant tout de fournir des ressources à la métropole. À leur tour, les colonies absorbent une partie de la production industrielle du Japon et l'État veille à ne pas y développer d'industries qui pourraient concurrencer la métropole[245]. La production agricole des colonies ne rentre pas en concurrence avec la production agricole locale, celle-ci ne parvenant plus à nourrir toute la population japonaise. La production de riz de la Corée en particulier est même encouragée pour satisfaire des besoins de la métropole[246], parfois au détriment de la population locale qui doit s'alimenter avec des céréales de moins bonne qualité[247].
Ce système fondé sur la production agricole perdure jusqu'au début des années 1930, mais doit s'adapter en raison de la double contrainte de la crise économique mondiale de 1929 et de la remilitarisation progressive du Japon[248]. Les investisseurs privés japonais cherchent de nouveaux investissements rentables à faire dans le secteur de l'industrie, de nombreuses entreprises étant malmenées par la Grande Dépression. Les économies de la Corée et de Taiwan voient leurs priorités évoluer, le but devenant alors de produire des matériaux pouvant être utilisés par les industries japonaises, comme du minerais, du pétrole, ou des métaux divers. Cet effort d'industrialisation est mitigé à Taiwan, mais rencontre un certain succès en Corée (la péninsule est riche en minerais, en potentiel hydroélectrique, et en mains d'œuvre bon marché, contrairement à Taiwan qui ne dispose pas d'infrastructures aussi développées)[247]. Là encore l'industrialisation ne bénéficie pas aux populations locales, la production étant tournée vers les besoin de la métropole, en particulier vers les besoins militaires. La Corée dispose par exemple dans les années 1930 d'une production hydroélectrique triple de celle de Taiwan, mais seuls 12 % des foyers coréens disposent de l'électricité, contre 36,3 % des foyers coréens à la même période. L'inadéquation entre la production locale et les besoins de la population locale est d'autant plus aggravée que la péninsule serts à partir des années 1930 de base arrière à l'armée japonaise pour son invasion de la Chine. Cette industrialisation des colonies est aussi d'un intérêt limité pour le Japon. Ses colonies ne peuvent fournir la métropole en ressources clefs comme les fibres textiles, en métaux, en pétrole, ou en produits fertilisants, et le Japon est toujours contraints de se fournir à l'étranger. Les colonies ne fournissent de plus d'un marché limité pour écouler les productions du pays (pas plus de 20 % des produits industriels exportés y sont vendus, et pas plus de 10 % de ses produits textiles)[248].
Japonais et populations locales dans les colonies
Les japonais qui s'installent dans les colonies importent avec eux des modes de vie qu'ils cherchent à reproduire localement. La construction de capitales coloniales urbaines permet à ces modes de vie urbains de trouver un terrain d'expression. Taipei (renommée Taihoku par le Japon) fait ainsi l'objet de grands travaux de renouvellement urbains. De larges avenues bordées d'arbres sont percées, des parcs et des jardins sont aménagées, et d'imposants bâtiments de briques rouges sont construits pours les administrations. Par la suites d'autres capitales régionales de Taiwan subissent le même sort, de même que les capitales des autres colonies comme Séoul (alors renommée en Keijo), Dalian (renommée en Dairen), Port-Arthur (alors renommée en Ryojun) et Toyohara à Karafuto. Le réaménagement de ces villes est alors très similaires à ce que les autres puissances coloniales aménagent dans leurs propres colonies. Des quartiers résidentiels sont de plus aménagés spécialement pour accueillir la population japonais, à l'abris et à l'écart de la population locale qui ne peut bénéficier de tout ces aménagements en dehors de quelques élites locales. Des hôpitaux, des écoles, mais aussi des sanctuaire shintō sont ainsi construits dans les grands pôles urbains des colonies[249].
Cette vie en autarcie dans des conditions bien plus aisées que celles des locaux nourrit un sentiment de supériorité des colons vis-à-vis des populations locales, ce qui créé des tensions grandissantes[250]. Cependant les réactions des populations locales sont variées dans les colonies. En Corée le Japon doit faire face dès la période de protectorat à une guerre larvée, et à des larges mouvements d'oppositions dans la population, notamment lors du Mouvement du 1er mars 1919 qui abouti à la constitution d'un gouvernement coréen en exil réclamant l'indépendance du pays. À Taiwan au contraire la population est beaucoup plus passive face à l'ordre colonial imposé par le Japon (bien que quelques épisodes de révoltes d'aborigènes soient enregistrés)[251], tout comme dans le Liaodong où la population locale cherche au contraire à échapper à l'ordre des seigneurs de guerre qui ravagent la Chine à la même époque. À Karafuto et dans les îles du Pacifique, les japonais sont rapidement en très large surnombre comparé à la population locale, qui est alors marginalisée[252]. La différence de réactions entre les populations coréennes et taiwanaises s'explique par plusieurs facteurs. À Taiwan les élites locales ont pu fuire vers la Chine continentale lors de la conquête japonaise, laissant peu de cadres politiques ou économiques enclin à s'opposer à la présence japonaise, alors qu'en Corée l'essentiel des élites est resté dans la pays. Taiwan ne dispose pas à l'époque d'un cadre politique très ancien, alors qu'en Corée l'histoire politique du pays est assez ancienne, et un cadre néo-confucéen traditionnel est profondément ancré dans la population. De plus depuis la Guerre d'Imjin en 1592-1598 les coréens nourrissent un certains ressenti vis-à-vis des japonais. Les conditions de la colonisation sont aussi plus durs en Corée que dans les autres colonies, et de nombreux symboles culturels sont pris pour cibles par les japonais[253].
Les japonais occupent la plupart des postes à responsabilité dans l'administration et dans l'économie en Corée comme à Taiwan, ce qui limite l'acquisition de compétences économiques par les populations locales. Aucune couches d'entrepreneurs ne se développe à Taiwan lors des cette phase de colonisation, et ceux-ci sont très peu nombreux en Corée. Ces compétences vont manquer et déstabiliser les productions économiques locales lors du retrait des japonais en 1945[254].
- Cruxifition de coréens par des japonais après le Mouvement du 1er mars 1919 demandant l'indépendance du pays.
- Le parc accueillant des tombes royales de la dynastie Joseon est transformé en parcours de golf par les japonais en 1921.
La sphère d'influence de l'empire
L'État du Mandchoukouo est intégré progressivement à l'aire d'influence du Japon. Si des intérêts économiques lient ce territoire au Japon dès le début du XXe siècle, c'est l'incident de Mukden en 1931 qui provoque l'invasion japonaise du pays. Suite à l'incident de Tientsin de 1932, l'ancien empereur de Chine[n 8] est placé sur le trône du pays et prend le nom de règne de Puyi[255]. Régime fantoche, la reconnaissance internationale du Mandchoukouo reste dépendante du Japon, et va fluctuer en fonction de la signature de ses alliances[n 9],[256]. Si la tête du gouvernement est formellement confiée à un chinois, ses directeurs sont tous japonais, et les plans de développement du pays sont préparés au Japon[257]. Une Banque centrale de Mandchou est créée en 1932 qui permet d'ancrer le système monétaire du pays avec celui du Japon, créant ainsi une « zone économique Japon-Mandchoukouo » unique[258]. En 1937 un plan de développement économique de cinq ans est directement préparé par Ishiwara et mis en œuvre, et des zaibatsu comme Nissan prennent part à la réorganisation des industries du pays[203]. L'exploitation agricole de la Mandchourie est vue comme une priorité par le Japon qui à partir de 1936 cherche à y faire immigrer plus d'un million de fermiers japonais (au final 270 000 fermiers japonais sont présents à la fin de la guerre). Si la productivité agricole visée par les autorités japonaises est en deçà des objectifs visés, la Mandchourie reste un important fournisseur alimentaire pour le Japon jusqu'à la fin de la guerre[259].
Lorsqu'après 1938 le Japon étend sa mainmise sur le nord de la Chine via des régimes fantoches ou proches comme le Mengjiang en Mongolie ou des gouvernements collaborateurs en Chine, des entreprises de développement (ou Kaihatsu Kaisha) sont crées pour assurer l'exploitation de mines ou d'usines locales[260].
L'asiatisme gagne en vigueur à partir du début des années 1930 au Japon et sert de cadre intellectuel à cet expansionisme japonais. En 1933 est fondée la société de la Grande Asie qui prône l'union et la solidarité de toutes les populations asiatiques[261], ainsi que l'instauration par le Japon d'un pendant à la doctrine Monroe qui exclurait d'Asie toute ingérence occidentale. L'association et ses idées jouissent d'un certain poids politique puisque s'y croisent des personnalités politiques ou militaires comme Konoe Fumimaro, Ishiwara Kanji, ou Matsui Iwane, ou même des intellectuels comme Ōkawa Shūmei. Cette association façonne les éléments de langage utilisés par la suite politiquement pour justifier les interventions du Japon en Asie, et donne aussi la parole dans ses publications à divers militants, indépendantistes asiatiques comme Mohammed Hatta ou Achmad Soebardjo (en), ou même panafricain comme W. E. B. Du Bois[262]. Si ce discours prônant l'asiatisme rend dubitatif une bonne partie de la population japonaise lors du déclenchement de la guerre contre la Chine en 1937, il rencontre un bien meilleurs échos lors du déclenchement de la guerre contre les alliés puis lors des premières victoires militaires[263].
L'avancé rapide des troupes japonaises dans le sud-est asiatique début 1942 place un grand nombre de territoires sous la gestion du Japon. Ces territoires sont administrés selon des modalités variée. Aux Philippines une république fantoche est proclamée, la Malaisie est partagée entre la Thaïlande et une gestion par l'armée japonaise, l'Inde se voit elle reconnaitre un gouvernement pro-japonais en exil avec Subhas Chandra Bose à sa tête[264]. Ce n'est qu'en que la décision d'intégrer plus formellement ces territoires dans la sphère d'influence japonaise est prise, au terme d'une conférence impériale. La Birmanie et les Philippes se voient confirmer leurs gouvernements nationaux, La Birmanie se voit reconnaitre un État avec Ba Maw à sa tête, alors que l'Indonésie et la Malaisie sont administrés directement par le Japon. Dans le même temps le Japon resserre ses liens avec le gouvernement collaborateur chinois en signant une alliance militaire avec lui en [265]. Une Conférence de la grande Asie orientale est organisée en pour formaliser cette union politique autour du Japon sous la forme de la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, mais les importants revers militaires qui frappent déjà le Japon à cette date en font rapidement une coquille vide. La Japon pressé par ses besoins en ressources cherche à piller assez largement les pays sous sa domination jusqu'à leurs redditions[147]. Cependant, les importations de ressources depuis ces pays restent très limitées, la marine japonaise perdant une grande partie de ses capacités de transports au fur et à mesure de l'avancé du conflit[266].
- Expansion maximale de l'Empire du Japon, avec ses colonies et sa sphère d'influence.
- Poster de recrutement de fermiers japonais pour les inciter à s'installer en Manchourie.
- Livret de propagande montrant sous l'optique japonaise sa sphère d'influence, et les périls anglo-américains la menaçant.
- Vidéo de propagande japonaise vantant les actions du Japon en Indonésie.
Emigrations japonaises
Avec l'ère Meiji prend fin l'interdiction faite aux Japonais de se rendre à l'étranger. De nombreux travailleurs en profitent pour aller chercher du travail à l'étranger. Ce flux de migrants est continuel pendant la période, mais leurs destination évoluent en fonction des priorités du gouvernement japonais et des gouvernements locaux[267].
Lors de l'ère Meiji, c'est d'abord vers Hawaii que les travailleurs japonais s'orientent, avant de gagner aussi la côte ouest des États-Unis, en particulier la Californie, mais aussi la région de Vancouver[267]. Les japonais y rencontrent cependant un rejet des populations locales, et plusieurs mesures légales sont prises au fils du temps pour limiter leurs possibilités d'émigration et d'intégration. Les accords nippo-américains de 1907 vont jusqu'à pousser le gouvernent japonais à prendre des mesures pour empêcher ses ressortissants à émigrer aux États-Unis, sur demande du gouvernement de ce pays. Des tensions entre États-Unis et Japon sur cette question resurgissent dans les années 1920 lorsqu'un mouvement anti-asiatiques obtient la mise en œuvre de nouvelles mesures. Une quinzaine d'États font passer des lois pour interdire la possession de propriétés par des Japonais à partir de 1920. Le congrès adopte en 1921 des quotas d'immigration très défavorables aux japonais, la Cour suprême juge les japonais inéligible à la citoyenneté américaine, et la loi d'immigration Johnson-Reed de 1924 restreint de manière encore plus drastique l'immigration japonaise dans le pays[120]. Toutes ce mesures catalyse à partir des années 1920 la défiance existante entre responsables japonais et américains[268]. Ainsi, si le nombre de japonais présents sur le contient passe de 76 709 à 131 357 en 1909 et 1924, il redescend et se stabilise autour 111 184 en 1936 ; A Hawai la situation est différente, le nombre de japonais continuant de croitre sur la même période, passant de 65 760 en 1909 à 123 036 en 1924, puis progressant à 152 199 en 1936[269].
L'Amérique du Sud, le Pérou et le Brézil en particulier deviennent des destinations importantes à partir du milieu des années 1920. Le nombre de japonais au Pérou passe ainsi de 9 864 à 22 570 entre 1924 et 1936, et au Brézil[267] leur nombre passe lui de 605 en 1909 à 41 774 en 1924 puis à 193 057 en 1936[269]. La Mandchourie, qui est transformé en État fantoche dirigé par l'armée japonaise, est aussi une destination importante à partir des années 1930[267], et le nombre de japonais y passe de 31 427 en 1909 à 93 223 en 1924 puis à 376 036 en 1936[269].
L'émigration japonaise vers ses colonies comme la Corée et Taiwan est plus limitée et se heurte à plusieurs contraintes. La Corée est déjà très peuplée, et Taiwan comme Korafuto possèdent des climats peu favorables aux japonais. Les migrants japonais sont au début essentiellement des petits paysans et des travailleurs pauvres, ce qui limite le succès de leurs intégrations. Ils accaparent cependant terres et ressources au détriment des populations locales, ce qui créé de l'animosité entre locaux et migrants[270]. Lorsque cette phase prend fin, et qu'une nouvelle vague de migration s'enclenche dans les années 1920 celle-ci est plus limitée. L'État instaure avec peu de succès des incitations pour que japonais s'établissent à Taiwan et en Corée, mais les colonies agricoles y restent limitées. La population japonaise reste très minoritaire comparée aux locaux : ils ne représentent que 5,6% de la population de Taiwan en 1930, et 2,9 % de la population de la Corée en 1939. Cette faiblesse numérique limite leur poids politique dans l'archipel, et ils peinent à faire évoluer la politique coloniale[271]. Ils se concentrent cependant dans les strates les plus élevées de la population localement, où ils occupent dans postes dans les administrations, dans le commerce, ou dans l'industrie. C'est une population essentiellement urbaine, en 1938 la moitié de la population japonaise en Corée se concentrant dans 10 agglomérations, et à Taiwan 41 % de la population japonaise de concentre dans la capitale Taipei[272]. Seule exception notable, la Micronésie voit elle une émigration japonaise mettre en minorité sa population locale[249].
La fin de la seconde guerre mondiale et l'effondrement de l'empire colonial japonais déclenche le retour en masse des émigrants japonais, civils comme militaires. Immédiatement après guerre ce sont 700 000 personnes qui sont ainsi rapatriés depuis la Corée, et 470 000 personnes depuis Taiwan, la plupart avant la fin de l'année 1946. À partir de 1956 un demi-million de prisonniers de guerre[n 10] capturés lors de l'offensive soviétique de Mandchourie sont progressivement libérés[273]. À de nombreuses reprises, le gouvernement japonais organise l'avortement des japonaises victimes de viols avant leurs retour. Au total, six millions de personnes, soit 8 % de la population japonaise de l'époque est ainsi rapatriée[274].
- Affiche de 1906 appelant à une manifestation contre la présence d'écoliers japonais dans les écoles à San Francisco.
- Affiche incitant des japonais à aller s'installer au Brésil.
- Après l'entrée en guerre du Japon contre les États-Unis, les nippo-Américains sont internés dans des camps (ici celui de Manzanar) suite au Décret présidentiel 9066 de 1942.
- Colons japonais rapatriés de Mandchourie en 1946
Minorités au Japon et dans l'Empire
Plusieurs minorités peuplent le Japon et l'empire, ce qui est la cause d'interrogation pour les pouvoirs successifs.
Les Burakumin sont à l'origine un groupe social japonais discriminé socialement et économiquement en raison de leurs professions, jugées impures selon les standards bouddhistes. Ils ne font pas l'objet de mesures particulières ou de politiques discriminantes de la part de l'état mais subissent un rejet de la part de la population. Cette discrimination peut être source de troubles, ce qui inquiète le pouvoir politique. Une forme d'activisme apparait dans les années 1890 au sein de la communauté des Burakumin pour normaliser les conditions de vie et leurs rapport avec le reste des japonais, et cet activisme s'intensifie à partir de 1920. Une association national voit même le jour en 1922, la Zenkoku Suiheisha qui connait un succès rapide et dispose de 703 bureaux locaux dès 1925. Les avancées sont cependant modestes, et l'État reste suspicieux envers le dynamisme de l'association, préférant soutenir des initiatives moins radicales[275].
Les migrants coréens au Japon et dans l'empire sont confrontés à des problématiques propres. Attiré au Japon par des promesses de travail dans des secteurs comme l'industrie, les mines, ou la construction, ils arrivent en nombre dans l'archipel après la transformation de la Corée en colonie en 1910. S'ils ne sont que 1 000 cette année là, ils sont 300 000 en 1930, environ 1 million en 1940, puis 2 million à la fin de la guerre. La plupart sont issues des campagnes coréennes les plus pauvres, et près de la moitié sont illettrés. Ils jouissent d'une très mauvaise réputation dans la population japonais. Ainsi lors du séisme qui ravage Tokyo en 1923, entre 4 000 et 6 000 coréens périssent lapidés par la foule qui les accuse de divers méfaits. À côté de cette immigration de travail existe aussi une immigration d'étude. 481 coréens étudients dans les universités japonais en 1915, et ce chiffre passe à 8 000 en 1930 puis à 29 000 en 1942. Le pouvoir japonais est très méfiant envers cette immigration, suspecte d'entretenir des liens avec les mouvements d'extrême-gauche locaux. La plupart de ces étudiants soutenant l'indépendance de la Corée, le pouvoir japonais craint que ces étudiants ne cherchent à créer des troubles dans l'archipel en ralliant les travailleurs coréens au Japon[276].
Les aïnous à Hokkaidō et Karafuto subissent le développement rapide de ces territoires. Marginalisés, ils subissent un phénomène d'acculturation rapide. Le gouvernement japonais cherche à les assimiler via l'éducation, et en particulier l'enseignement du Japon. Plusieurs de leurs pratiques culturelles comme les tatouages et les boucles d'oreilles sont interdits. À partir des 1920 des aïnous éduqués commencent à se réunir pour préserver et valoriser leurs traditions, mais le gouvernement favorise au contraire à favoriser leurs assimilation. Les aïnous sont aussi régulièrement étudiés pour soutenir les théories raciales de l'époque, et leurs cultures souvent utilisée pour les besoins des touristes[277].
- Membres de la Zenkoku Suiheisha, association de défense des droits des Burakumin, en 1924.
- Mémorial aux 40 000 et 70 000 coréens morts lors des Bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, la plupart migrants venu chercher du travail au Japon.
- Groupe d'aïnous envoyés par le Japon à Saint-Louis pour l'Exposition universelle de 1904
Société
Démographie
Après une période de stabilité démographique à la fin de l'ère Edo, la population repart à la hausse en passant de 30 à 50 millions de personnes entre 1870 et 1915, soutenue par une baisse de la mortalité infantile, et une hausse des naissances et de l'espérance de vie. Cette croissance est rendue possible grâce à l'augmentation des importations de riz et la mise en valeur de terres arables à Hokkaidō[42] (la surface des champs y passant de 45 000 à 750 000 chō de 1890 à 1920, et la surface des rizières de 2 000 à 83 000 chō sur la même période). La part de la population citadine connaît aussi une hausse : 28 % des Japonais vivent dans des villes de plus de 10 000 habitants, contre 16 % en 1893. Tokyo atteint les 2 millions d'habitants et Osaka 1 million en 1903, cette dernière triplant sa taille en un demi-siècle. Cet essor de la population urbaine entraîne une baisse du poids de l'agriculture dans le PIB du pays, celui-ci passe de 45 % en 1885 à 32 % en 1914[278].
Entre 1914 et 1940, la population continue de croître, passant de 51 millions d'habitants à 70 millions. Alors que 28 % des Japonais vivent dans une ville de plus de 10 000 habitants en 1913, ils sont en 1940 29 % à vivre dans une ville de plus de 100 000 habitants. Tokyo passe de deux millions d'habitants en 1905 à 5,5 millions en 1935, se hissant au même niveau que Londres ou New York[279]. Cette poussée démographique est aussi notable à Hokkaidō qui, de région nouvellement colonisée, se peuple jusqu'à atteindre un niveau comparable aux autres régions de peuplement plus ancien. De 1 800 000 habitants en 1913, sa population passe à 3 millions en 1940, et son réseau urbain se structure autour de trois villes de plus de 100 000 habitants : Hakodate, Sapporo, et Muroran[280]. La question de la surpopulation devient un enjeu politique à partir du milieu des années 1910. Alors qu'une féministe comme Shidzue Katō préconise le contrôle des naissances, des leaders politiques s'y opposent, y voyant une menace pour la vigueur de l'industrie et du colonialisme japonais[281]. À la fin des années 1930, on dénombre plus de deux millions de Japonais dans les colonies du pays et un million vivant dans d'autres pays[282].
Enseignement
Un Ministère de l'Éducation est créé en 1871, avec la charge de mettre en place un système éducatif à l'échelle du pays[283]. L'éducation de la population est une des priorité du régime, qui la voit comme un prérequis à la modernisation du pays[284]. Une éducation primaire obligatoire de quatre ans est instaurée. Malgré un budget insuffisant, des résultats sont assez rapidement enregistrés. Une enquête de 1875 relève que près de 20 000 écoles primaires sont en activité, mais opèrent dans des conditions matérielles assez variées : 40 % sont hébergées dans des temples bouddhistes (souvent d'anciennes Terakoya), 33 % dans des maisons de particuliers, et 18 % dans des bâtiments nouveaux destinés à l'éducation[283]. La scolarisation est aussi marquée par un déficit de l'éducation des filles. Toujours en 1875, seules 20 % d'entre elles sont scolarisées, contre 50 % pour les garçons, ce retard ne sera rattrapé que vers 1900[284]. L'alphabétisation progresse assez lentement, l'absentéisme pouvant être élevé. En 1892, une enquête de l'armée indique que 27 % des recrues sont totalement illettrées, et 34 % le sont partiellement[285]. Plus largement, l'efficacité des politiques décidées au ministère se heurte à l'autonomie encore grande des autorités locales, le contenu des cours pouvant grandement varié d'une école à une autre[286]. Bien que l'éducation soit obligatoire, son financement reste à la charge des familles et des collectivités locales. Les familles sont aussi réticentes à l'idée de laisser leurs enfants aller à l'école, alors qu'ils peuvent travailler pour financer les besoins de la famille[283].
Pour pallier les différents écueils enregistrés lors des premières années, et dans le cadre de la réorganisation du gouvernement en cabinet, un premier ministre de l'éducation est nommé en 1885, Mori Arinori. Celui-ci réforme le système éducatif, qui va prendre une forme qui va perdurer jusqu'à la fin de la période impériale. Très centralisé[287], il voit se créer à son sommet un système universitaire public, avec la constitution d'un réseau d'universités impériales[n 11]dans les plus grandes villes du pays[288]. Mori met aussi en place une école de formation des enseignants à Tokyo, de manière à uniformiser leur formation et à s'assurer de leur loyauté envers l'État et non envers un pouvoir local[289]. En 1890, le Rescrit impérial sur l'éducation vient fournir un cadre morale à l'éducation[290]. La taux de scolarisation monte à 69 % dès 1898, et est presque de 100 % à la fin de l'ère Meiji. La durée de scolarité obligatoire est étendue à six ans en 1907[291].
Le début de l'ère Meiji voit aussi s'ouvrir de très nombreuses écoles privées, dont le cursus est destiné à l'enseignement de l'anglais et/ou de savoirs occidentaux. Si la plupart périclitent, certaines vont évoluer pour constituer les premières universités privées. Ces écoles sont en majeure partie situées à Tokyo, mais des centres culturels importants comme Kyoto sont aussi concernées. Si elles ont surtout le fait de formateurs japonais, certaines comme Dōshisha à Kyoto sont liées à divers mouvements chrétiens[292]. D'autres comme Waseda ou Keiō sont liées à des personnalités politiques ou intellectuelles[293].
Une jeunesse de plus en plus éduquée voit toutefois se réduire les possibilités d'ascension sociale par le biais de l'éducation, puisque seul le nombre de postes subalternes augmente dans les entreprises dans les années 1890[294]. Cette population éduquée bénéficie dans le même temps d'un plus large accès aux écrits de journalistes et de critiques[295]. L'enseignement supérieur accueille aussi de plus en plus d'étudiants : de 9 695 en 1915, leur nombre passe à 81 999 en 1940[296]. Ce développement de l'enseignement supérieur est encouragé par la Loi sur l'université de 1918 qui permet à plusieurs écoles spécialisées de se constituer en universités privées. Ces dernières sont au nombre de 30 en 1930 et diplôment 15 000 étudiants par an, pour des effectifs totaux d'environ 40 000 étudiants[297]. Les diplômés de l'enseignement supérieur restent cependant une infime minorité des japonais, et ne représentent que 0.3 % de la population dans les années 1930. Les femmes restent aussi sous représentées et ne représentent que 9.9 % de la population étudiante en 1937. Presque exclues des universités nationales, elles peuvent néanmoins compter sur une cinquantaine d'écoles et d'universités réservées aux femmes[298].
La politisation gagne l'enseignement supérieur. Les idées marxistes se diffusent dès les années 1890[299]. Des associations politiques étudiantes radicales, de gauche comme de droite se constituent sur les campus dès les années 1910[296]. Les Lois de préservation de la paix de 1925 touchent les campus, et 3 000 étudiants sont arrêtés en application de celle-ci pour leurs activités à l'extrême-gauche, dont 1 170 pour la seule année 1932, et 1 000 de plus entre 1937 et 1945[300]. Des enseignants sont aussi emprisonnés pour les mêmes raisons[301].
Le système éducatif est assez largement mis à contribution de l'effort de guerre dès le début de la guerre contre la Chine en 1937. L'accent est mis dans l'enseignement supérieur sur la formation d'ingénieurs et de médecin au travers de la création de nombreux instituts de recherche[302]. Entre 1935 et 1945 le nombre d'étudiants dans les facultés de sciences passe de 9 000 à 30 000, et celui dans des facultés d'ingénierie de 14 837 à 85 680[n 12],[303]. Un entrainement militaire obligatoire est aussi institué, dès 1924 dans l'enseignement secondaire, puis en 1939 dans les universités. Les étudiants sont assez largement épargnés par la conscription, mais la situation change à partir du déclenchement de la guerre contre la Chine en 1937, et l'âge est peu à peu abaissé pour intégrer la plupart des étudiants[304]. 130 000 sont ainsi mobilisés par l'armée en 1943[305]. Les élèves du secondaire et les étudiants servent aussi de réserve de main d'œuvre pour les secteurs prioritaires. Un service de travail des élèves, ou gakuto dōin, est instauré en 1939[306]. Au , environ 3,5 millions d'élèves et d'étudiants travaillent par ce biais dans des fermes, des usines, ou des hôpitaux pour pallier le manque de main-d'œuvre[307].
- Exemplaires du Rescrit impérial sur l'éducation de 1890.
- L'université impériale de Tokyo fondée en 1877 inaugure la mise en place d'un système universitaire prenant comme modèle les équivalents occidentaux.
- Écolières formées au maniement des armes en 1945.
Pratiques religieuses
Shintō
Le shintō connait à la fin de l'Époque d'Edo un mouvement de rénovation. Initialement constitué comme un ensemble de rites de la cour au VIIe siècle, il évolue au Moyen-Âge sous l'influence du bouddhisme pour intégrer différents rites et croyances liés aux Kami. Les écoles de pensée Mitogaku et Kokugaku vont au XVIIIe siècle commencer à l'envisager comme un socle possible de rénovation du pays. L'idée de la vénération de l'empereur commence à toucher la population au travers de slogans politiques comme Sonnō jōi (« vénérez l'empereur, expulsez les étrangers »). En plaçant en son centre la figure de l'empereur, la restauration de Meiji va placer le shintō dans une position favorable pour fournir à l'État ses rites et sa légitimité[308].
Le shintō voit de 1868 à 1890 son corpus idéologique être rénové[309]. La proclamation Taikyō (en) de 1870 consacre le caractère divin de l'empereur[310]. Les sanctuaires sont intégrés au sein de l'État en tant qu'institutions relevant de la puissance publique, et sont traités comme ne relevant pas d'une religion. Les rituels shintō mis en œuvre au sein de la maison impériale connaissent une rénovation. Les différents sanctuaires sont réorganisés au sein d'un réseau national[n 13] hiérarchisé qui a à sa tête le sanctuaire d'Ise[309]. La portée de cette évolution reste limitée en raison des faibles compétences et des dissensions au sein des représentants du shintō[n 14], son très faible financement, mais aussi en raison de l'opposition des pouvoirs bouddhistes, en particulier après l'épisode de Shinbutsu bunri de 1868 à 1872[311]. La formation des prêtres est cependant centralisée et améliorée au sein du sanctuaire d'Ise où le prince Kuni Asahiko institue en 1878 un groupe de travail, et d'autres initiatives de ce type suivent comme la fondation du Kokugakuin en 1882[309].
À partir de 1890 et jusqu'à la guerre russo-japonaise en 1905, le shintō voit sa doctrine se consolider[309]. La période commence avec la promulgation de la constitution de l'Empire du Japon et du Rescrit impérial sur l'éducation en 1890 qui l'un et l'autre réaffirment la primauté et la centralité de l'Empereur au sein de l'État. Les rituels shintō sont légitimés en tant qu'outils de vénération envers l'empereur[309]. La pratique de ces rituels s'inscrit dans la population au travers des pratiques auxquelles doivent se plier les élèves et auxquelles se joignent à l'occasion la population locale (visites de sanctuaires, fêtes scolaires...)[312]. Signe d'un début d'enracinement dans la population, des associations locales se constituent par endroits pour aider à financer le fonctionnement de sanctuaires locaux, ou à faire campagne auprès de la Diète pour obtenir des financements[313]. Tokyo commence à se transformer en lieu de grands rituels shintō, à l'image de ce qu'est encore Kyōto. Après la première guerre sino-japonaise de 1895, Yasukuni-jinja (construit en 1869) est consacré en comme lieu d'hommage national aux âmes des soldats morts pour le pays, et ce rôle est rappelé à l'issue de la guerre russo-japonaise de 1905[314].
L'intégration du shintō au sein de l'appareil d'État se poursuit de la fin de l'ère Meiji et lors de l'ère Taishō, et il touche plus largement la population. L'État parfait son contrôle sur l'institution shintō et assure son financement, et le shintō fournit à l'État à la fois une base idéologique et un réseau de sanctuaires permettant de mobiliser en profondeur la population japonaise[309]. À partir de 1906 les prêtres reçoivent de l'argent de l'État lorsqu'ils assurent des rituels publics[315], tout comme l'école Kokugakuin de formation des prêtres, ainsi que les sanctuaires préfectoraux[316]. Le financement que touchent les quelque 15 000 prêtres au début de cette période reste très limité. De même le sous-financement des sanctuaires pousse nombre d'entre eux à se rapprocher pour fusionner ; leur nombre passe de 200 000 en 1906 à 120 000 en 1914[313]. Signe d'une plus grande pénétration au sein de la population, la construction de Meiji-jingū de 1915 à 1920 mobilise un très grand nombre de volontaires dans tout le pays[317].
Le shintō évolue à partir des années 1930 vers une forme de fascisation qui sert de fondement moral au régime militariste. Ce shintō d'État renforce la place du shintō comme véritable religion d'État, au détriment des autres religions qui sont diversement combattues. Le shintō fournit au gouvernement une légitimation à l'expansion militaire du pays en Asie[309].
- Le sanctuaire de Meiji-jingū est construit grâce à une importante contribution du public.
- Des sanctuaires shintō sont construits dans les territoires de l'empire, comme ici à Shenyang.
Bouddhisme
Le bouddhisme est durement touché lors de la restauration de Meiji. Un syncrétisme s'est développé entre bouddhisme et Shintō au cours des siècle[318]. Influencé par les préceptes des Kokugaku[319],[n 15], le Jingi-kan qui dirige au sein de l'état les affaires liées au Shintō ordonne le une séparation des deux religions, et une épuration des sanctuaires[318]. Le but est alors de lutter contre l'influence des pouvoirs bouddhistes sur la société, perçus comme des éléments conservateurs s'opposant à la modernisation du pays[319]. Ordre est donné aux prêtres bouddhistes exerçant dans des sanctuaires syncrétiques de se convertir au Shintō ou de démissionner. Les objets du cultes comme les statues et les textes sacrés doivent être évacués. La plupart des prêtres font le choix de se convertir, et vont jusqu'à afficher ce renoncement en prenant des concubines ou en mangeant de la viande de manière ostentatoire, pratiques proscrites pour les prêtes bouddhistes[320]. Ce processus est souvent violent, en entraine de nombreux pillages de temples et destructions d'objets[321]. Le gouvernement prend quelques mesures pour éviter les débordements, mais celles-ci sont variablement interprétées par les autorités locales, et les troubles durent jusqu'au début des années 1870. Des cloches sont fondues pour en faire des armes, des statues profanées, et des temples sont saisis par les autorités locales, comme à Satsuma[322]. Dans les réions les plus durement touchées, la plupart des temples sont détruits, et de nombreux moines tués[323]. Cette politique touche variablement les différents courants bouddhistes. Les temples Shingon et Tendai voient nombre de leurs prêtres se convertir au Shintō, là où le Jōdo shinshū se montre plus virulent dans son opposition et des émeutes éclatent à l'occasion pour protéger ses temples[324]. Cette politique contre le bouddhisme s'infléchie en 1872, et les relations avec l'État se normalisent[325].
Cet épisode de violences envers le bouddhisme pousse certains réformateurs de cette religion à s'interroger sur la place de la religion dans la société et à ses apports. Des réformes de plusieurs types vont être proposées, et dans le même temps la loyauté de cette religion envers l'empereur va être réaffirmée. Un nouveau bouddhisme, ou shin bukkyō, voit le jour sous plusieurs formes, et des figures comme Kiyozawa Manshi émergent[326]. Le bouddhisme monastique va aussi connaitre des évolutions, sous l'influence de Fukuda Gyōkai (de) (Terre pure) ou Shaku Unshō (Shingon), et le suivi des 10 règles du bouddhisme est réaffirmé. Plus généralement, les bouddhistes tirent profits de la méfiance envers le christianisme qui s'installe dans le pays à partir des années 1880. Ils en profitent pour réaffirmer leurs loyauté envers l'empereur[327], et cherchent à aligner leurs intérêts avec ceux qui nationalistes. De nombreux moines sont ainsi actifs pour exploiter politiquement l'incident causé par Uchimura Kanzō en 1891 ; enseignant chrétien, celui-ci est vu entrain d'hésiter à se prosterner devant l'image de l'empereur, ce qui est à l'origine d'une importante affaire médiatique. Une personnalité comme Inoue Enryō cherche lui à démontrer que le les préceptes du bouddhisme sont compatibles avec la science, et affirme que le bouddhisme est même supérieur au christianisme dans sa scientificité[328]. Tanaka Chigaku va lui développer une école dont la doctrine soutient l'expansionnisme japonais en Asie[329].
Les années 1930 vont être marquées pour le bouddhisme japonais par l'émergence de nouveaux courants, mais aussi par une implication plus ou moins marquée dans le militarisme japoanais. Des Shinshūkyō, ou « nouvelles religions », relevant du bouddhisme sont fondées. Elles ont en commun d'être influencées par le Bouddhisme de Nichiren, de pratiquer un prosélytisme important, et de mettre l'accent sur les bénéfices immédiats que les pratiquants peuvent tirer de leurs enseignements, et non sur des notions plus intangible comme l'illumination ou le salut. La Sōka gakkai fondée en 1930, la Reiyukai fondée en 1920, et la Risshō Kōsei Kai fondée en 1938 sont les plus notables[330]. Le bouddhisme japonais est aussi marqué par une certaine ambivalence envers les guerres que le Japon mène. Tout une frange nationaliste du bouddhisme soutient moralement la guerre, et participe à celle-ci en envoyer des moines sur le terrain pour fournir un soutien moral et médical aux soldats[331]. D'autres écoles sont au contraire attaquées par le gouvernement en raison de leurs enseignements, et de leurs refus de les réformer pour les rendre compatibles avec la doctrine impériale, ce qui entraine l'emprisonnement de certains dirigeants comme Tsunesaburō Makiguchi[332].
Christianisme
Le christianisme connait des persécutions tout au long du époque d'Edo, et en 1865 près de 3000 chrétiens qui dissimilaient leur foi à Urakami dans la région de Nagasaki sont encore déportés et emprisonnés. Ce n'est qu'en 1873 que la pratique du christianisme est officiellement autorisée par les nouvelles autorités. Des conseillers étrangers invités dans le pays à partir de 1868 pour former les japonais aux techniques occidentales profitent de leurs positions pour pratiquer un prosélytisme pro-chrétien auprès de leurs étudiants. Leroy Lansing Janes est ainsi à l'origine du Kumamoto Band (en)[292], groupes de convertis qui rejoindront par la suite Kyoto et l'Université Dōshisha fondée par le missionnaire protestant Neesima, et constituer une part importante de son corps enseignant[333]. À Sapporo, c'est William Smith Clark qui convertit une partie de ses étudiants de la future Université de Hokkaidō ; un de ses étudiants, Uchimura Kanzō, jouera un rôle central dans l'essor du mouvement chrétien Mukyōkai[334]. À Yokohama, où réside une commuanuté étrangère importante, c'est la figure du missionnaire James Curtis Hepburn qui est prédominante[335]. À côté de ce protestantisme qui recrute essentiellement dans les couches aisées d'un Japon urbain, des missionnaires catholiques sont eux plutôt actifs dans les régions les plus rurales. Des orthodoxes sont aussi présents dans la région de Hakodate où Nicolas du Japon exerce depuis 1861. Cette diffusion du christianisme connait un certain dynamisme dans les années 1880, mais qui connait ses limites dès la fin de la même décennie, sous la poussée d'un certain conservatisme politique[336].
Le nombre de convertis augmente régulièrement. Les catholiques sont environ 100 000 en 1927, essentiellement dans les diocèses de Nagasaki (64 000) et de Tokyo (10 000)[337]. Les différents courants protestants regroupent de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de convertis, les plus importants en 1941 étant les presbytériens (62 000), les méthodistes (53 000), les épiscopaliens (28 000), et le Mouvement de sanctification (16 000)[338]. Ces différents mouvements sont actifs dans le système scolaire du pays, et fondent même des collèges universitaires et des universités dans le pays (la Tokyo Woman's Christian University fondée par des presbytériens et des méthodistes, l'Université Rikkyō par des épiscopaliens, l'Université Sophia par des jésuites)[339]. L'État, basé sur le shintoïsme d'État et le caractère divin de l'empereur, est de plus en plus suspicieux envers des mouvements chrétiens. La montée du militarisme dans les années 1930 s'accompagne de plusieurs mesures et lois qui visent à contrôler ces religions, dont la Religious Organizations Law (en) de 1939[340]. Elles doivent démontrer qu'elles ne dépendent pas financièrement de l'étranger, et leurs chefs doivent être des Japonais[341]. Sous la pression des autorités, leur catéchisme est aussi réécrit entre 1936 et 1940 de manière à être compatible avec la vénération de l'empereur et la visite et la participation à des cérémonies shintō[342].
Condition féminine
L'exemple à suivre qu'est l'occident pour les classes les plus favorisées amènent certaines évolutions pour les femmes dès le débuts l'ère Meiji. Certaines modes comme le noircissement des dents et la tonte des sourcils disparaissent, alors que la mode des cheveux longs se diffuse. Certains lois deviennent plus favorables aux femmes, comme en 1870 celle octroyant aux concubines la même protection que les épouses légitimes, ou celle qui en 1872 libèrent les prostituées de leurs servitudes[343]. La question du statut de la femme dans la société devient un thème important de débat, notamment porté par le mouvement pour la liberté et les droits du peuple dans les années 1870 et 1880. La Meiroku zasshi, revue associée à ce mouvement, propose des traductions de textes de Spencer, Mill et Millicent Fawcett sur les droits des femmes, et de nombreux débats sont menés dans ses pages à ce sujet. L'angle adopté est cependant davantage celui du droit naturel que celui du droits des femmes. Ce dernier angle sera davantage développé sous la plus de Fukuzawa Yukichi dans Nihon fujinron (en 1885). Une revue comme Jogaku zasshi éditée à partir 1885 permet à des auteures comme Kishida Toshiko et Shimizu Shikin s'y développer leurs idées sur divers sujet comme l'émancipation et l'éducation des femmes, les questions familiales…[344]
Le tournant conservateur que prend le pays à partir de 1890 va cependant contrarier la réalisation de ces diverses aspirations libérales. Cette année-là, les femmes se voient interdire la participation à des meetings politiques ou l'adhésion à des partis politiques[345], et un retour à une tradition confucianiste défavorable aux femmes est sensible dans l'adoption du rescrit impérial sur l'éducation la même année. En 1898, le code civil japonais renforce le poids des hommes dans les questions d'héritage[346], et en 1899, le ministère de l'Éducation crée des lycées réservés aux femmes[345] mais ceux-ci sont institutionnellement classés comme inférieurs aux lycées réservés aux hommes, et n'ouvrent pas l'accès aux études universitaires[346]. Toujours en 1899 est publié un rescrit qui fixe un cadre moral à l'éducation dans ces lycées réservés aux femmes, qui introduit le concept de ryōsai kenbo (« Bonne épouse, sage mère ») et qui fixe ainsi l'objectif de la scolarisation des femmes. Ce concept de ryōsai kenbo est largement relayée dans la presse féminine jusqu'à l'après-guerre[347]. Pour combattre cette situation, un journal féministe comme Sekai Fujin est créé en 1907 par Fukuda Hideko[348], et, en 1901, Tsuda Umeko fonde une école réservée aux femmes : le Collège Tsuda[349].
À partir des années 1910, plusieurs évolutions sont notables. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans des postes de cols blancs (le tiers des enseignants du primaire dans les années 1920 sont des enseignantes)[350]. La féministe Raichō Hiratsuka fonde en 1911 le journal Seitō, dont le nom est une référence à la Blue Stockings Society britannique. La revue péréclite dès 1916, mais introduit plusieurs sujets féministes dans le débat, notamment auprès des femmes venant des couches les plus aisées de la société. L'Association de la femme nouvelle (en) créé en 1920 reprend le flambeau[351]. En 1922, grâce à une évolution de la loi les femmes sont autorisées à s'organiser politiquement et à assister à des meetings politiques[352], ce qui permet de relancer la question du droit de vote des femmes[351]. Ichikawa Fusae joue alors un rôle important sur cette question, en créant en 1924 une ligue pour le droit de vote des femmes[353]. Plusieurs initiatives législatives sont prises dans ce sens, la dernière en 1931[354] lors du gouvernement de Osachi Hamaguchi. Aucune n'aboutit, et le droit de vote n'est accordé que lors de l'occupation américaine du pays. Le Japon voit aussi la féministe Margaret Sanger se rendre dans le pays, et y effectuer une tournée de conférences[353].
Dans les années 1920, quelques femmes obtiennent dans le monde du spectacle une visibilité importante associée à une image de modernité, ce qui aboutit à la promotion de la figure de la modan gaaru[355].
Le début de la guerre contre la Chine en 1937 marque le début d'une participation plus importante des femmes à des pans de l'économie auparavant réservés aux hommes. Le nombre d'étudiantes dans les filières de santé double ainsi entre 1935 et 1945 pour dépasser les 10 000, et certaines intègrent les laboratoires de recherche des universités[303].
Pratiques sportives
De nouvelles pratiques sportives sont introduites dans le pays avec la constitution de communautés occidentales de plus en plus nombreuses dans les villes portuaires[356]. Le baseball, le tennis, le football, et le cricket sont ainsi introduits à Yokohama ou Kōbe, et des ligues sportives informelles se constituent pour organiser localement des rencontres sportives. L'école est un autre vecteur d'introduction du sport au Japon. Des conseillers étrangers comme Horace Wilson ou Archibald Lucius Douglas qui exercent comme enseignant, ainsi que des étudiants japonais revenant de l'étranger, poussent à la pratique sportive dans le cadre des activités extra-sportives des étudiants. Leurs initiatives rencontrent un échos favorable chez les responsables politiques de l'époque comme Mori Arinori, qui considère que le relèvement morale du pays doit aller de concert avec le relèvement physique des japonais[357].
La pratique du sport dans les écoles et les universités entraine la création de ligues sportives et de compétitions régionnales puis nationales. Celles-ci vont être à l'origine d'une culture sportive, entrainant la création de rivalités entre écoles ou l'écriture de chants d'encouragement par exemple, mais aussi permettre d'élever le sport au rang de spectacle auquel un public de plus en plus nombreux va assister[357]. Les premières vedettes sportives vont émerger dans les années 1920, à l'instar de Kinue Hitomi, qui lors des Jeux olympiques de 1928 devient la première japonaise à remporter une médaille olympique et qui par la suite fait la couverture de plusieurs journaux[358]. D'autres sports disposent de leurs vedettes, comme Hitachiyama Taniemon (en) pour le sumo ou Eiji Sawamura pour le baseball[359]. Ce dernier sport en particulier s'impose comme sport à la mode avec la création en 1914 du Kōshien, compétition nationale lycéenne, à laquelle assiste même le prince héritier Hirohito en 1926. Ces sports vont voir se constituer des ligues nationales visant à l'organisation de compétitions à l'échelle du pays, mais aussi pour faire jouer des équipes nationales à l'étranger : La Fédération japonaise de football est créée en 1921, et la Ligue japonaise de baseball en 1936[360].
Le Japon dispose par ailleurs déjà de plusieurs pratiques physiques locales, comme le Kemari et le sumo[356]. Sous l'influences des sports occidentaux, celles-ci vont connaitre une évolution pour en faire des pratiques à visée sportives, avec une organisation et une médiatisation inspirées des autres sports. L'Association japonaise de sumo est créée en 1925, et la diffusion à la radio des compétitions à partir des années 1920 va permettre d'accroitre son audience[360]. D'autres arts martiaux locaux issus du Budō vont connaitre une évolution semblable ; le karate est codifié sous l'influence de Ankō Itosu et de Gichin Funakoshi, le judo l'est par Jigorō Kanō, ou encore l'aikidō par Morihei Ueshiba. Avec la montée du militarisme dans les années 1930, l'origine japonaise de ces sports d'origine martial va être mis à profit par le pouvoir pour exalter et incarner des vertus prônées par l'état[361].
- Match de rugby en 1874.
- Équipe de baseball de l'université Waseda en 1905.
- Kinue Hitomi fait la couverture du Mainichi shinbun en 1926.
- Le Kokugikan, reconstruit dans les années 1920 pour accueillir les compétitions de sumo.
Média
Le Japon dispose à la fin de l'époque d'Edo une certaine tradition dans l'édition de prospectus traitant de l'actualité. Dans les grandes villes comme Edo (Tōkyō), Kyōto, et Ōsaka éditent des kawara-ban qui peuvent à l'occasion traiter d'évènement politiques. L'essentiel de la production vise alors les élites capables de comprendre le chinois classique, ou le peuple qui a lui accès à du contenu illustré. A l'initiative du nouveau régime, un premier journal à l'occidentale voit le jour en 1870, le Yokohama Mainichi[362]. Dès 1872 cinq journaux quotidiens sont créés à Tōkyō qui reprennent cette forme. Ils traitent assez largement de politique, et critiquent à l'occasion le gouvernement, ce qui entraine l'adoption d'une première loi sur la presse et la diffamation en 1875 permettant d'établir une certaine forme de censure. Une spécialisation entre les différents titres de presse, entre « grands journaux » traitant de politique et « tabloïds » traitant de faits divers ou sensationnels. Cette seconde catégorie de journal voit apparaitre le Yomiuri shinbun à Tōkyō en 1874 et le Asahi shinbun à Ōsaka en 1879. A coté de ces titres se constitue aussi des journaux comme le Jiji shimpō (créé par Fukuzawa Yukichi en 1882) ou le Kokumin Shimbun (ja) (créé par Tokutomi Sohō en 1890) qui attirent à eux un lectorat plus interessés par les grandes questions politiques et sociales de cette époque[363].
La guerre sino-japonaise de 1894-1895 et la guerre russo-japonaise de 1904-1905 vont jouer un rôle de catalyseurs pour développer le tirage et l'influence de la presse japonaise. Les militaires et le pouvoir politique ne vont pas tarder à encadrer drastiquement ce qui peut être publié de manière à contrôler l'opinion publique, tout en facilitant l'accès des journalistes aux théâtre des opérations. Une centaine de journalistes et d'artistes sont ainsi présent dans la péninsule coréenne lors de la guerre sino-japonaise sous encadrement militaire. La maison d'édition Hakubunkan profite assez largement de ces opérations en publiant tous les 10 jours un compte rendu des opérations militaires. Le succès de cette publication est si important qu'il permet à Hakubunkan de financer le lancement de toute une série de nouvelles revues en 1895 tels que Taiyō (en) ou Shōnen Sekai (en). Cette entreprise pose alors un modèle d'édition et un modèle économique qui va être repris par des concurrents. Lors de la guerre russo-japonaise le télégraphe joue un rôle important en permettant aux informations de circuler beaucoup plus rapidement. Ceci favorise la presse qui peu alors rendre compte au jour le jour des opérations militaires, la circulation de certains titres de presse double alors lors du conflit[364]. C'est aussi lors de la guerre russo-japonaise que les premiers reportages cinématographiques voient le jour, profitant du développement du cinéma au Japon. Le gouvernement est aussi confronté aux limites de son contrôle. A l'initiative de plusieurs journaux qui comptent s'opposer au traité de paix jugé trop clément pour la Russie, les émeute de Hibiya éclatent le . Si les média démontrent déjà le rôle qu'ils peuvent avoir pour façonner l'opinion dans un sens qui convient au pouvoir politique, ces même média peuvent déjà faire office de relais politiques pour d'autres causes[365].
Les années 1920 voient une certaine consolidation du secteurs avec l'émergence de grands groupes de média de masse. Ces journaux se professionnalisent, et recrutent des diplômés de grandes universités comme journalistes plutôt que des indépendants. L'usage de dessinateurs de presse et de caricaturistes se généralise. La publicité suit cette professionnalisation grandissante du secteur, et de grands groupes de communication et de marketing comme Mannensha (ja), Hakuhodo, et Dentsu voient le jour. Les groupes de presses sponsorisent aussi des évènements comme des tournois sportifs scolaires ou des projections de film pour accroitre leurs lectorats. Les années 1920 voient aussi apparaitre de nombreux magazines à la publication hebdomadaire ou mensuel qui dépassent le millions d'exemplaires, contribuant à la richesse de groupes d'édition comme Kōdansha, Iwanami Shoten, ou encore Kaizōsha (en) dont les livres à 1 yen publiés à partir de 1926 font la renommée[366]. Les colonies japonaises ne sont pas en reste dans ce boom de l'édition, le gouvernement japonais laissant des journaux se créer localement, publiant en japonais et dans la langue locale. Le but visé étant alors d'accroitre l'influence du Japon sur ces territoires par ce biais[365].
La montée du militarisme dans les années 1930 s'accompagne d'une plus grande autocensure des média, peu cherchant à remettre en cause les déclarations du gouvernement dès l'incident de Mukden en 1931. A partir de la guerre contre la Chine en 1937, les média vont agir de fait comme un prolongement de l'état en agissant comme diffuseur de sa propagande. Au fur et à mesure que les problèmes d'approvisionnement de papier touchent le pays, le nombre de publications et le nombre de pages par publications frappent les journaux. Les journaux de langues étrangères sont fusionnés dans un unique titre, The Japan Times, qui passe sous la coupe du ministère de la communication. La radio est mise à profit de la communication gouvernementale. La NHK crée en 1926[367] et étend sa couverture en créant dans les colonies des bureaux dédiés à Taiwan (en 1931), en Corée (en 1932), et en Manchourie (en 1933). Lorsque la guerre s'étend aux puissances occidentales, cette radio diffuse des programmes de propagande en langues étrangères de manière à rallier les populations locales à l'empire et à saper le moral des troupes ennemies. Au fur et à mesure que la guerre s'intensifie, les média diffusent un message de plus en plus nationaliste et anti-occidental[368].
- Premier numéro du Asahi shinbun en 1879.
- L'émeute de Hibiya en 1905 montrent l'influence que peuvent avoir les média de masse au Japon dès cette époque.
- Ancien siège de l'Agence de presse Dōmei qui est l'agence de presse officielle du régime à partir de 1936.
- Iva Toguri D'Aquino, une des rose de Tokyo chargée de la propagande radio visant à saper le moral des soldats alliés dans le Pacifique.
Culture
Grandes tendances culturelles
Cultures urbaines
La société urbaine évolue assez fortement dans sa composition lors de la période, et sa composition influe sur la culture qui s'y diffuse. Si à la fin de l'époque d'Edo les principaux publics auxquels s'adressait la production culturelle des grandes villes étaient composés de riches japonais peu nombreux, lors de la période impériale la production culturelle s'adresse au plus grand nombre. Cette massification de la culture s'accompagne de l'essor de nouvelles technologies qui vont permettre, comme la photographie ou la radio, de diffuser au-delà des villes la culture qui s'y produit[369]. Les titres de presse se multiplient, passant de plus de 400 en 1890[293] à 2 000 en 1914. La même année, le Japon se place second au niveau mondial en nombre de livres publiés, derrière l'Allemagne, avec près de 27 000 titres. La langue japonaise s'uniformise par ce biais, et si de nombreux dialectes se maintiennent, le dialecte de Tokyo, là où se trouve la plupart des moyens d'édition, se généralise et devient le japonais standard[370]. Des titres de presses comme Asahigraph (en) utilisent la photographie et le dessin de presse (dont ceux de Ippei Okamoto) pour informer leurs lecteurs, poussant ainsi l'image comme grand vecteur d'information[371].
La radio connait un essor rapide. Si les premières émissions sont diffusées en 1925, un million de postes de radio sont vendus en 1931. Le nouveau média joue un rôle important dans le paysage médiatique de l'époque en permettant une diffusion rapide de l'information, mais aussi en rendant accessible dans l'ensemble du pays de nombreuses musiques, japonaises comme occidentales[372]. L'augmentation du nombre de journaux, de postes de radio, et de cinémas contribue à rapprocher les mouvements culturels avant-gardistes de Tokyo des territoires plus reculés du pays. Une complexification culturelle s'opère, guidée par les critiques artistiques, opposant cultures anciennes et nouvelles, cultures occidentales et orientales, et cultures prolétaires et bourgeoises[373]. Cette conjonction entre l'augmentation de la production culturelle et l'amélioration de sa diffusion aboutissent dès les années 1920 à la constitution de médias de masse au Japon, basés et diffusés depuis les grandes agglomérations du pays[374].
Le nombre de cafés et grands magasins augmentent et permettent de diffuser ces nouveaux modes de consommations[373]. Le séisme qui ravage la capitale en 1923 va pousser à revoir l'urbanisme pour intégrer ces nouveaux modes de consommation. Les quartiers vont se spécialiser comme Ginza, et de grandes avenues sont percées, le long desquelles se concentrent de grands magasins, alors que dans les ruelles adjacentes se concentrent souvent des cafés et des magasins à la mode[375]. Le nombre de cafés double ainsi à Ginza dans les années 1920, et ils deviennent pour les auteurs de roman des lieux à la mode où situer l'intrigue de leurs romans[371]. La bière est introduite au début de la période, et se popularise à partir de la fin de l'ère Meiji[n 16],[369]. Une consommation de masse de nombreux produits se développe, et avec elle la publicité, dont celles de dentifrice Lion ou de cosmétiques Shiseido très présentes à la fin de la période[376].
- Affiche pour la bière Asahi dans les années 1920.
- Quartier de Ginza à Tokyo dans les années 1930, des avenues sont bordées par des grands magasins comme à gauche le Wako (retailer) (en).
- Publicité pour des cosmétiques au début de l'ère Shōwa.
- Affiche publicitaire pour du dentifrice Lion (ici en Corée).
Cultures régionales
Le Japon sort de l'époque d'Edo avec une culture présentant une diversité d'expressions régionales très marquée. Du fait de ses nombreuses zones de montagnes et de nombreux ilots le long des côtes, les différences de dialectes, de régimes alimentaires, et de traditions peuvent être très marquées. Dans les plus grands domaines, l'industrie naissante s'est spécialisée en fonction des ressources disponibles localement : soieries dans l'actuelle préfecture de Nagano, poteries dans la préfecture de Saga, cottonades dans la préfecture de Yamaguchi... L'essor rapide des transports et le développement des déplacements de population vers les grandes agglomérations pour y trouver du travail va avoir plusieurs effets sur ces particularismes locaux. Si certaines de ces pratiques culturelles vont être marginalisées, d'autres vont faire l'objet de diverses formes de valorisation[377].
Dès les années 1880 par nostalgie, des travailleurs migrants vont chercher à faire perdurer leurs cultures locales[378], et à se regrouper dans des associations par régions d'origine. Dans le même temps l'État cherche à effacer certains particularismes. Le « Japonais standard » devient la variante utilisée dans l'arrondissement central de Tokyo, et est imposé par le biais de l'éducation partout dans le pays[379]. Cependant dans le même temps l'État incite à l'étude des patrimoines locaux, et en 1891 l'enseignement de la géographie et de l'histoire locale est institué comme matière à part entière dans l'enseignement primaire. Ceci est à l'origine d'un foisonnement des monographies traitant de sujets régionaux, souvent à l'initiatives de bibliothèques locales ou de professeurs du secondaire. Loin de se limiter à l'étude du passé, ces initiatives visent aussi à valoriser des réalisations et des projets en cours. Dans les préfectures de Hiroshima ou de Fukui des expositions deviennent l'occasion dans les années 1910 pour les villages de montrer leurs savoirs faire, et entraine une certaine émulation entre eux[380].
Le monde académique commence à s'intéresser au sujet des cultures locales dans les années 1910. Un groupe informel d'agronomes, d'économistes, et de géographes se réuni autour des figures de Nitobe Inazō et de Yanagita Kunio pour former la Kyōdokai, ou « association d'études locales ». De nombreuses sorties sur le terrain sont organisées par l'association pour étudier les coutumes locales du japon, et le contenu de leurs études est par la suite publié dans la revue du groupe, la Kyōdo Kenkyū. L'association va jouer le rôle de berceau pour les études sur le folklore japonais puis pour l'essor de l'ethnographie japonaise, en accueillant des personnalités comme Tsuneichi Miyamoto[381]. Des férus d'arts s'intéressent aussi à ces cultures locales, notamment Yanagi Sōetsu qui théorise le « mouvement d'arts populaires », ou Mingei, dans les années 1920 à partir de son travail sur le sujet et en s'inspirant du Arts and Crafts de William Morris. Le mouvement Mingei est ainsi à l'origine d'un certain renouveau de certaines productions locales, et dans des préfectures comme celles de Shimane et de Tottori des concours d'arts sont ainsi organisées dans les années 1930, dont les juges sont des experts issus du mouvement Mingei[382]. Les préfectures peuvent aussi être à l'origine de commandes visant à valoriser ce patrimoine, soit par l'édition de livres consacrés à l'histoire locale, ou à des projets plus grandioses, comme la reconstruction du Château d'Osaka en 1931 (en béton et acier, et non en matériaux plus traditionnels)[383].
Une certaine politisation des cultures régionales émerge dans les années 1930. La montée du nationalisme que connait le pays trouve un terrain d'expression dans la valorisation des cultures locales. La culture locale devient ainsi pour certains nationalistes l'expression la plus pure et la plus authentique de la japonité[384]. À l'opposé du spectre politique des militants issus du socialisme de guilde voit dans cette redécouverte des cultures locales la possibilité de faire aboutir leurs idées. Dans la ville d'Ueda dans la préfecture de Nagano voit ainsi se constituer une université populaire dont le modèle va être repris dans d'autres régions du Japon. La montée du militarisme dans les années 1930 met fin brutalement à ces initiatives, et des centaines de figures du mouvement sont emprisonnées[385]. La question de la représentativité des cultures régionales se heurte aussi politiquement à l'époque à l'essor territorial du pays qui intègre de nouveaux territoires. Ainsi si Hokkaidō est systématiquement intégré dans les années 1930 dans des travaux qui portent sur le Japon et ses régions, la place d'Okinawa dans ce type de travail est le plus souvent remise en cause[386].
- L'ethnographie japonaise trouve son origine dans l'étude des cultures locales du pays, ici une ema de 1919 de la préfecture d'Aomori conservée au Musée national d'ethnologie à Suita.
- Théière des années 1920-1930 inspirée du mouvement Mingei.
- Château d'Osaka reconstruit en 1931.
Cultures coloniales
La diffusion culturelle dans les colonies japonaises repose une synergie entre le pouvoir politique qui fourni un cadre économique stable et des entreprises japonaises qui fournissent de nombreux produits culturels qui permettent la pénétration de la langue japonaise dans les colonies, mais aussi la diffusion d'un référentiel culturel commun dans tout l'empire[387]. Ces productions culturelles sont pour partie japonaises, mais aussi européennes et américaines, et comportent aussi des productions qui reflètent les cultures locales. Si le pouvoir politique japonais y voit la possibilité de forger des sujets loyaux, les populations colonisées parviennent au contraire à mettre les moyens de productions au service de leurs propres intérêts et aspirations[388].
La radio commence à être diffusée dès 1925 à Taiwan par le gouverneur général de Taïwan, et deux ans plus tard la NHK crée entretemps commence à diffuser des programmes en japonais et en coréen à Séoul. À côté de ces initiatives publiques, des entreprises japonaises des secteurs de la presse, de l'édition, ou du cinéma créent des succursales dans les colonies. Si ces entreprises ciblent avant tout les colons japonais, elles publient aussi ponctuellement des productions locales. Le secteur du cinéma muet est un des secteurs permettant le plus l'expression des intérêts des colonisés. Les commentateurs de film (appelés benshi au Japon, mais pyŏnsa en Corée et benzi à Taiwan) prennent souvent leurs distances avec les scriptes originaux, et peuvent à l'occasion faire passer des messages politiques anti-japonais lors de leurs prestations[n 17],[389].
Ces nouvelles formes d'expression permises par les nouvelles technologies permettent à des acteurs culturels locaux de trouver de nouveaux débouchés mais aussi d'enrichir leurs répertoires tout en touchant un public de plus en pplus large. Ainsi de nombreuses kisaeng coréennes rajoutent des airs japonais mais aussi des chansons plus contemporaines lors de leurs prestations. Ces prestations peuvent de plus se dérouler dans des lieux plus divers que les salons de thé qui les accueillaient traditionnellement (salles de danse, salles de concert, radio...)[390]. En 1935 sur les 1,2 million de disques vendus en Corée, près du tiers sont des artistes locaux. Certaines stars connaissent une grande popularité, et font l'objet d'intenses batailles entre majors du disque pour les signer, comme Ch'ae Kyuyŏp (ko), Wang Su-bok (en), ou encore Lee Nan-young (en)[391].
Les productions locales font cependant l'objet de censure, et comme les autres productions culturelles au Japon sont elles aussi soumises à des accords de prépublication. Un certain nombre de publications parviennent cependant à échapper aux regards des censeurs. Le sport est un des terrains qui permet aux colonisés d'exprimer leurs aspirations nationales. Le baseball à Taiwan permet ainsi aux populations locales de se réunir autour d'équipes qui incarnent le pays[392]. En Corée, une équipe de football de Séoul joue un rôle similaire en remportant la coupe de football du Japon en 1935. La victoire de Son Ki-Jeong lors du Marathon aux Jeux olympiques d'été de 1936 est relayée dans le Dong-a Ilbo avec une photo sur laquelle le drapeau japonais a été effacée par l'éditeur coréen, causant quelques remous politiques[393].
Les colonies font aussi l'objet d'un traitement kitsch exotique qui véhicule auprès des japonais de nombreux stéréotypes au sujet des populations locales[394]. Les aborigènes de Taïwan tout comme les aïnous font en particulier l'objet de spectacles, d'attractions touristiques, ou de publications de cartes postales[395] dans lesquels leurs traits « sauvages » sont mis en avant. Les kisaeng coréennes font aussi l'objet de publications dans lesquelles leurs caractères jugés plus « rustres » que celui des geisha japonais est mis en avant. Ce stéréotype « rustre » de la kisaeng est souvent associé à celui de la « docilité » supposée des coréennes, échos de celui que la métropole compte imposer à sa colonie[396]. Des chanteuses comme Yoshiko Ōtaka (pour la Manchourie) et Choi Seung-hee (pour la Corée) incarnent alors pour le public japonais à la fois ces stéréotypes culturels exotiques[397] mais aussi une image de l'assimilation des populations colonisées à la culture japonaise[398].
- Carte postal japonaise montrant des Amis de Taiwan.
- Équipe de football coréenne en 1923.
- Extrait du Dong-a Ilbo montrant Son Ki-Jeong, le drapeau japonais sur son maillot effacé.
- Vidéo de 1931 présentant Séoul, les commentaires (en anglais) véhiculent de nombreux stéréotypes et présentent des exemples d'acculturation en faveur du Japon.
- Poster des années 1930 de promotion du tourisme en Corée pour le public japonais.
Cultures japonaises et leurs réceptions à l'étranger
Les premières perceptions de la culture japonaise en occident s'ancre dans un premier temps dans le cadre plus large de l'orientalisme et des chinoiseries. Les représentations de ces cultures se caractérisent alors par une forme d'imaginaire exotique. La découverte de la culture du pays ne va véritablement s'opérer qu'après la restauration de Meiji. Ce n'est qu'en 1872 que le terme japonisme est créé par Philippe Burty pour désigner l'étude des arts japonais[399]. La découverte des arts japonais intervient en occident au moment où des voix s'élèvent pour remettre en cause l'esthétique classique, dans le domaine de l'architecture, de la peinture, ou de la littérature. Les japonistes vont ainsi utiliser la culture japonaise pour proposer des alternatives aux normes culturelles et artistiques de l'époque[400]. En France le japonisme va attirer l'attention des avant-guardistes ; les peintres vont s'intéresser à la forme des Ukiyo-e pour s'inspirer que leurs esthétiques ou de leurs sujets, et dans le domaine de la littérature le pays sert de toile de fond à des œuvres comme Madame Chrysanthème de Pierre Loti en 1888[401]. Au Royaume-Uni, un parallèle est fait entre la tradition chevaleresque du pays au Moyen-âge et l'histoire du Japon[402]. Cet attrait pour le Japon va être à l'origine de traductions de classiques japonais comme Le Dit du Genji en 1882, dont l'auteure Murasaki Shikibu va incarner une certaine vision de l'émancipation de la femme dans le pays, et faire l'objet d'éloges par Virginia Woolf dans une optique féministe quelques décennies plus tard[403]. Des livres vont aussi être écrits directement en anglais par des auteurs japonais pour satisfaire les attentes du public occidental, comme Le Livre du thé d'Okakura Kakuzō en 1906, ou Bushidō, l'âme du Japon de Nitobe Inazō en 1900[402].
L'attrait pour les produits japonais touche aussi un public large, attiré par les céramiques, les laques, ou encore les textiles japonais, et un important marché se constitue ainsi à l'international[404]. De 1898 à 1908 le nombre de céramiques que les Japon exporte aux États-Unis passe par exemple de deux à cinq millions de pièces[405]. Les grandes expositions internationales de l'époque permettent de présenter les productions artisanales et artistiques japonaises au grand public en Europe et en Amérique[406]. Ces expositions permettent au Japon de se présenter dans une lumière favorable, et l'égal en de nombreux points aux puissances occidentales[407]. Pour satisfaire les besoins d'un public d'amateurs d'arts japonais se constitue un réseau informel de marchants d'arts et de spécialistes. À Paris Hayashi Tadamasa est un personnage central de ce réseau[408]. Celui-ci va à son tour permettre de passer la culture française au Japon, en y organisant une exposition d'impressionnistes français dès 1893, et en finançant les études d'étudiants japonais en France auprès d'artistes français. Aux États-Unis Michio Itō joue un rôle similaire de passeurs entre les cultures, notamment en travaillant avec Ezra Pound et W.B. Yeats pour éditer les travaux de Ernest Fenollosa[409]. Cependant alors que le Japon sert de source d'inspiration à une avant-garde artistique occidentale, celle-ci reste très hermétique lorsqu'à leurs tours des artistes japonais prétendent par leurs œuvres incarner eux aussi cette avant-garde artistique. Le public japonais réserve aussi un accueil assez froid lorsque des artistes locaux s'essais à des œuvres relevant du Dada ou du Futurisme[410].
- Présentation d'arts japonais lors de l'exposition universelle de 1873 à Vienne.
- Madame Monet en costume japonais de Claude Monet (1875)
- La Belle Angèle de Paul Gauguin (1889) enprunte à l'esthétique des Ukiyo-e, en particulier celles d'Hokusai.
- Présentation d'arts japonais lors de l'exposition universelle de 1900 à Paris.
- « Pont rouge » du Parc oriental de Maulévrier d'Alexandre Marcel créé de 1899 à 1913 en s'inspirant de l'exposition universelle de 1900.
Littérature
Influence occidentale et réflexions sur la japonité (1868-1910)
La littérature connait une influence de l'occident assez importante, qui va faire évoluer certaines de ses formes d'expression. L'usage du roman comme outils de critique sociale et politique chez des auteurs étranger comme Disraeli ou Bulwer-Lytton sert d'inspiration à plusieurs intellectuels issus du mouvement Meirokusha, ce qui suscite la découverte des littératures nationales européennes. Ukigumo (en) que publie Futabatei Shimei en 1887, considéré comme le premier roman moderne japonais, s'inspire ainsi de la littérature russe de la même époque. Les grandes figures de la période s'affirme autour de 1900[411]. Natsume Sōseki, qui a étudié à Londres et qui succède à Lafcadio Hearn à la tête de la chaire de littérature anglaise de l'université de Tokyo, s'impose avec des œuvres comme Je suis un chat (1904) ou Le Pauvre Cœur des hommes (1914). Dans ces œuvres à la dimension introspectives, il s'y montre critique de la société de son époque, repoussant à la fois le nationalisme de son temps, mais aussi des emprunts non justifiés à l'occident[412]. Mori Ōgai, qui a lui reçu une éducation médicale militaire en Prusse, se fait d'abord connaitre comme critique littéraire. Il est l'auteur d'une œuvre prolifique qui offre un traitement proche du naturalisme en l'appliquant à la forme du roman historique. Shimazaki Tōson qui lui office de précurseur du style Watakushi shōsetsu, ou I-novel, en publiant Hakai en 1906[413].
D'autres formes littéraires comme la poésie et le théâtres connaissent elles aussi une influence occidentale, bien que la popularité de formes bien établies comme le kabuki ou le nō perdure. Un acteur de kabuki comme Ichikawa Danjūrō IX va tenter sans trop de succès de faire évoluer son jeu d'acteur et son maquillage en faveur d'expressions plus réalistes. Un poète comme Masaoka Shiki rencontre lui plus de succès en modernisant les formes du haiku et du tanka. Des formes nouvelles émergent par ailleurs, comme le Shintaishi (en) pour la poésie. Le théâtre voit se former la forme du Shinpa dans la région d'Ōsaka à la fin des années 1880, qui va s'étendre lors de la décennie suivante à Tōkyō où il va se muer en Shingeki. Cette dernière forme intègre des femmes à ses acteurs (contrairement au kabuki dont les troupes sont exclusivement masculines), et comprend des pièces européennes dans son répertoire, notamment celles du dramaturge norvégien Henrik Ibsen[414].
Un mouvement de réflexion sur la littérature s'exprime lors de la première moitié de l'époque impériale. Inspiré par le travail de Taine sur l'Histoire de la littérature britannique (1864), plusieurs publications cherchent à proposer des compilations censées incarner les classiques d'une littérature nationale japonaise, ou à faire l'histoire de celle-ci (publication en 1890 du Nihon bungakushi de Takatsu Kuwasaburō et Mikami Sanji)[415]. Le but recherché est alors de mettre en évidence les supposés signes distinctifs de l'identité japonaise en identifiant les caractères récurrents de la littérature au travers des âges[416]. À ce titre, Le Dit du Genji, écrit intégralement en kana, est vu comme l'une des incarnations de cette identité purement japonaise[417]. De très nombreuses revues de critiques littéraire, ou dōjin zasshi sont aussi publiées par des cercles littéraires. Elles sont souvent éphémères et à la diffusion limitée, et regroupent par affinité des étudiants de l'université impériale de Tokyo et de l'Université Waseda (où est publié Waseda bungaku à partir de 1891), deux grands pôles littéraires de cette époque. La revue Shirakaba publiée à partir de 1910 jouit aussi d'une certaine notoriété[418].
- Mori Ōgai, auteur de nombreux romans historiques.
- Tōson Shimazaki, figure du naturalisme japonais et du Watakushi shōsetsu.
- Premier numéro de la revue Shirakaba (1910).
Seconde moitié de l'époque impériale (1910-1945)
La littérature japonaise de la seconde moitié de l'époque impériale bénéficie de l'alphabétisation de toutes les couches de la population grâce à la création en 1872 d'un système scolaire public couvrant tout le pays[419]. Le nombre de lecteurs potentiel augmente ainsi considérablement, et plusieurs maisons d'édition se créer pour exploiter ce marché. La Hakubunkan et la Jitsugyo no Nihon Sha se constituent toute deux en 1897 et se lancent dans la publication de nombreux magazines généralistes aux tirages de plus en plus nombreux[420], bientôt rejoints par la Kōdansha en 1909. Cette dernière lance le magazine littéraire Kōdan kurabu en 1911, dont le succès inspire différentes copies par ses concurrents. Ce magazine consolide sur la scène littéraire du pays la place d'une littérature populaire s'adressant au plus grand nombre, et publiée sous forme de feuilleton. Un auteur comme Eiji Yoshikawa qui écrit pour Kōdan kurabu parvient par ce biais à accéder à une certaine notoriété[421]. En réaction à cette littérature « de masse », des critiques littéraires et des auteurs poussent dès le début des années 1920 pour l'émergence d'une littérature « pure ». Cette distinction entre ces deux littérature va s'affirmer, et se matérialiser par la création de 1935 de deux prix littéraires distincts, le prix Naoki qui récompense la littérature de masse, et le prix Akutagawa qui couronne une littérature plus élitiste[422].
Le début de la période voit certains auteurs s'inscrire dans la continuité des grandes formes populaires lors de l'ère Meiji, comme Nagai Kafū qui commence sa carrière littéraire dans les années 1910. Avec Errances dans la nuit (en) publié entre 1921 et 1937 Shiga Naoya fourni au style du Watakushi shōsetsu l'un de ses principaux représentant[422]. Jun'ichirō Tanizaki poursuit dans ses œuvres comme Le goût des orties (en) (1928) la réflexion entamée avant lui de la relation entre cultures occidentales et japonaises. Inspiré par l'essor au Japon des idées socialistes au début des années 1920, une littérature s'inspirant du réalisme socialiste voit le jour, notamment autour de la revue littéraire Senki. Ce courant connait quelques œuvres majeures comme Le Bateau-usine (1929) de Kobayashi Takiji, mais périclite avant le milieu des années 1930 en raison de la répression du pouvoir militaire[423]. Une littérature féminine s'affirme lors de la période, aidée par la large diffusion de magazines féminins comme Fujinkōron ; au milieu des années 1920 leurs diffusion tourne autour du million d'exemplaires par mois. Certaines de ces auteures Takako Nakamoto (en) s'inscrivent dans une approche socialisante en traitant de questions propres à la condition de la femme. D'autres auteures comme Fumiko Hayashi et Chiyo Uno inscrivent leurs œuvres des années 1920 dans le style du Watakushi shōsetsu[424]. Edogawa Ranpo incarne lui les débuts de la littérature policière, avec une production mettant le mystère au cœur de son œuvre. Un courant inspiré par les promesses de la science pose les bases d'une science-fiction japonaises qui s'empare déjà de sujets comme les robots, les extraterrestres, ou les catastrophes environnementales. La littérature européenne de la même époque, et ses courants comme le dadaïsme ou le surréalisme, continue d'exercer une certaine influence sur des auteurs comme Riichi Yokomitsu[425]. L'écrivain Yasunari Kawabata émerge lui comme figure de la littérature japonaise dans les années 1930, notamment avec la publication de Pays de neige (1935). L'intensification de la guerre avec la Chine va étouffer la production littéraire dans la seconde moitié des années 1930, et de nombreux auteurs vont rester à distance de la scène littéraire jusqu'à la fin de la guerre[426].
- Kafū Nagai, auteur d'une œuvre critique de l'Occidentalisation, traitant du milieu interlope de son époque.
- Jun'ichirō Tanizaki, auteur de Éloge de l'ombre (1933).
- Takiji Kobayashi, auteur du classique prolétarien Le Bateau-usine (1929).
- Yasunari Kawabata, auteur de Pays de neige (1935).
Peinture
Un style de peinture à l'occitale, ou Yō-ga, se développe au début de l'ère Meiji. Le conseiller étranger italien Antonio Fontanesi est recruté pour enseigner la peinture au sein de la Kōbu Daigakkō. Le but initial est de rendre les japonais capable de réaliser des dessins fidèles, compétence préalable à la mise en œuvre de grands chantier de modernisation, du chemin de fer à la construction navale[427]. Les techniques issues de cette approche utilitariste ne tardent pas à être reprises dans des démarches plus artistiques. Certains japonais comme Kuroda Seiki étudient les beaux-arts à Paris, et rapporte au Japon des connaissances sur les grands courants artistiques alors en vogue dans la capitale française. Les techniques comme la peinture à l'huile, l'aquarelle, ou le pastel singularise la Yō-ga comparé aux productions japonaises traditionnelles, tout comme certains types de sujets comme le nu[428].
Le style Nihonga se développe en réaction à ce qui est perçu comme un excès d'occidentalisation. Le conseiller étranger Ernest Fenollosa qui enseigne à l'université de Tokyo et l'un de ses étudiants Okakura Kakuzō prennent des initiatives qui mènent à la création de l'École des beaux-arts de Tokyo en 1887. Le but recherché est d'intégrer certaines techniques occidentales, tout en conservant un style japonais. Des représentants de l'école Kanō sont recrutés pour y enseigner, comme Kanō Hōgai et Hashimoto Gahō, et l'école forme les premiers représentant de ce style, comme Shimomura Kanzan, Yokoyama Taikan, ou encore Hishida Shunsō. Fenollosa se rend aussi à Kyoto ou certains groupes locaux sont dans une démarche similaire, comme l'école Murayama ou encore l'école Shijō (d'où est issu Takeuchi Seihō, l'un des futur grand représentant du Nihonga)[429].
- Sous un arbre de Kuroda Seiki (1898).
- Chat Tabby de Takeuchi Seihō (1924).
- Aube printanière sur les sommets sacrés de Chichibu de Yokoyama Taikan (1928).
La Première Guerre mondiale ramène au Japon de nombreux étudiants qui ont été initiés à des styles non-réalistes, comme le fauvisme ou le cubisme. Ceci met en difficulté les représentants du Yō-ga, qui se présentaient alors comme les représentants d'une certaine esthétique à l'occidentale[430]. Un groupe comme le Nika-kai, qui se constitue en 1914, se place en opposition avec les tenants du Yō-ga aux travers de revues comme Shirakaba ou Subaru. Ils nomment Fujishima Takeji à leur tête, et comptent parmi ses premières figures tutélaires des peintres comme Narashige Koide, Harue Koga, Tetsugorō Yorozu, Yuzō Saeki[431]. C'est dans ce groupe que vont aussi émerger dans les années 1930 des figures de l'art japonais d'après-guerre comme Jirō Yoshihara, Yuki Katsura (en), Tarō Okamoto, ou Ken Domon. Le retour au Japon de Tsugouharu Foujita marque un tournant dans sa carrière, celui-ci embrassant le militarisme de l'État, et produisant plusieurs toiles de propagande[432]. L'armée japonaise fait par ailleurs travailler près de 300 peintres à partir de la fin des années 1930 pour documenter ses actions. S'inscrivant souvent dans le réalisme du Yō-ga, leurs productions relatent de manière souvent très crue la guerre, et nombre de ces productions ne passe pas le cap de la censure[430]
Musique
Intégration des techniques étrangères sous l'ère Meiji
Les premiers groupes de musique occidentale, des groupes de musique militaire, sont actifs dès la fin de l'ère Keiō. Dès le début de l'ère Meiji, l'armée et la marine disposent l'une et l'autre d'ensemble musicaux qui participent aux cérémonies ou à des représentations musicales. Elles disposent de chefs étrangers qui forment les musiciens japonais. Lorsque ceux-ci retournent à la vie civile, certains de ces musiciens deviennent eux-mêmes des formateurs, et participent assez largement à la diffusion de la musique occidentale dans le pays. Les musiciens officiels de la cour, qui jusqu'à là sont spécialisés dans le Gagaku, reçoivent eux aussi une formation pratique et théorique dans ce domaine, et jouent pour la première fois le des morceaux de ce type à l'occasion de l'anniversaire de l'empereur. Une place particulière est aussi consacrée à la musique occidentale au sein du projet éducatif du régime de Meiji, et dès la loi sur l'éducation de 1872 une place lui est réservée dans le cursus. Des formateurs étrangers sont recrutés pour participer à la mise en œuvre de cette politique (Luther Whiting Mason puis Franz Eckert) ; la formation des futurs enseignants débute réellement en 1880, et un premier manuel scolaire est publié en 1881[433]. En 1887 est aussi créé un comité musical, futur département de musique de l'Université des arts de Tokyo. Des étudiants japonais sont aussi envoyé à l'étranger pour y étudier, comme Nobu Kōda (en)[434], et d'autres composent des morceaux alliant tradition japonaise et technique occidentale, comme le Kōjō no tsuki composé en 1901 par Rentarō Taki[435]. Pour répondre aux besoins d'instruments, plusieurs entreprises sont fondées à la même époque, comme Yamaha pour les harmoniums (1887) ou Suzuki pour les violons (1887). Le Japon va au début du XXe siècle servir à former de nombreux musiciens venus de ses colonies, puis à y diffuser cette musique[434].
Le gagaku, ou « musique raffinée » utilisée lors des rites impériaux, connait un certain dynamisme. Ce genre a connu un renouveau pendant l'Époque d'Edo grâce à des financements du shogunat[436]. Le Jingi-kan, bureau chargé du shintō, fonde le Gagaku Kyoku le , nouvel organisme chargé de superviser ce genre musical[437]. Les musiciens de cet organisme s'attèlent entre 1876 et 1888 à compiler le Meiji sentei-fu, recueil du répertoire de ce genre musical, participant ainsi à codifier celui-ci[438]. Le gagaku est aussi utilisé dans les relations que le pays entretient avec le monde extérieur. Des dignitaires étrangers sont reçus avec des représentations musicales de ce type, et les expositions universelles qui se tiennent en Europe en 1867, en 1873, et en 1878 reçoivent des musiciens et des instruments[439]. Des mélodies de ce style comme Kuni no shizume ou encore Inochi wo sutete sont aussi composée pour l'Armée et pour la Marine pour leurs cérémonies, qui sont ensuite adaptée pour leurs orchestres[440]. L'éducation se voit elle aussi gratifiée de mélodies de ce type pour ses cérémonies. Lorsque le gouvernement publie en 1893 un livret de huit chants destinés à être joués lors des festivals de l'année, cinq sont de ce type[441].
Dans les campagnes, des formes chantées populaires subsistent. Les Sōshi Enkapratiquent le chant de rue, dont le contenu des paroles critique souvent le pouvoir de manière satirique[442]. Soeda Azenbō (ja), qui commence à parcourir le pays à la fin des années 1880, est une des figure les plus connue de cet art ; ses chants sont souvent imprimés, et vendus sous forme de feuilles volantes dans tout le pays[443].
- Étudiants du département de musique de l'Université des arts de Tokyo en 1911.
- Kōjō no tsuki composé en 1901 par Rentarō Taki.
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Le fleurissement de l'entre-deux-guerres
Jusqu'au milieu des années 1920 les maisons de disques japonaises cherchent à capitaliser sur les chansons déjà populaires en les publiant plutôt qu'à chercher à faire émerger les chansons pour les rendre populaires. Le premier succès de la musique populaire, ou Ryūkōka, la Chanson de Katioucha est à l'origine un morceau chanté par Matsui Sumako dans une pièce de théâtre inspirée de Résurrection qui se produit dans les grandes villes du pays en 1914. Sa popularité incite une maison de disque à publier le morceau, et en vend plus de 20 000 exemplaires. La dynamique s'inverse dans les années 1920. Le développement du cinéma et de la radio permet de produire la musique en amont et d'utiliser les médias pour la diffuser ensuite. Un morceau comme Kimi koishi sorti en 1929 relève de cette logique[444].
Plusieurs styles deviennent populaires dans l'entre-deux-guerres. Le jazz japonais rencontre ses premiers succès dans les années 1920, notamment avec le My Blue Heaven (ja) du chanteur Teiichi Futamura (ja) en 1928, et la chanteuse Fumiko Kawabata (ja) émerge dès 1930[445]. S'il ne relève pas directement du style du jazz, le morceau La Marche de Tokyo qui se vend à 250 000 copies en 1929 par le contenu de ses paroles permet de véhiculer plusieurs des thèmes urbains associés à ce style, notamment la figure de la Moga[446]. Le « shin min'yō » (ou « nouveau chant populaire ») est un des sous-genres du Ryūkōka qui connait de nombreux succès dans l'entre-deux-guerres. Il s'agit de réorchestrations à l'occidentale de chants traditionnels japonais, de chants populaires étrangers comme Aloha ʻOe ou My Old Kentucky Home[445], ou même du chant coréen Arirang qui connait ainsi plusieurs succès populaires sous cette forme au Japon dans les années 1930 alors qu'il est au même moment un chant patriotique dans la Corée occupée par le Japon[447].
La production et la diffusion de la musique suivent des dynamiques à la fois locales et internationales. Des entreprises étrangères comme Columbia Records, Victor Talking Machine Company, ou Polydor disposent dès 1927 d'un bureau à Tokyo pour y vendre leurs productions, mais aussi pour y produire des artistes locaux. De nombreux labels sont situés dans le Kansai, et Tokyo est très loin de concentrer la production. Les modes de diffusion sont aussi variés : cinéma, grands magasins, salles de danse d'hôtels, ou encore compagnies de théâtre itinérantes. La forme de la revue est aussi populaire, mais jouit parfois d'une réputation sulfureuse en raison des tenues portées par ses danseuses[448]. La revue Takarazuka fondée en 1914 jouit dès ses premières années d'une très grande popularité. Les ballroom dans lesquelles hommes et femmes pratiquent des danses de salon, corps contre corps, fleurissent dans la région d'Ōsaka dès le milieu des années 1920. Les clients masculins paient alors pour danser avec des femmes travaillant pour l'établissement. Dès 1927 les autorités prennent des mesures pour encadrer ces établissements et s'assurer de leurs moralité. Ce genre d'établissements se développe ensuite sur Tokyo avant d'ouvrir dans d'autres villes du pays et de l'empire. En 1937, 39 sont ainsi en activité en dehors de Tokyo, et 17 autres dans les colonies[356].
- Matsui Sumako signe avec la Chanson de Katioucha l'un des premiers grands succès du Ryūkōka.
- Affiche du film La Marche de Tokyo de 1929 dont le disque associé est un grand succès de l'époque, signe des liens entre industries du disque et du film.
- Spectacle Paris Zetto de la revue Takarazuka en 1930.
Cinéma
Le cinéma japonais commence son histoire en 1899 avec le tournage de Momijigari, tiré d'une pièce de kabuki. Lors de ses deux premières décennies d'histoire, le nouvel art se conçoit comme une extension d'expressions artistiques nationales préexistantes. Le film sert à compléter une œuvre ou à lui fournir une nouvelle dimension en adaptant à l'écran un contenu conçu pour la scène. Les conteurs de spectacles de marionnettes, les gidayū-bushi, servent de commentateurs de films muets, ou benshi. Des genres théâtraux du Kabuki comme le shinpa (méloframes) ou le Shingeki (« nouveau drame ») se voient adaptés dans les premières productions cinématographique de la période[449]. Des récits classiques sont eux aussi une inspiration importante, comme l'histoire des 47 rōnin qui est portée 45 fois à l'écran entre 1907 et 1925, et plus encore les années suivantes[450]. Ce nouveau média joue aussi un rôle important lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 pour informer les Japonais au travers de faux documentaires mêlant images originales du conflit et plans créés pour l'occasion[451].
Ce n'est que vers la fin des années 1910 et l'afflux de nombreux films étrangers que le cinéma japonais commence à intégrer des techniques et des styles narratifs plus proches des modèles occidentaux de la même époque[451]. La rupture va être portée par de nouveaux studio de productions comme Shōchiku et Taikatsu (créés en 1920), alors que des studios plus anciens comme Nikkatsu ou Tenkatsu font plus longtemps perdurer leurs liens stylistiques avec d'autres formes artistiques comme le kabuki[452]. Le pays produit aussi ses premiers anime, style dont Noburō Ōfuji devient l'un des principaux représentants[453]. Les benshi, commentateurs de films muets, perdurent cependant tout au long des années 1920 et jusqu'au début des années 1930 et connaissent même lors de cette période une phase de starification. Leurs rôles pendant la projection du film tend cependant à s'effacer au profit des acteurs[454], et leurs rôle périclite au milieu des années 1930 lors de l'arrivée des films parlants[452]. Le Japon produit lui son premier film parlant en 1931, Madamu to nyōbō, mais ce n'est que dans la seconde moitié des années 1930 que cette technique s'impose réellement[453]. L'industrie cinématographique connait une forte croissance à partir de la fin des années 1920 grâce à ses succès d'audience. Plus de 700 films sont produits par an entre 1928 et 1938, ce qui hisse le pays à la première place mondiale en matière de production filmique[455]. En 1940 le pays compte alors une dizaine de grandes compagnies cinématographiques[450].
- Momijigari, premier film japonais, tourné en 1899.
- Katsudō Shashin, plus ancienne animation du Japon.
- Namakura Gatana, l'un des plus anciens anime produits dans le pays.
- Jiraiya le ninja, court métrage muet de 1921.
- Baguda-jō no tōzoku, l'un des premiers anime de Noburō Ōfuji sort en 1926.
La production filmique commence à se polariser dès les années 1920 autour de deux genres majeurs, le jidaigeki et le gendaigeki, entre films traitant de récits historiques et films traitant de récits contemporains[455]. Le séisme du Kantō de 1923 qui frappe durement la région de Tokyo pousse la plupart des studio à déménager dans l'ouest du pays, où ils s'établissent à Kyōto, Ōsaka, et Kōbe, et où le style du jidaigeki va s'épanouir. Le studio Shōchiku reste lui à Tokyo, où il est le seul studio actif entre 1923 et 1934, et où il se distingue par la qualité de ses productions relevant du gendaigeki. Une certaine spécialisation va s'opérer entre ces deux espaces lors des années 1920 et 1930[456]. Un sous-genre du jidaigeki comme le Chanbara (film se concentrant sur les combats au sabre) connait un succès certain, et compte les premières stars comme Tsumasaburō Bandō (qui joue dans Orochi en 1925)[455]. Le style du gendaigeki compte avec la sortie en 1936 de Naniwa erejii l'un de ses représentants d'avant-guerre les plus aboutis[446], alors que dans le même genre Gosses de Tokyo d'Ozu sorti en 1932 reste dans le registre du film muet[457]. Orochi comme Naniwa erejii parviennent à véhiculer une critique politique et sociale de leurs société, s'attirant à la fois l'attention du public et de la censure[455],[446].
La montée du militarisme dans les années 1930 va s'imposer comme une contrainte majeure pour la production filmique. Une loi de 1939 va imposer des règles de censure plus drastiques, et en 1940 l'État impose la fusion de plusieurs studios, ce qui lui permet de mieux contrôler la production. Le genre du film de guerre se développe rapidement, avec des productions comme Les Cinq Éclaireurs (1938), Boue et soldats (1939), L'Histoire du commandant de chars Nishizumi (en) (1940)[458]. La guerre y est le plus souvent présentée comme une expérience anoblissante pour l'homme, qui permet de purifier la société, tout en faisant résonance aux valeurs japonaises du bushidō prônées par le régime. Ce message se retrouve aussi dans les jidaigeki produits au même moment comme La Vengeance des 47 rōnin, qui partage le goût pour des décors opulents avec d'autres films du même style produits à la même époque[459]. Les jidaigeki vont aussi à l'occasion servir le message de la propagande anti-alliés, Ahen senso (1943) prend ainsi pour toile de fond la première guerre de l'opium pour véhiculer un message anglophobe[460]. La propagande cible aussi le public des enfants, et plusieurs films anime sont produits. Le personnage de Norakuro de Norakuro fait l'objet de 4 adaptations entre 1933 et 1938[461], et Momotaro, le divin soldat de la mer sorti en bénéficie d'un travail sur l'animation qui reste inégalé jusqu'à la fin des années 1950[462].
- Affiche de Naniwa erejii.
- Orochi, un des premiers classique du Chanbara.
- Gosses de Tokyo d'Ozu.
- Les Cinq Éclaireurs, film de guerre produit en 1938.
- La Vengeance des 47 rōnin adopte des décors opulents lors des 4h30 du film.
- Momotaro, le divin soldat de la mer dont la qualité d'animation reste inégalée pendant près de 15 ans.
Architecture
Intégration des styles occidentaux sous l'ère Meiji
Japanese-Western Eclectic Architecture (en)
L'architecture japonaise intègre les influences occidentales par plusieurs biais à partir du début de l'ère Meiji. Un nombre réduit d'architectes étrangers travaillent dans le pays au début de la période, tels Thomas Waters qui produit à Osaka l'hôtel des monnaies et la résidence Senpukan qui compte parmi les premiers bâtiments de style occidental dans le pays. Certains de ces étrangers sont recrutés comme conseillers étrangers, et travaillent dans le pays comme enseignants de manière à transmettre aux japonais les techniques et styles de construction. C'est le cas de Charles Alfred Chastel de Boinville (en) et de Giovanni Vincenzo Cappelletti, ou encore de Josiah Conder , ce dernier étant en charge des premiers cours d'architecture de l'université de Tokyo. Cette acquisition de savoir est aussi faite aux travers de nombreux étudiants japonais envoyés en Europe et aux États-Unis grâce à des bourses du gouvernement, et qui à leurs tours deviennent souvent enseignants en architecture à leurs retour. C'est le cas de Yamaguchi Hanroku (ja) ou de Nakamura Junpei (ja) qui étudient à Paris, ou de Tatsuno Kingo qui étudie à Londres[463].
Une architecture pseudo-occidentale, ou Giyōfū, émerge alors. Celle-ci doit composer avec les limites techniques des débuts de l'ère Meiji. Les constructeurs japonais dans un premier temps utilisent leurs techniques de constructions en bois en ne copiant que l'apparence extérieure des bâtiments (comme à l'église d'Ōura à Nagasaki), avant d'utiliser aussi les techniques de constructions une fois celles-ci maitrisées. Le bâtiment de la Banque du Japon construit en 1896 par Tatsuno Kingo apparait comme le premier bâtiment de ce style conçu et construit uniquement par des japonais maitrisant les techniques occidentales[463]. Un architecte comme Katayama Tōkuma s'illustre aussi en intégrant différents styles européens en fonction de ses réalisations : baroque pour le Musée national de Nara (en 1894), Style Second Empire pour le Musée national de Kyoto (1895), néoclassique pour le hyōkeikan du Musée national de Tokyo (1908), et en ligne avec les productions des palais royaux européens pour le Palais d'Akasaka. Tsumaki Yorinaka est l'autre grande figure de ce courant architecturale sous l'ère Meiji, à qui l'on doit notamment le bâtiment du Kanagawa Prefectural Museum of Cultural History (en), conçu dans un style néobaroque alors en vogue en Allemagne. D'autres bâtiments de ce style Giyōfū sont notables, comme les anciens bureaux du gouvernement de Hokkaidō, le Rokumeikan (aujourd'hui détruit), ou encore la Kaichi School (en)[464].
- Le Musée national de Nara conçu par Katayama Tōkuma emprunte au style baroque.
- Le Musée national de Kyoto conçu par Katayama Tōkuma emprunte au Style Second Empire.
- Le Palais d'Akasaka conçu par Katayama Tōkuma emprunte au style des palais royaux européens de la même époque.
- Anciens bureaux du gouvernement de Hokkaidō.
Seconde moitié de la période impériale, japanisme et modernisme
Une production reprenant les codes traditionnels japonais s'affirme au travers des productions d'Itō Chūta. Après avoir étudié le complexe bouddhiste du Hōryū-ji dans la préfecture de Nara, il en tire des grands principes censés incarner l'architecture japonaise, notamment concernant le rôle de la toiture des bâtiments[465]. Il intègre souvent à ses productions des matériaux modernes comme le béton, et une toiture inspiré des temples bouddhiques[466]. Il se voit confier la réalisation de plusieurs grands temples au Japon (Meiji-jingū en 1920, reconstruction de Yasukuni-jinja en 1924, Tsukiji Hongan-ji en 1934) mais aussi dans les colonies (Taiwan-jingū en 1901, Chōsen-jingū en 1925), ainsi que plusieurs bâtiments mémoriaux[465]. Itō Chūta exerce de plus une influence importante dans la production des bâtiments publics en participant très souvent aux jurées chargé de départager des projets concurrents, et en favorisant ceux qui relève du style à toiture impériale (en). La recherche de codes traditionnels amène un autre architecte comme Hideto Kishida (en) dans une voie différente, plus portée sur la simplicité des formes, et compatible avec le modernisme. Enseignant à l'université de Tokyo, et y exerçant une influence importante sur les futurs architectes qui sont formés dans les années 1930, Hideto Kishida (en) voit dans le villa impériale de Katsura et son pavillon de thé un exemple à suivre[466].
- Biwako Ōtsukan réalisé par Okada Shinichirō (en).
- Shinmon du Yasukuni-jinja réalisé par Itō Chūta.
Une architecture moderniste est portées par plusieurs architectes à partir des années 1920. Le mouvement Bunri ha (ja) s'inspire de la Sécession viennoise, et un de ses cofondateurs Ishimoto Kikuji (ja) réalise le nouveau siège que le journal Asahi shinbun se fait construire en 1927, ainsi que le grand magasin Shirokiya en 1928. Il recherche à obtenir un bâtiment esthétique en passant par l'équilibre des formes et des volumes, et la symétrie des motifs, et non par la copie de styles historiques[467]. Les travaux de Le Corbusier sont popularisés dans la communauté des architectes locaux au travers d'une vingtaines d'articles publiés dans Kokusai Kenchiku en 1929, et plusieurs japonais travaillent à ses cotés dans ses bureaux parisiens comme Kunio Maekawa ou Junzō Sakakura. Ce dernier réalise avec le Pavillon japonais de l'exposition universelle de Paris de 1937 l'un des premiers bâtiment réalisé pour le Japon en suivant les préceptes de l'architecte suisse. Quelques architectes étrangers réalisent par ailleurs des bâtiments modernistes au Japon lors de cette période, comme Antonín Reimann et Frank Lloyd Wright[468]
- Pavillon japonais de l'exposition universelle de Paris réalisé par Junzō Sakakura (1937).
- Maison Reinanzaka réalisée par Antonín Reimann (1924).
- Hôtel impérial réalisé par Frank Lloyd Wright (1923).
Sources
Notes
- ↑ Le Royaume-Uni concentre ses efforts en Asie sur la Chine et dédie une partie de sa puissance à la lutte contre la Russie dans le Grand Jeu en Asie centrale. La France se concentre sur la Campagne de Cochinchine en Asie, et à contrer la montée de la Prusse en Europe. Les Américains sont eux occupés par la guerre de Sécession.
- ↑ L'armée fait partie des prérogatives de l'empereur, et statutairement c'est un militaire de haut-rang qui doit être nommé ministre de la guerre. Le refus des militaires de rejoindre un gouvernement empêche donc celui-ci d'être constitué.
- ↑ De la fin de la guerre des Taiping en 1864, jusqu'à 1882, date à laquelle les Français prennent Hanoï, et les Anglais l'Égypte.
- ↑ Une bonne partie des responsable militaires sont très critiques envers le traité de Washington qui limite la taille de la lotte japonaise. Ce point de vue est assez présent dans l'opinion publique, ce qui débouche sur une très grande méfiance envers les anglosaxons. Dans les sphères politiques, le traité de Washington est vu comme un outils efficace pour limiter les dépenses militaires et l'influence de l'armée.
- ↑ L'Union soviétique revend en 1935 au Japon des tronçons du Chemin de fer de l'Est chinois et se replie au-delà du fleuve Amour.
- ↑ Si Mein Kampf est bien traduit à cette date en Japonais, l'éditeur local a expurger le livre des passages les plus racistes, notamment ceux classant les slaves et les asiatiques dans les races inférieures.
- ↑ Bien que déclenchées à des dates différentes, les attaques sont simultanées (à une heure près) car elles ont lieu de part et d'autre de la ligne de changement de date.
- ↑ La dynastie Qing qui dirige la Chine jusqu'en 1912 est d'origine Mandchous.
- ↑ Si seul le Salvador et le Saint-Siège le reconnaissent en 1934, sa reconnaissance va s'élargir en 1937 avec l'Italie fasciste et l'Espagne franquiste, en 1938 avec l'Allemagne nazie, et en 1939 avec le Royaume de Hongrie. Les autres pays sont cependant souvent présents en y entretenant un consulat, comme les États-Unis, l'URSS, la France, et le Royaume-Uni.
- ↑ Ce chiffre comprend des japonais, mais aussi des coréens et des taiwannais.
- ↑ La première, l'Université de Tokyo est inaugurée en 1877. Elle est suivie les années suivantes par l'Université de Kyōto en 1897, et l'Université du Tōhoku à Sendai en 1907. Au total neuf universités sont créées, dont deux dans les colonies : l'Université impériale de Keijō en 1924 et l'Université impériale de Taihoku en 1928.
- ↑ Ces chiffres intègre les étudiants d'universités, mais aussi de collèges universitaires aux formations plus courtes
- ↑ Minatogawa-jinja est consacré en 1871 à Kōbe, Toyokuni-jinja est restauré en 1880 à Kyōto, Abeno-jinja en 1882 à Ōsaka, Kashihara-jingū en 1889 à Nara. Voir Shimazono Susumu 2009, p. 112
- ↑ Une querelle porte en particulier sur le nombre de dieux majeurs, trois ou quatre, à inclure dans le panthéon shintō.
- ↑ Motoori Norinaga (1730–1801) et Hirata Atsutane (1776–1843) en particulier se sont montrés très virulents dans les critiques du bouddhisme.
- ↑ Après la Première guerre sino-japonaise de 1894-1895, puis après la saisie des possessions allemandes en Chine, le Japon fait transférer des usines de production de bières qui y sont présentes. Une industrie brassicoles japonaises se développe assez rapidement après cette période.
- ↑ Dans l'adaptation du roman Ben-Hur de 1926, des parallèles peuvent être faits par les pyŏnsa coréens entre la révolte des esclaves et la lutte anticoloniale contre les japonais. Dans Arirang le scripte du film ne comporte pas d'élément visant les japonais, mais du fait des pyŏnsa le film gagne une dimension nationaliste et indépendantiste
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